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En Bretagne rurale, les attentes pour un kiné s’allongent dangereusement

En Bretagne, la présence des kinésithérapeutes suscite à la fois admiration et inquiétude. Avec près de 4 400 professionnels exerçant en libéral, la région affiche une densité supérieure à la moyenne nationale : 12,9 kinés pour 10 000 habitants contre 12,5 en France métropolitaine. Ce chiffre, en hausse de 1,9 praticien pour 10 000 résidents depuis cinq ans, témoigne d’un dynamisme certain. Pourtant, derrière cette réussite apparente se cache une réalité plus complexe, surtout en milieu rural. Une étude publiée le 29 septembre 2025 par l’Union régionale des professionnels de santé masseurs-kinésithérapeutes de Bretagne (URPS Kiné Bretagne) pointe une inégalité criante d’accès aux soins kinésithérapiques selon les zones géographiques. Si les villes comme Rennes, Brest ou Vannes se montrent bien desservies, les campagnes bretonnes, elles, peinent à offrir une prise en charge équitable. Ce paradoxe interpelle autant qu’il inquiète.

Quelle est la réalité du terrain pour les patients en milieu rural ?

En pénétrant dans les communes éloignées des grands axes, on découvre une autre Bretagne. Celle des routes sinueuses, des villages aux noms chantants, mais aussi des délais d’attente interminables. Élodie Le Goff, 58 ans, habite dans un petit bourg près de Carhaix. Opérée du genou l’année dernière, elle a dû parcourir 65 kilomètres pour trouver un kinésithérapeute disponible.  Je n’ai pas de voiture, donc je dois compter sur les transports en commun ou sur des voisins pour m’accompagner , raconte-t-elle.  Entre l’attente pour le bus et les rendez-vous espacés, j’ai perdu près de deux mois de rééducation. Aujourd’hui, je marche encore avec une canne. Ce n’est pas normal à l’ère du tout-connecté. 

Son témoignage n’est pas isolé. Dans les Côtes-d’Armor ou le Morbihan, de nombreuses personnes âgées ou en situation de précarité se retrouvent isolées face à une offre de soins inadaptée. L’étude de l’URPS Kiné Bretagne révèle que 47 % des kinés exercent en milieu rural, mais que cette présence ne se traduit pas par un accès équitable. La répartition est déséquilibrée : certains villages comptent plusieurs praticiens à proximité, tandis que d’autres, à quelques kilomètres de là, n’en ont aucun.

Pourquoi les kinés s’installent-ils malgré tout en Bretagne ?

La Bretagne attire les professionnels de santé, et les kinésithérapeutes ne font pas exception. Son cadre de vie, ses paysages côtiers, son rythme plus humain que dans les grandes métropoles, tout concourt à en faire une destination prisée. En outre, des dispositifs d’aide à l’installation ont été mis en place ces dernières années, notamment des bourses ou des subventions pour les jeunes diplômés souhaitant s’implanter en zone sous-dotée.

Théo Mercier, kinésithérapeute installé depuis trois ans à Quimperlé, explique son choix :  J’ai fait mes études à Bordeaux, mais j’ai toujours rêvé de vivre près de la mer. Quand j’ai vu qu’il y avait des aides pour s’installer ici, j’ai sauté sur l’occasion. La qualité de vie est incomparable, et les patients sont souvent très impliqués dans leur parcours de soins. 

Cependant, même dans les villes moyennes, les contraintes restent fortes.  On travaille beaucoup, parfois jusqu’à 60 heures par semaine , précise-t-il.  La charge administrative est énorme, et les tarifs de la Sécurité sociale n’ont pas évolué depuis des années. Beaucoup de collègues hésitent à s’installer seuls et préfèrent rejoindre des cabinets groupés ou des centres de rééducation. 

Comment expliquer l’écart d’accès entre zones urbaines et rurales ?

Le paradoxe breton tient à une combinaison de facteurs. D’abord, la concentration des kinés dans les villes moyennes et les périphéries urbaines. Ensuite, l’absence de coordination entre les différents acteurs du système de santé. Enfin, un modèle économique qui pousse les praticiens à privilégier les zones à forte densité de population, où la rentabilité est plus assurée.

 Un kiné en ville peut voir 20 à 25 patients par jour. En campagne, à cause des déplacements et de la dispersion des patients, il en verra 12 ou 13 , souligne Clémence Dubreuil, chercheuse en géographie médicale à l’université de Rennes 2.  C’est un calcul économique simple, mais qui a des conséquences humaines lourdes. Les patients en milieu rural sont souvent plus âgés, plus fragiles, et ont plus besoin de soins réguliers. Or, ils sont les plus pénalisés. 

Le cas du Finistère nord illustre bien cette fracture. Dans le Trégor, certaines communes n’ont pas vu de kinésithérapeute depuis des années. Les maires alertent régulièrement les autorités, sans réponse concrète.  On parle d’égalité territoriale, mais sur le terrain, c’est autre chose , déplore Yannick Le Moal, maire d’un village de 800 habitants.  Nos aînés doivent choisir entre renoncer à leurs soins ou payer des trajets coûteux. C’est inacceptable. 

Quelles solutions sont envisagées pour réduire ces inégalités ?

L’URPS Kiné Bretagne appelle à une refonte du modèle d’organisation des soins. Parmi les pistes proposées : le renforcement des aides à l’installation, la création de cabinets mutualisés dans les zones déficitaires, et l’intégration des kinés dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Ces structures, encore peu développées en kinésithérapie, pourraient favoriser la coordination entre médecins, infirmiers et kinés, notamment pour les patients chroniques.

