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Frédérique Leclerc enquête sur les séismes en Grèce : ce qu’elle découvre est inquiétant

Depuis le début de l’année, l’archipel des Cyclades, joyau de la mer Égée, vit au rythme inquiétant de milliers de secousses telluriques. Santorin, île mythique aux maisons blanches dominant les falaises, est devenue le cœur d’une crise géologique sans précédent. Plus de 11 000 habitants ont été évacués, les rues désertées, les hôtels fermés. L’île, habituellement envahie par les touristes venus admirer ses couchers de soleil légendaires, semble retenir son souffle. Car derrière ces tremblements répétés se profile une menace ancienne, celle d’un réveil du volcan de Santorin, capable de déclencher un séisme majeur suivi d’un tsunami dévastateur. Pour comprendre ce qui se joue sous la surface, des scientifiques comme la géologue Frédérique Leclerc se mobilisent. À bord du navire l’Europe, en avril, elle a entamé une mission cruciale : décrypter les signes avant-coureurs d’une catastrophe que l’histoire a déjà connue.

Quelle est l’origine de ces séismes à Santorin ?

Les Cyclades sont situées à un carrefour géologique particulièrement instable, là où la plaque africaine plonge sous la plaque eurasiatique. Cette subduction crée une pression constante, libérée par intermittence sous forme de séismes. Mais à Santorin, le phénomène est amplifié par la présence d’un système volcanique actif, l’un des plus surveillés d’Europe. Depuis janvier, plus de 7 700 tremblements ont été enregistrés, principalement de faible magnitude, mais leur fréquence inquiète.

Frédérique Leclerc, géologue niçoise spécialisée dans les risques sismiques, explique que ce n’est pas le nombre de séismes en lui-même qui est alarmant, mais leur nature . À bord du navire l’Europe, elle a participé à une campagne d’exploration sous-marine visant à cartographier les failles autour de l’île. On observe une migration des épicentres vers l’est, près de l’ancien cratère du volcan. Cela suggère une remontée de magma, ou du moins une pression accrue dans le réservoir magmatique , précise-t-elle. Ce type d’activité, appelé essaim sismique , peut précéder une éruption, bien que cela ne soit pas inéluctable.

À Fira, capitale de Santorin, Elias Petrakis, pêcheur de père en fils, raconte : Depuis janvier, on sent les secousses même en mer. Mon bateau tressaute parfois comme s’il heurtait un rocher. Les poissons ont changé de comportement, ils restent plus profonds. Son témoignage, corroboré par d’autres marins, souligne l’impact direct de l’activité géologique sur l’écosystème marin.

Le volcan de Santorin peut-il entrer en éruption ?

Le dernier grand épisode volcanique de Santorin remonte à 1950, mais l’histoire en garde la trace la plus marquante : l’éruption de Théra, vers 1600 avant J.-C., l’une des plus violentes de l’Antiquité. Elle aurait contribué à la chute de la civilisation minoenne et inspiré le mythe de l’Atlantide. Aujourd’hui, le système volcanique est surveillé en continu par le Centre de recherche géodynamique de l’université d’Athènes. Des capteurs GPS, des sismomètres et des stations de mesure des gaz sont déployés sur l’île et en mer.

Les données récentes montrent un gonflement du sol, mesuré à plusieurs centimètres près du village d’Akrotiri. Ce phénomène, appelé déformation crustale , est souvent lié à l’accumulation de magma. Cela ne veut pas dire qu’une éruption est imminente, tempère Frédérique Leclerc, mais cela indique une activité souterraine significative. On est dans une phase de préparation, pas encore d’explosion.

Le scénario le plus probable, selon les modèles actuels, serait une éruption phréatique — c’est-à-dire provoquée par la rencontre de magma et d’eau — plutôt qu’un effondrement cataclysmique du cône volcanique. Ce serait moins spectaculaire qu’en 1600 av. J.-C., mais potentiellement très dangereux pour la population locale , ajoute la géologue.

À Athènes, le professeur Nikos Vlahakis, sismologue au sein du projet HELPOS (Hellenic Observatory for Seismic Processes), souligne que l’évacuation de 11 000 personnes n’est pas une décision prise à la légère. Elle reflète une stratégie de prévention basée sur des modèles probabilistes. Mieux vaut évacuer trop tôt que trop tard.

Un tsunami est-il possible ?

La menace d’un tsunami hante les esprits, surtout après le souvenir du 9 juillet 1956. Ce jour-là, un séisme de magnitude 7,7 au large d’Amorgos a provoqué un raz-de-marée aux vagues atteignant 20 mètres de haut, tuant 54 personnes et ravageant plusieurs villages côtiers. Santorin, en raison de sa topographie en caldeira — un cratère effondré rempli d’eau —, est particulièrement vulnérable à ce type de phénomène.

Une éruption sous-marine, même modérée, peut déplacer d’énormes volumes d’eau , explique Frédérique Leclerc. Des simulations menées par l’Institut océanographique d’Athènes montrent que, selon l’ampleur de l’éruption, un tsunami pourrait atteindre les côtes de Santorin en moins de 15 minutes, avec des vagues de 5 à 10 mètres. Les îles voisines, comme Mykonos ou Naxos, seraient touchées dans la demi-heure suivante.

