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Dyson cultive des fraises rotatives au Royaume-Uni

Sur les hauteurs brumeuses du Lincolnshire, une serre géante vibre d’un ronronnement presque industriel. Au milieu des colonnes d’aluminium et d’un ballet de LED blanches, des plants de fraises tournent lentement sur eux-mêmes comme des satellites en orbite. On pourrait croire à une scène de science-fiction, mais c’est bien la nouvelle aventure de Dyson, l’entreprise britannique connue pour ses aspirateurs et ses sèche-mains, qui a décidé depuis 2021 d’appliquer sa rigueur d’ingénierie au vivant. En mêlant culture sous serre, rotation verticale et production d’énergie circulaire, Dyson projette de redessiner la manière dont on produit des fruits à grande échelle. Une promesse audacieuse, aux allures de pari industriel.

Pourquoi Dyson s’intéresse-t-il soudain aux fraises ?

La réponse tient en une phrase que James Dyson aime répéter : « Cultiver, c’est un peu comme fabriquer. » Derrière la formule, une conviction. Tout comme un aspirateur ou un moteur numérique, une culture peut se penser comme une chaîne optimisée : flux, cycles, rendement, contrôle. Dyson applique donc à l’agriculture les principes qui ont fait sa réussite dans l’électroménager. Il ne s’agit pas de remplacer l’agriculteur par la machine, mais d’industrialiser la précision, d’orchestrer la lumière, l’eau, l’énergie et la logistique pour sécuriser une qualité constante tout au long de l’année.

La fraise n’a pas été choisie par hasard. Elle combine une forte valeur ajoutée, une sensibilité extrême aux aléas climatiques et une demande constante des consommateurs. Un produit parfait pour tester une approche mêlant culture intérieure, robotique douce et pilotage fin des paramètres de croissance. La ferme pilote de Dyson au Royaume-Uni, installée sur une ligne de 760 mètres, illustre cette stratégie : elle abrite plus de 1 225 000 plants capables de fournir plus de 1 250 tonnes de fraises chaque année.

En quoi consiste la rotation des plants et pourquoi est-ce un changement de paradigme ?

La rotation des plants constitue le cœur de la rupture technologique. Plutôt que des rangées statiques, Dyson a conçu des structures verticales de 5,5 mètres qui font tourner les plants sur eux-mêmes. L’idée est simple, l’exécution sophistiquée. La rotation permet d’uniformiser l’exposition à la lumière, de réduire les zones d’ombre, d’optimiser l’accès à l’air et de faciliter l’inspection. Lorsque la lumière naturelle se fait rare, des LED prennent le relais pour compléter le spectre nécessaire en hiver. Les plateformes en aluminium, immenses – « plus longues que deux bus à impériale placés bout à bout » – maximisent l’usage du volume de la serre plutôt que sa surface au sol.

Selon les données internes du projet, cette culture verticale pourrait augmenter les rendements de 250 % par rapport à des systèmes traditionnels. En capitalisant sur la hauteur, la serre devient un organisme tridimensionnel productif. Un ingénieur sur place, Éléonore Vasseur, décrit la sensation de « marcher dans une cathédrale de métal et de chlorophylle ». Elle confie avoir été recrutée après dix ans passés dans l’automatisation industrielle : « Je n’avais jamais imaginé qu’un jour je réglerais la vitesse de rotation… de fraises. Et pourtant, c’est exactement ce qui fait la différence : la synchronisation entre lumière, flux d’air, irrigation et mouvement. »

Comment la ferme parvient-elle à concilier intensité et durabilité ?

La production sous serre en milieu contrôlé pose toujours la question de l’énergie. Dyson répond par une boucle locale. Des digesteurs anaérobies transforment les résidus agricoles des champs environnants en gaz, lequel alimente un générateur. Ce dernier chauffe la serre et produit assez d’électricité pour l’équivalent de 10 000 foyers. Le processus ne rend pas la ferme autonome en toutes circonstances, mais il réduit considérablement sa dépendance aux énergies fossiles externes et valorise des déchets agricoles qui, autrement, seraient sous-exploités.

