80 Ans De La Secu Pourquoi Son Deficit Saggrave Malgre Labsence De Crise
Alors qu’elle fête ses 80 ans, la Sécurité sociale, pilier fondateur de la protection sociale française, traverse une période de turbulence financière inédite. Longtemps perçue comme un système solide, même en période de crise, elle accumule aujourd’hui des déficits année après année, sans que des chocs externes majeurs ne soient à l’origine de cette dérive. Les chiffres sont sans appel : 666 milliards d’euros de dépenses contre 644 milliards de recettes, soit un déficit prévisionnel de près de 22 milliards d’euros pour l’année en cours. Ce déséquilibre, porté principalement par les branches maladie et retraite, interroge sur la pérennité du modèle et sur les ajustements nécessaires pour le préserver. À travers les témoignages de citoyens, les analyses d’experts et les pistes de réforme, cet article explore les causes profondes de ce déséquilibre et les leviers d’action pour y répondre.
Le phénomène est nouveau. Historiquement, les déficits de la Sécurité sociale apparaissaient en réaction à des événements exceptionnels : la crise financière de 2008, la pandémie de Covid-19 en 2020, ou encore les mesures d’urgence économique. Aujourd’hui, en revanche, le système présente un déficit structurel, malgré une conjoncture globalement stable. Cela signifie que le modèle lui-même est en tension, et que les dépenses augmentent plus vite que les recettes, sans que cela soit compensé par des mécanismes d’ajustement. Ce constat inquiète autant les économistes que les citoyens, comme Élodie Renard, enseignante en Seine-Saint-Denis, qui observe : Je paie mes cotisations chaque mois, mais je sens que le système est de plus en plus fragile. On parle de réforme, mais jamais de ce que cela implique vraiment pour nous.
Avec un déficit de 16 milliards d’euros, la branche maladie est le principal contributeur au déséquilibre. Plusieurs facteurs convergent. D’abord, l’essor des médicaments innovants, souvent très coûteux. Des traitements révolutionnaires contre certains cancers ou maladies rares peuvent atteindre des prix dépassant 100 000 euros par an, selon les estimations de l’Assurance maladie. Ensuite, la revalorisation des professions de santé, décidée en 2021, a accru les dépenses de 13 milliards d’euros annuels sans être accompagnée de nouvelles recettes. Enfin, la hausse de la consommation de soins, notamment en médecine de ville, accentue la pression. On soigne mieux, plus tôt, plus longtemps , résume Dominique Libault, président du Haut conseil du financement de la protection sociale. Mais cela a un coût, et il faut que la société en prenne conscience.
Le déficit de 5,7 milliards d’euros de la branche retraite s’explique surtout par le vieillissement de la population. Le nombre de personnes âgées de 75 à 85 ans devrait augmenter de 50 % d’ici 2030, selon Libault. Or, chaque année, les retraités perçoivent des pensions financées par les cotisations des actifs. Or, le ratio actifs/retraités diminue progressivement, ce qui fragilise le financement. Jean-Marc Lefebvre, retraité à Toulouse, témoigne : Je suis fier d’avoir bénéficié d’une retraite décente, mais je comprends que les jeunes s’inquiètent. Il faut trouver un équilibre pour que le système ne s’effondre pas.
Les autres branches, en revanche, sont globalement stables. La branche accidents du travail est en équilibre, grâce à une gestion rigoureuse des risques professionnels. La branche famille affiche même un léger excédent, porté par les politiques de soutien à la natalité et aux familles monoparentales. En revanche, la branche autonomie, encore jeune, connaît un déficit croissant. Elle vise à accompagner les personnes âgées en perte d’autonomie, mais son financement reste insuffisant face à l’ampleur du besoin. On parle d’autonomie, mais on ne met pas les moyens , déplore Aïcha Benali, aide-soignante en EHPAD à Lyon. Les familles paient cher, et l’État tarde à prendre ses responsabilités.
La Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale) a été créée en 1996 pour permettre à la Sécurité sociale de rembourser ses dettes sans alourdir celle de l’État. Contrairement à l’État, qui peut rouler sa dette en permanence, la Sécu doit rembourser ses emprunts à terme. La Cades intervient donc lorsque le niveau de dette devient trop élevé : elle prend en charge le remboursement grâce à des ressources fiscales spécifiques, comme la Contribution sociale généralisée (CSG) ou des prélèvements sur les profits des opérateurs de téléphonie.
Depuis sa création, six reprises de dettes ont eu lieu, totalisant 400 milliards d’euros. La dernière, en 2020, a permis de couvrir 136 milliards d’euros de déficits jusqu’à mi-2023. Mais depuis, une nouvelle dette de 54 milliards s’est accumulée. Il devient souhaitable de la transférer à la Cades , affirme Dominique Libault. Mais cela nécessite une loi, donc une majorité politique capable de s’engager sur une stratégie de réforme.
