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Don d’organes : les étapes secrètes d’un hôpital après un décès

Le don d’organes est l’un des gestes les plus puissants que la médecine moderne puisse offrir : celui de prolonger la vie d’un inconnu grâce à un acte réalisé dans l’intimité du deuil. Pourtant, derrière ce miracle médical, se joue une succession d’étapes rigoureuses, d’émotions intenses et de décisions complexes. Entre respect du défunt, accompagnement des familles et contraintes temporelles, le processus de prélèvement est une chaîne humaine et technique d’une extrême délicatesse. À travers le témoignage de professionnels et de proches touchés par cette expérience, plongeons dans les coulisses d’un geste qui sauve des vies, mais qui commence toujours dans le silence d’un deuil.

Qu’est-ce que la mort encéphalique, condition du don d’organes ?

Le don d’organes n’est possible que dans un cadre très précis : celui de la mort encéphalique. Contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas d’un coma profond, mais bien d’un arrêt irréversible de toutes les fonctions du cerveau. C’est une situation très particulière : seule la tête ne fonctionne plus. La personne est médicalement et légalement décédée, mais tout le reste marche encore , explique le Dr. Florian Berteau, réanimateur au CHU de Brest. Grâce à la ventilation artificielle et à des traitements de soutien, le cœur continue de battre, les organes restent irrigués, ce qui permet de les préserver pour une éventuelle greffe.

Ce paradoxe – un corps vivant sans conscience – est souvent difficile à comprendre pour les familles. Pourtant, il est fondamental. La mort encéphalique est un diagnostic certain, établi par deux médecins indépendants selon un protocole strict , précise le Dr. Berteau. Les examens cliniques sont complétés par des tests instrumentaux, comme un électroencéphalogramme plat ou une angiographie montrant l’absence de flux sanguin cérébral. Une fois confirmée, cette mort est irréversible. C’est à ce moment que la possibilité du don d’organes peut être envisagée.

Qui décide du don d’organes après le décès ?

En France, le principe du consentement présumé s’applique : toute personne majeure est considérée comme donneuse d’organes, sauf si elle s’est inscrite sur le registre national des refus. Mais en pratique, c’est aux proches que revient la lourde responsabilité de confirmer ou infirmer cette volonté. On n’est pas là pour convaincre la famille , insiste Armande Meunier, infirmière coordinatrice à la Coordination des dons d’organes et de tissus (CDOT) de Morlaix. Notre rôle est d’accompagner, d’écouter, de répondre aux questions.

C’est là que le travail de coordination prend tout son sens. Les équipes de la CDOT interviennent dès que la mort encéphalique est confirmée. Elles consultent le registre national, mais surtout, elles prennent contact avec la famille. Nous arrivons souvent au moment où les proches sortent d’un choc. Ils ont vu un être vivant, connecté à des machines, et maintenant on leur dit qu’il est mort , témoigne Armande. Notre priorité, c’est de leur donner du temps, de l’information, et surtout, du respect.

Le témoignage de Camille Leroy, dont le frère Julien est décédé à 34 ans après un accident cérébral, illustre cette étape cruciale : Quand les infirmières nous ont parlé du don d’organes, j’ai d’abord eu un mouvement de recul. Mais elles ont été si douces, si claires… Elles nous ont dit : “Votre frère peut aider d’autres personnes à vivre”. On a repensé à ses valeurs, à son envie d’aider les autres. On a dit oui.

Comment se déroule la coordination du don entre hôpitaux ?

Les prélèvements d’organes ne s’effectuent pas dans tous les hôpitaux. À Morlaix, par exemple, aucune greffe n’est réalisée sur place. Nous sommes en première ligne, mais le prélèvement se fait dans des centres hospitaliers universitaires équipés , précise Sylvia Thomas, directrice de la CDOT de Morlaix. Son équipe joue donc un rôle central de relais : elle identifie les donneurs potentiels, coordonne les examens, et assure la liaison avec l’Agence de la biomédecine et les équipes de prélèvement.

Dès que la famille donne son accord, un processus ultra-rapide s’enclenche. L’Agence de la biomédecine lance une recherche de receveurs compatibles, en fonction des groupes sanguins, du poids, de la taille, et de la gravité de leur état. En parallèle, les organes sont évalués : reins, foie, cœur, poumons, pancréas, peuvent être prélevés. Chaque organe a une durée de survie limitée une fois hors du corps – 4 à 6 heures pour le cœur, 12 à 24 heures pour les reins – ce qui impose une logistique millimétrée.

C’est une course contre la monte, mais on prend le temps , résume Armande Meunier. Ce paradoxe résume bien l’équilibre entre urgence médicale et respect humain. Les équipes de prélèvement arrivent alors en urgence, souvent en hélicoptère, pour opérer dans les heures suivant la confirmation du don.

Quel est le rôle des équipes médicales auprès des familles ?

Le don d’organes n’est pas seulement une affaire médicale, c’est un acte humain profond. Les soignants, en première ligne, doivent conjuguer rigueur scientifique et empathie. Nous ne parlons pas de “donneur”, mais de la personne qui vient de partir , insiste Sylvia Thomas. On garde son prénom, on parle d’elle, on respecte ses rites, ses croyances.

Les familles peuvent demander à voir leur proche après le prélèvement. Le corps est soigneusement recousu, sans trace visible. Certaines choisissent d’assister à un moment de recueillement dans la chambre, d’autres préfèrent partir avant l’intervention. Tout est fait pour que la dignité soit préservée , affirme Armande Meunier. Même dans la mort, la personne est traitée avec respect.