L’eau est gérée avec le même souci d’efficience. Les précipitations sont collectées, stockées dans un vaste bassin, puis redistribuées aux plants via des gouttières suspendues. Ce système, finement calibré, limiterait le gaspillage et améliorerait la production d’environ 15 % par rapport aux arrosages classiques. « On ne cherche pas juste à faire pousser plus vite, on cherche à faire pousser mieux », affirme Olivier Benkhélifa, responsable du pilotage hydrique. « L’eau arrive exactement au bon moment, en bonne quantité, sans ruissellement inutile. »

Quels volumes, quels investissements, quel pari ?

Le projet n’a rien d’un petit laboratoire. Avec ses 165 millions d’euros investis, la ferme géante s’avance comme une brique industrielle à part entière. L’ampleur impressionne : une structure de 760 mètres de long, 1 225 000 plants actifs, et plus de 1 250 tonnes de fraises annuelles. Pour absorber cette production, Dyson s’est allié à Marks & Spencer, enseigne britannique de référence, chargée de la commercialisation. La distribution devient ainsi le maillon final d’une chaîne pensée de bout en bout, du circuit énergétique aux rayons des magasins.

Reste la question de la rentabilité. Les investissements initiaux sont élevés, tout comme la sophistication technique. « On ne peut pas juger un tel modèle sur une seule saison », rappelle Anaïs Colombe, analyste agro-industrielle indépendante. « Ce sont des installations à amortissement long, qui jouent la carte du volume, de la qualité régulière et de la maîtrise des risques climatiques. Là où le plein champ se bat contre les caprices du ciel, Dyson verrouille sa météo. »

Les consommateurs accepteront-ils une fraise high-tech ?

Le goût, l’apparence, la fraîcheur et le prix restent décisifs. Dyson assume produire une fraise calibrée, visuellement impeccable, disponible en dehors des pics saisonniers grâce à la gestion de la lumière. La promesse n’est pas celle de la rusticité, mais de la constance. Encore faut-il que le palais suive. Lors d’une dégustation organisée pour un panel d’acheteurs, l’acheteuse indépendante Bérangère Hutin s’est montrée enthousiaste : « La texture est dense, le sucre bien réparti. On est loin du fruit aqueux qu’on redoute avec les productions sous serre mal maîtrisées. »

Dans les rayons, le récit compte autant que le produit. Le fait de savoir que la serre utilise l’énergie issue de résidus agricoles et récupère l’eau de pluie ajoute une dimension responsable que certains publics recherchent. D’autres, au contraire, pourraient se montrer réticents face à l’industrialisation perçue de la nature. L’équilibre entre transparence technologique et valorisation du vivant sera clé.

Cette approche peut-elle s’étendre à d’autres cultures ?

La fraise, par sa capricieuse exigence en lumière, eau et température, constitue un excellent test. Mais la question de l’extension à d’autres fruits ou légumes demeure. Les cultures en grappes ou à forte valeur ajoutée, sensibles aux écarts de climat, sont des candidates naturelles : tomates premium, framboises, herbes aromatiques à haute densité. Toutefois, chaque espèce pose des contraintes de lumière et de nutriments spécifiques, qui demandent une ingénierie dédiée.

« On pourrait croire que tout est duplicable, mais il n’existe pas un modèle unique, il existe des modèles cousins », souligne Matteo Rinaldi, agronome consultant pour plusieurs serres européennes. « La rotation est un principe puissant, mais le rythme, la géométrie, la photopériode, tout doit être recalibré. Les décisions agronomiques restent au centre, la technologie est un amplificateur. »

Les coûts d’entrée réservent-ils cette technologie aux géants ?

Le ticket d’accès freine l’adoption par les agriculteurs indépendants. Un environnement entièrement contrôlé, avec mécanismes de rotation, LED, gestion énergétique et automatisation, requiert des capitaux rares. Le modèle Dyson ressemble davantage à une usine agro-technologique qu’à une exploitation familiale. Cela ne signifie pas pour autant que les plus petits acteurs sont exclus. Des modules à échelle réduite, des coopératives ou des montages financiers collectifs pourraient ouvrir des portes.