La difficulté réside dans l’absence d’un consensus autour des mesures à prendre. Faut-il augmenter les cotisations ? Réduire certaines prestations ? Réformer l’organisation des soins ? L’atomisation du Parlement complique tout , reconnaît Libault. Il faut un effort collectif, mais personne ne veut être le premier à le proposer.
En attendant une décision politique, les 54 milliards de dette sont gérés par l’Urssaf, qui assure la trésorerie de la Sécu. Pour honorer ses échéances, elle emprunte à court terme, sur des durées maximales de deux ans. Ce mode de financement est fragile : les prêteurs à court terme sont plus rares, et les taux d’intérêt plus élevés. Toutefois, selon Libault, à ce stade, l’Urssaf n’a pas de difficulté à trouver des prêteurs. Les prestations sont versées, et les soins remboursés . Mais ce scénario suppose que la confiance des marchés ne s’érode pas.
L’insolvabilité n’est pas à l’ordre du jour, mais le risque existe s’il n’y a pas de correction structurelle. On peut continuer à emprunter pendant un temps, mais pas indéfiniment , prévient Camille Dubois, économiste à l’OFCE. Si la croissance des dépenses n’est pas maîtrisée, on pourrait se retrouver dans une situation similaire à celle de certains pays européens, où la dette sociale pèse lourdement sur les finances publiques.
À terme, ce sont les citoyens qui pourraient payer le prix. Soit par des prélèvements supplémentaires, soit par des restrictions de remboursement. On nous parle déjà de plafonner les arrêts maladie ou de limiter les consultations , s’inquiète Thomas Gauthier, infirmier libéral à Nantes. Mais ce sont des mesures qui pénalisent les plus vulnérables. Il faudrait plutôt mieux organiser le parcours de soins.
Plusieurs pistes sont évoquées. Dominique Libault insiste sur la nécessité d’un petit effort de chacun : patients, professionnels de santé, assureurs complémentaires, et État. Cela pourrait passer par une meilleure maîtrise des prescriptions, une incitation à la prévention, ou encore une revalorisation ciblée des soins en secteur public.
Investir davantage dans la prévention permettrait de réduire à long terme les dépenses de soins. On dépense 3 % de notre budget santé en prévention, contre 7 % en Allemagne , relève Sophie Marquant, chercheuse à l’Inserm. En agissant sur l’obésité, le tabac ou le diabète, on pourrait économiser des milliards chaque année.
Le numérique et la coordination entre professionnels sont des leviers sous-exploités. L’envoi de mails par l’Assurance maladie pour rappeler des examens ou des vaccinations, comme le fait désormais l’Assurance maladie, est un pas dans la bonne direction. Mais il faut aller plus loin. Il faut que les dossiers médicaux soient partagés, que les généralistes coordonnent mieux les parcours , plaide Léa Nguyen, médecin coordinatrice dans un hôpital de Bordeaux.
La Sécurité sociale n’est pas en faillite, mais elle traverse une phase critique qui impose des choix courageux. Son modèle, fondé sur la solidarité et la redistribution, reste largement soutenu par les Français. Mais il doit s’adapter à une réalité nouvelle : une population qui vieillit, des soins qui coûtent cher, et un financement qui peine à suivre. Réformer la Sécu ne signifie pas la détruire, mais la renforcer pour qu’elle reste un bien commun pour les générations futures. Comme le dit Élodie Renard, on ne veut pas d’un système qui s’effondre. On veut juste qu’il soit durable, juste et accessible à tous .
Le déficit provient principalement de la branche maladie (-16 milliards) et de la branche retraite (-5,7 milliards). Il est alimenté par le vieillissement de la population, la hausse des coûts des médicaments innovants, et la revalorisation des professions de santé sans nouvelles recettes.
La Cades permet de rembourser la dette sociale accumulée par la Sécurité sociale. Dotée de ressources fiscales, elle prend en charge des reprises de dette décidées par la loi, afin d’éviter que les générations futures ne supportent les dépenses actuelles.
Non, pas à court terme. L’Urssaf parvient encore à emprunter pour couvrir les échéances. Mais en l’absence de réforme, la montée de la dette à court terme pourrait devenir insoutenable.
Des solutions existent : renforcer la prévention, mieux organiser les soins, encourager la coordination entre professionnels, et instaurer un effort partagé entre tous les acteurs du système. Une réforme globale, accompagnée d’un consensus politique, est nécessaire pour assurer la pérennité du modèle.
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