Un exemple prometteur existe déjà dans le sud du Morbihan. Depuis deux ans, un réseau de kinés mobiles sillonne les communes isolées. Équipés de véhicules adaptés, ils proposent des séances de rééducation à domicile ou dans des salles communales mises à disposition.  On ne remplace pas un cabinet fixe, mais on évite que les patients renoncent aux soins , explique Lina Ferrand, l’une des fondatrices du projet.  On travaille en lien avec les médecins traitants et les infirmiers libéraux. C’est une autre façon de penser la proximité. 

Ce type d’initiative reste cependant marginal. Pour être durable, il nécessite des financements stables et une reconnaissance par les pouvoirs publics.  Aujourd’hui, on est encore trop dépendants de subventions ponctuelles , regrette-t-elle.  Si on veut vraiment réduire les inégalités, il faut repenser le financement des soins de rééducation, pas seulement en ville, mais partout où les gens vivent. 

Le numérique peut-il jouer un rôle dans l’amélioration de l’accès ?

La télérééducation, encore peu développée, suscite un intérêt croissant. Elle consiste à accompagner les patients à distance via des plateformes sécurisées, avec des exercices filmés, des suivis en visioconférence, ou des capteurs connectés. Pour certains, c’est une révolution en marche.

 J’ai commencé à proposer des séances hybrides à mes patients âgés ou en situation de mobilité réduite , témoigne Julien Vasseur, kiné à Lorient.  Ils font leurs exercices à la maison, je les corrige en direct ou via des vidéos envoyées. C’est moins efficace qu’une séance en présentiel, mais c’est mieux que rien. Et ça évite les déplacements inutiles. 

Le frein principal reste la prise en charge par l’Assurance maladie. À ce jour, la télérééducation n’est pas remboursée comme les séances en cabinet.  On fait ça bénévolement ou en complément de soins remboursés , précise Julien.  Tant que ce ne sera pas reconnu officiellement, difficile d’en faire un pilier de la politique de santé. 

Des expérimentations sont en cours dans plusieurs régions, dont la Bretagne. Les résultats préliminaires montrent une bonne adhésion des patients, surtout ceux souffrant de pathologies chroniques comme l’arthrose ou les séquelles d’AVC. Mais sans cadre réglementaire clair, ces innovations risquent de rester marginales.

Quel rôle jouent les patients et les élus locaux dans cette transformation ?

La mobilisation citoyenne commence à se faire sentir. Des associations de patients, comme  Santé en Commun , mènent des campagnes de sensibilisation sur les inégalités d’accès aux soins. Des pétitions sont lancées, des réunions publiques organisées.  On ne veut pas juste dénoncer, on veut proposer , insiste Manon Kerjean, l’une des porte-parole.  Par exemple, pourquoi ne pas transformer des locaux municipaux en centres de rééducation temporaires ? Ou créer des lignes de bus dédiées aux soins ? 

Les élus locaux, quant à eux, sont de plus en plus conscients de l’enjeu. À Saint-Brieuc, le conseil municipal a voté une subvention pour aider un jeune kiné à s’installer dans un quartier éloigné du centre-ville. À Quimper, une concertation a été lancée avec les professionnels de santé pour cartographier les zones blanches.

 La santé, c’est un pilier du développement territorial , affirme Maëlle Le Dantec, adjointe à la santé dans une commune du Pays de Lorient.  Un village sans médecin, sans infirmier, sans kiné, c’est un village qui perd des habitants. On ne peut plus fermer les yeux. 

A retenir

La Bretagne a-t-elle vraiment un excès de kinésithérapeutes ?

Non, la Bretagne ne souffre pas d’un excès, mais d’une répartition inéquitable. Bien que la région compte plus de kinés que la moyenne nationale, ceux-ci sont concentrés dans les zones urbaines ou péri-urbaines, laissant de nombreuses communes rurales sous-dotées.

Les patients en milieu rural renoncent-ils vraiment aux soins ?

Oui, de nombreux témoignages et données montrent que les habitants des campagnes bretonnes renoncent à des séances de kinésithérapie à cause des délais d’attente, des distances à parcourir, ou du manque de transports. Cette situation affecte particulièrement les personnes âgées et celles sans moyen de locomotion.

Les jeunes kinés sont-ils incités à s’installer en zone rurale ?

Oui, des aides à l’installation existent, mais elles restent insuffisantes pour compenser les contraintes économiques et logistiques. Beaucoup de jeunes diplômés préfèrent rejoindre des cabinets groupés en ville, où la charge de travail est mieux répartie et la rentabilité plus assurée.

La télérééducation est-elle une solution viable ?

Elle représente une piste prometteuse, surtout pour les patients isolés ou à mobilité réduite. Toutefois, son développement est freiné par l’absence de prise en charge par la Sécurité sociale. Pour devenir un outil massif, elle doit être intégrée dans le système de remboursement.

Des solutions concrètes sont-elles déjà mises en œuvre ?

Oui, des initiatives locales, comme les kinés mobiles ou les cabinets mutualisés, montrent que des réponses sont possibles. Leur succès dépend toutefois de soutiens financiers stables et d’une volonté politique forte pour les généraliser.

Conclusion

La Bretagne incarne un paradoxe territorial qui résonne bien au-delà de ses frontières. Elle possède une richesse humaine et professionnelle en kinésithérapie, mais cette richesse n’est pas équitablement partagée. Les inégalités d’accès aux soins, particulièrement criantes en milieu rural, rappellent que la performance d’un système de santé ne se mesure pas seulement au nombre de professionnels, mais à leur capacité d’atteindre ceux qui en ont le plus besoin. Entre attractivité, innovation et justice territoriale, l’enjeu est désormais de construire un modèle de soins qui ne laisse personne sur le bord de la route. Le chemin est long, mais les premiers pas sont en marche.

Anita

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