Le père de Julien Leroy, interrogé quelques semaines après le don, raconte : On ne savait pas quoi penser au début. Mais aujourd’hui, on se dit que Julien a donné une chance à cinq personnes. Un cœur à un jeune homme de 28 ans, deux reins à des femmes en attente depuis des années, des poumons à un ancien fumeur qui respire enfin… C’est difficile, mais on a l’impression qu’il continue de vivre, à sa manière.

Quelles sont les limites du don d’organes ?

Tout le monde ne peut pas devenir donneur. Les contre-indications sont nombreuses : certaines maladies infectieuses, des cancers métastatiques, ou des pathologies graves du cœur ou du foie peuvent empêcher le prélèvement. De plus, l’état général du patient avant le décès est évalué avec soin. Même en cas de mort encéphalique, si les organes sont abîmés, on ne peut pas prélever , explique le Dr. Berteau.

Le don de tissus (cornées, peau, os, valves cardiaques) est possible dans davantage de cas, parfois jusqu’à 24 heures après le décès. Il touche chaque année des milliers de personnes, notamment pour des greffes de la cornée, qui rendent la vue à des patients aveugles. On oublie souvent le don de tissus, pourtant il change des vies , souligne Sylvia Thomas.

Par ailleurs, le don vivant existe aussi, principalement pour les reins ou une partie du foie. Il concerne des proches compatibles, volontaires, et encadrés par une évaluation médicale et psychologique rigoureuse. C’est un acte d’amour, mais aussi de responsabilité , précise le Dr. Berteau. On ne prend aucun risque avec la santé du donneur.

Quel impact le don d’organes a-t-il sur les receveurs ?

Derrière chaque prélèvement, il y a des vies sauvées. En 2023, plus de 6 000 greffes ont été réalisées en France, mais la liste d’attente reste longue : près de 20 000 patients espèrent un organe. On reçoit un appel en pleine nuit, on court à l’hôpital, et on se dit : “C’est peut-être la dernière chance” , raconte Élodie Ricard, greffée du rein à 41 ans après dix ans de dialyse. Quand j’ai appris que le donneur avait 34 ans, que c’était un homme décédé d’un accident, j’ai pleuré. Pas seulement de joie, mais de tristesse pour lui, pour sa famille.

Elle a écrit une lettre anonyme, comme le permet le système français. Je ne sais pas qui il était, mais je lui parle parfois, en silence. Je lui dis merci, je lui dis que je vis, que je voyage, que je danse avec mes enfants. Ce lien invisible, mais puissant, entre donneur et receveur, est au cœur du sens du don.

Comment évolue la perception du don d’organes dans la société ?

Le don d’organes reste entouré de réticences, parfois liées à des croyances, des peurs ou des malentendus. On entend encore : “Et si jamais je me réveille ?” , sourit Armande Meunier. Mais la mort encéphalique, c’est la mort. Il n’y a aucun cas de réveil.

Les campagnes d’information, les témoignages, et la transparence des équipes médicales contribuent peu à peu à changer les mentalités. On voit de plus en plus de familles qui prennent cette décision sereinement, parce qu’elles connaissent la procédure , observe Sylvia Thomas. Et quand elles disent oui, c’est souvent parce qu’elles pensent à l’autre, pas à elles.

Quelle est la place de la famille dans le processus de deuil et de don ?

Le don d’organes n’efface pas la douleur de la perte, mais il peut en atténuer la violence. Beaucoup de familles nous disent que cette décision leur a donné un sens , raconte Armande Meunier. Elles ont perdu un être cher, mais elles savent qu’il a aidé d’autres personnes à vivre.

Camille Leroy confirme : On ne fait pas le deuil plus facilement, mais on a l’impression que Julien n’est pas tout à fait parti. On a reçu un mot des receveurs, anonyme, mais sincère. On a pleuré, mais on a aussi souri.

Conclusion

Le don d’organes est un acte à la croisée de la médecine, de l’éthique et de l’humanité. Il exige des professionnels une rigueur sans faille, une empathie profonde, et un respect absolu du défunt et de sa famille. Pour les familles, il s’agit d’une décision douloureuse, mais souvent porteuse de sens. Et pour les receveurs, c’est parfois la seule chance de survivre. Chaque don est une chaîne humaine, silencieuse mais puissante, qui relie des vies à travers la mort. Dans cette chaîne, chacun a sa place : le donneur, les soignants, les familles, les receveurs. Et c’est ensemble qu’ils font de l’impossible une réalité.

A retenir

Qu’est-ce que la mort encéphalique ?

La mort encéphalique est l’arrêt irréversible de toutes les fonctions du cerveau, confirmée par des examens stricts. Le cœur peut continuer à battre grâce aux machines, permettant le prélèvement d’organes.

Qui prend la décision de donner les organes ?

En France, le consentement est présumé. Si la personne n’a pas exprimé de refus de son vivant, la famille est consultée pour confirmer ou non sa volonté.

Les soignants cherchent-ils à convaincre les familles ?

Non. Les équipes de coordination n’ont pas pour rôle de convaincre, mais d’accompagner, d’informer et de respecter les proches dans leur deuil.

Quels organes peuvent être prélevés ?

Le cœur, les poumons, le foie, les reins, le pancréas et les intestins peuvent être greffés. Le don de tissus (cornées, peau, etc.) est également possible dans plus de cas.

Le don d’organes est-il possible après un décès en réanimation ?

Oui, mais uniquement en cas de mort encéphalique. Le don après arrêt circulatoire (DCD) existe aussi, dans des conditions très encadrées.

Peut-on donner des organes de son vivant ?

Oui, principalement un rein ou une partie du foie. Le donneur vivant est soigneusement évalué sur les plans médical et psychologique.

Les familles peuvent-elles savoir qui reçoit les organes ?

Non, l’anonymat est garanti. Mais elles peuvent recevoir des informations sur le nombre de greffes réalisées et, parfois, des messages anonymes de remerciement des receveurs.

Anita

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