Le vrai défi se situe au niveau des compétences : opérateurs capables de gérer les paramètres de culture, techniciens en maintenance, agronomes familiarisés avec la data, ingénieurs énergétiques. Sans ce tissu de savoir-faire, la machine se grippe. « Nous avons mis trois mois à stabiliser une ligne de rotation qui à l’œil nu semblait parfaite », raconte Éléonore Vasseur. « Un demi-degré de trop, un lux en moins, et la fraise vous raconte sa mauvaise journée. »

L’impact environnemental est-il réellement meilleur ?

La ferme Dyson marque des points sur plusieurs tableaux : récupération d’eau de pluie, valorisation énergétique par digestion anaérobie, maîtrise des intrants. En contrôlant le milieu, on peut réduire les traitements, éviter les pertes liées aux aléas climatiques, augmenter l’efficacité de chaque goutte d’eau. Néanmoins, le bilan complet reste à évaluer sur le long terme : construction des structures massives, fabrication des LED, maintenance des équipements, renouvellement des pièces, logistique d’acheminement.

« Le vrai gain écologique, c’est l’addition de petits points d’efficacité qui finissent par compter », estime Anaïs Colombe. « Éviter un gel tardif qui détruit une récolte entière, économiser 15 % d’eau par circulation contrôlée, convertir des déchets agricoles en chaleur utile… Ce sont des bénéfices concrets. Ensuite, il faudra comparer au cas par cas selon les régions, les énergies locales et l’usage des produits. »

Quel récit industriel Dyson veut-il écrire avec cette ferme ?

Au-delà de la fraise, Dyson cherche à prouver que ses compétences de fabricant peuvent résoudre des problèmes systémiques : stabilité des approvisionnements, qualité régulière, moindre exposition aux aléas climatiques. En mettant en scène des plateformes d’aluminium « plus grandes que deux bus à impériale », l’entreprise revendique un imaginaire d’ingénieur au service du vivant. La serre devient un démonstrateur, un manifeste d’une agriculture hyper-contrôlée mais attentive à ses ressources, où les lignes de production remplacent les parcelles et où l’énergie circule en boucle.

Sur place, la cheffe d’équipe culture, Inès Cazalet, raconte la première floraison à pleine échelle : « On a entendu les ventilateurs s’ajuster, vu les LED passer d’un blanc froid à une nuance plus chaude, et tout à coup on a eu ce parfum de fraise qui s’échappe quand la serre est juste. On tenait quelque chose. Pas juste une machine, une orchestration. »

Cette stratégie peut-elle contribuer à la sécurité alimentaire ?

La pression démographique, les épisodes climatiques extrêmes et l’artificialisation des terres imposent de nouvelles méthodes pour sécuriser l’accès à une alimentation de qualité. Les serres de haute technicité, si elles ne remplaceront pas les champs ouverts, peuvent constituer des compléments résilients. Elles offrent une capacité à produire en continu, à proximité des bassins de consommation, et à limiter la dépendance aux importations saisonnières longues.

Le sujet dépasse la fraise britannique. Dans un monde où l’eau devient un vecteur de tension, où l’imprévisibilité météo renchérit les coûts, la standardisation de modules productifs peut ancrer une souveraineté alimentaire nouvelle. Encore faut-il que les chaînes énergétiques soient propres, que les matériaux soient durablement sourcés et que la gouvernance de ces systèmes ne marginalise pas les producteurs traditionnels. C’est là que se jouera l’acceptabilité sociale.

Quelles limites et quels risques faut-il garder en tête ?

Le premier risque est financier : immobiliser des dizaines de millions dans une technologie jeune suppose une vision longue et une tolérance aux aléas de marché. Le deuxième est technique : la complexité crée des points de défaillance. Une panne critique, un défaut de calibration lumière-eau, et les pertes peuvent devenir rapides et massives. Le troisième est culturel : une partie du public associe la qualité à la rusticité, à la saisonnalité, au terroir. Il faudra prouver, dégustation après dégustation, que la technicité peut rimer avec plaisir.

Enfin, la standardisation comporte un risque agricole : trop d’homogénéité génétique, trop de dépendance à un petit nombre de variétés optimisées pour le système. La diversité reste un rempart contre les maladies et les chocs imprévus. Les ingénieurs pourront faire tourner les plateformes, mais la résilience biologique reste une science agronomique et écologique qui excède les algorithmes.