Sur l’île d’Amorgos, où les cicatrices du tsunami de 1956 sont encore visibles, Maria Kostas, octogénaire et ancienne institutrice, se souvient : J’avais dix ans. J’ai vu l’eau reculer, comme aspirée par la mer. Puis la vague est arrivée, plus haute que les maisons. Aujourd’hui, quand j’entends parler de Santorin, j’ai peur que l’histoire se répète.

Des exercices d’évacuation ont été organisés dans plusieurs îles des Cyclades, avec des sirènes d’alerte et des itinéraires balisés vers les hauteurs. Mais la réalité du terrain reste complexe : sur des îles touristiques, les infrastructures d’urgence sont souvent limitées, et la densité de population en été rend l’évacuation rapide quasi impossible.

Comment les autorités grecques réagissent-elles à cette crise ?

Le gouvernement grec a décrété l’état d’urgence à Santorin dès février, mobilisant l’armée, la protection civile et les services médicaux. Des centres d’hébergement ont été installés sur l’île de Crète, où de nombreux évacués ont été accueillis. Un système d’alerte précoce, basé sur les données du réseau sismique national, a été renforcé.

Le ministre de la Protection civile, Dimitris Kourkoulas, a affirmé : Nous ne prenons aucun risque. Même si la probabilité d’une éruption majeure est faible, l’enjeu humain est trop important pour attendre.

Cependant, cette gestion de crise soulève des tensions économiques. Santorin vit à 80 % du tourisme. L’arrêt des vols, la fermeture des hôtels et la désertion des rues ont un coût colossal. On nous dit de rester prudents, mais qui va nous dédommager ? s’interroge Léonidas Roubakis, propriétaire d’un hôtel familial à Oia. J’ai investi pendant dix ans pour créer ce lieu. Aujourd’hui, tout est vide.

Des voix s’élèvent aussi pour critiquer la communication des autorités. On nous parle de risques, mais sans précision. Est-ce qu’on peut revenir dans un mois ? Dans un an ? Personne ne sait , déplore Eleni Markopoulos, enseignante évacuée avec ses deux enfants.

Quelles sont les leçons du passé pour anticiper l’avenir ?

L’histoire géologique des Cyclades est riche d’enseignements. Des études menées sur les dépôts sédimentaires au fond de la mer Égée ont révélé plusieurs épisodes de tsunamis liés à des éruptions ou des glissements de terrain sous-marins. On a identifié au moins six grands événements similaires au cours des 5 000 dernières années , indique Frédérique Leclerc.

Ces données permettent d’affiner les modèles de risque. Par exemple, on sait que les éruptions de Santorin se produisent en moyenne tous les 300 à 400 ans. La dernière remonte à 1950, ce qui place l’archipel dans une fenêtre temporelle potentiellement critique. Ce n’est pas une prédiction, nuance la géologue, mais un signal d’alerte. La nature ne fonctionne pas sur un calendrier régulier, mais elle suit des cycles.

À Naxos, le jeune archéologue Théodore Mavros travaille sur les vestiges d’un ancien port englouti. Ce site, daté du Xe siècle av. J.-C., a été submergé par une vague. Les pierres sont encore tordues, déplacées. C’est une preuve tangible que ces phénomènes ne sont pas théoriques. Ils ont façonné l’histoire de ces îles.

Quel avenir pour Santorin et ses habitants ?

L’incertitude plane. Les scientifiques espèrent que l’essaim sismique s’atténuera naturellement, comme cela s’est produit en 2012, lorsque plus de 1 000 séismes avaient déjà inquiété la région sans qu’aucune éruption ne suive. Mais cette fois, l’ampleur du phénomène est sans commune mesure.

Le retour des habitants dépendra de la stabilisation des données. On ne pourra pas réintégrer l’île tant que la déformation du sol ne sera pas stabilisée et que les séismes ne seront pas revenus à un niveau de fond , explique le professeur Vlahakis.

Entre science, mémoire collective et enjeux économiques, Santorin incarne un défi moderne : comment vivre avec un risque naturel permanent ? Pour Frédérique Leclerc, la réponse passe par une meilleure éducation du public. Il ne s’agit pas de dramatiser, mais d’informer. Comprendre la géologie, c’est mieux se préparer.

A retenir

Quel est le lien entre les séismes et le volcan de Santorin ?

Les milliers de séismes enregistrés depuis janvier sont liés à une activité magmatique en profondeur. La migration des épicentres et la déformation du sol suggèrent une pression accrue dans le réservoir volcanique, signe d’un possible réveil du système.

Une éruption est-elle imminente ?

Non, une éruption n’est pas certaine. Les signes observés indiquent une phase de préparation, mais l’histoire montre que de tels essaims peuvent s’atténuer sans aboutir à une éruption. La surveillance reste cruciale.

Le risque de tsunami est-il réel ?

Oui, il est réel, notamment en cas d’éruption sous-marine ou de glissement de terrain dans la caldeira. Le tsunami de 1956, qui a frappé Amorgos, reste une référence pour les scénarios d’urgence.

Pourquoi autant de personnes ont-elles été évacuées ?

L’évacuation de 11 000 personnes est une mesure de précaution face à l’incertitude des modèles. En zone volcanique, la sécurité prime sur l’économie, surtout avec la menace d’un tsunami à propagation rapide.

Quand les habitants pourront-ils rentrer chez eux ?

Cela dépend de la stabilisation des paramètres géologiques : fin de l’essaim sismique, arrêt de la déformation du sol, et retour à un niveau de risque acceptable. Aucune date n’est pour l’instant annoncée.

Anita

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