Vers quel horizon concret se dirige ce modèle ?

À court terme, l’objectif est d’assurer une qualité constante, de stabiliser les coûts d’exploitation et de consolider la chaîne avec la distribution. À moyen terme, les déclinaisons à d’autres fruits rouges et certaines cultures à forte intensité de valeur sont probables, à condition d’adapter l’ingénierie. À long terme, la combinaison énergie circulaire + eau récupérée + rotation verticale pourrait devenir un standard pour des hubs agro-tech près des grandes villes européennes.

Le pari Dyson n’est pas seulement industriel, il est culturel. Il propose une vision où l’intelligence des systèmes répond à l’imprévisibilité du climat, où des plateformes monumentales dialoguent avec des micro-variations de spectre lumineux, où un déchet agricole devient chaleur et kilowatts. Cette vision n’abolit pas la terre, elle redéfinit un de ses visages, quelque part entre la fabrique et le jardin.

Conclusion

Dyson a posé une pierre lourde dans le champ de l’innovation agricole : une serre monumentale, une rotation verticale pensée comme un tempo industriel, une énergie issue des résidus voisins, une eau captée puis délivrée au millilitre près. Les chiffres frappent – rendements potentiellement multipliés, plus de 1 250 tonnes annuelles, plus d’un million de plants – mais c’est l’architecture globale qui intrigue : tout y est cycle, mesure, ajustement. Reste à éprouver la durabilité économique, l’empreinte écologique complète et l’adhésion des consommateurs à une fraise née dans un milieu où la technique joue le chef d’orchestre. Si le pari réussit, ce ne sera pas une simple histoire de fruit, mais une bifurcation dans la manière de penser la production alimentaire.

A retenir

Qu’est-ce qui rend la ferme de Dyson si différente ?

Les plants de fraises tournent sur des structures verticales de 5,5 mètres, optimisant lumière et espace, avec un pilotage par LED en hiver. La ferme est conçue comme un système industriel intégré, de l’énergie aux flux d’eau.

Quels sont les gains annoncés par rapport aux méthodes traditionnelles ?

Les rendements pourraient être augmentés jusqu’à 250 %, avec une amélioration supplémentaire d’environ 15 % liée à la gestion précise de l’irrigation et de la récupération d’eau de pluie.

Comment l’énergie est-elle produite et utilisée ?

Des digesteurs anaérobies transforment des résidus agricoles en gaz, alimentant un générateur qui chauffe la serre et fournit une électricité équivalente à celle consommée par 10 000 foyers.

Quelle est l’ampleur du site et quelle production annuelle vise-t-il ?

La serre s’étend sur 760 mètres et abrite environ 1 225 000 plants. La production dépasse les 1 250 tonnes de fraises par an.

Qui distribuera les fraises produites ?

Dyson s’appuie sur un partenariat avec l’enseigne britannique Marks & Spencer pour la commercialisation à grande échelle.

Cette technologie est-elle accessible aux petits producteurs ?

Le coût d’entrée est élevé et exige des compétences techniques. Des versions modulaires ou coopératives pourraient toutefois ouvrir des perspectives à des exploitations plus modestes.

Quels sont les effets environnementaux attendus ?

Moins de gaspillage d’eau, valorisation énergétique des déchets agricoles et réduction des pertes liées aux aléas climatiques. Le bilan global doit toutefois être évalué en intégrant la construction et la maintenance des équipements.

Peut-on adapter ce modèle à d’autres cultures ?

Oui, en priorité pour des espèces à forte valeur et sensibles au climat, comme certains fruits rouges et herbes. Chaque culture nécessite cependant un recalibrage agronomique précis.

Les consommateurs accepteront-ils une fraise produite en milieu très technologique ?

L’acceptation dépendra du goût, du prix et du récit. Si la qualité est au rendez-vous et que la démarche environnementale est crédible, l’adhésion peut suivre, notamment via la distribution partenaire.

Quel est l’objectif de long terme pour Dyson ?

Établir un modèle reproductible d’agriculture de précision à grande échelle, combinant rendement, stabilité d’approvisionnement et empreinte plus sobre, afin d’ouvrir une voie vers une nouvelle génération de serres industrielles.

Anita

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