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L’hôpital d’Alençon perd 68 500 € par jour, alerte son directeur

En janvier 2025, le Centre hospitalier intercommunal d’Alençon-Mamers (Chicam) entre dans une nouvelle ère, marquée par une direction aux mains de Patrick Faugerolas, nommé à la tête d’un établissement en crise financière profonde. Alors que les syndicats dénoncent un plan social qui ne dit pas son nom , le nouveau directeur se veut transparent : derrière les chiffres effrayants, il y a une réalité structurelle, des années de déséquilibres accumulés, et désormais, une nécessité de réformer sans délai. Ce n’est pas une simple restructuration, mais une remise à plat d’un système en souffrance, où chaque décision engage la pérennité des soins sur un territoire rural confronté à des enjeux de santé publique croissants. À travers témoignages, analyses et explications, cet article décrypte la situation du Chicam, ses causes, ses conséquences, et les pistes de sortie de crise.

Quel est l’état réel des finances de l’hôpital d’Alençon-Mamers ?

Le bilan financier du Chicam à la fin de l’année 2024 est alarmant. Le déficit s’élève à 17 millions d’euros, mais cette somme ne reflète qu’une partie de la vérité. Grâce à une aide exceptionnelle de 8 millions d’euros de l’Agence régionale de santé (ARS), l’hôpital a pu atténuer les effets immédiats d’un gouffre bien plus large. Sans cette intervention, le déficit aurait atteint 25 millions d’euros. En d’autres termes, l’établissement perdait quotidiennement l’équivalent de 68 500 euros. Une hémorragie financière qui ne peut plus être ignorée.

Patrick Faugerolas, qui a pris ses fonctions au 1er janvier 2025, insiste sur un autre point souvent méconnu : en 2024, le Chicam n’avait pas payé ses charges fiscales et sociales, représentant plus de 23 millions d’euros. Ces dettes, aujourd’hui en cours de règlement, témoignent d’un désordre structurel qui va bien au-delà d’un simple excédent de dépenses. Ce n’est pas une mauvaise gestion ponctuelle, explique-t-il. C’est un système qui s’est dégradé sur plusieurs années, avec des décisions reportées, des ajustements non faits, et une pression croissante sur les ressources humaines et matérielles.

Comment en est-on arrivé là ?

Les racines de la crise sont multiples. D’abord, une perte progressive de patients, notamment dans les spécialités chirurgicales et médicales, qui ont vu leur activité diminuer de 18 % en cinq ans. On a perdu des compétences, des praticiens, et du coup, la confiance des patients , confie Lucie Berthier, infirmière en réanimation depuis douze ans. Beaucoup préfèrent désormais aller à Le Mans ou à Caen, même si cela représente une heure de route. Ils pensent y trouver des soins plus sûrs, plus modernes.

Par ailleurs, l’hôpital a dû faire face à une inflation des coûts, notamment liés aux médicaments, aux équipements de sécurité, et à la maintenance des bâtiments vieillissants. Or, les recettes, elles, n’ont pas suivi. Le financement hospitalier, basé sur le tarif à l’acte (T2A), pénalise les établissements en perte d’activité. Moins de patients, moins de financement, moins de moyens, et ainsi de suite, dans un cercle vicieux difficile à briser.

Un autre facteur clé : la pénurie de personnel. Depuis 2020, le Chicam a perdu près de 120 postes, non remplacés. On travaille à flux tendu, témoigne Thomas Lemaire, cadre de santé en pédiatrie. Les équipes sont épuisées, la pression est constante. Quand un collègue tombe malade, c’est la panique. On ferme des lits, on reporte des interventions. Cette situation a accéléré l’usure des agents, découragé les recrutements, et fragilisé davantage encore la qualité des soins.

Les syndicats parlent de plan social déguisé : est-ce justifié ?

La colère des syndicats, notamment de la CGT et de FO, est compréhensible. En novembre 2024, une note interne annonçait la suppression de 47 postes, dont 15 en soins infirmiers. Officiellement, il ne s’agit pas d’un plan social, mais d’un redéploiement stratégique . Pourtant, pour les représentants du personnel, la distinction est de pure forme. On supprime des emplois, on ferme des services, on réduit l’offre de soins, alors que la population vieillit et que les besoins augmentent , s’indigne Élodie Rivet, déléguée syndicale à la CGT. Appeler ça autrement ne change rien à la réalité : c’est un plan social.

Patrick Faugerolas reconnaît la gravité des mesures, mais les justifie par la nécessité de sauver l’établissement. Je n’ai pas le luxe de pouvoir maintenir des postes qui ne sont plus financés. Si on ne fait rien, dans deux ans, il n’y aura plus d’hôpital du tout. Selon lui, le redéploiement vise à recentrer les activités sur les missions de soins essentielles, en priorisant l’urgence, la gériatrie et les soins de suite. Les services moins rentables ou trop peu fréquentés seront rationalisés, voire fusionnés avec d’autres établissements du bassin.

Quelles sont les alternatives envisagées pour redresser la situation ?

Le plan de redressement présenté par la direction repose sur trois piliers : la maîtrise des dépenses, la relance de l’activité médicale, et le renforcement de l’attractivité du site.

Pour maîtriser les coûts, l’hôpital a engagé une révision complète de ses achats, notamment via un regroupement avec d’autres établissements du département. Un audit externe a également été lancé sur la gestion de l’énergie, les déchets, et les prestations de service. On a identifié des économies potentielles de 2,3 millions d’euros sur trois ans, sans toucher aux soins , précise Faugerolas.

La relance de l’activité passe par des partenariats stratégiques. Un accord est en cours de finalisation avec le CHU de Caen pour mutualiser certaines spécialités, comme la cardiologie interventionnelle. L’objectif : permettre aux patients du Chicam d’accéder à des soins de haut niveau sans quitter le territoire, tout en évitant de devoir recréer des services coûteux en interne.

Enfin, l’attractivité du site est au cœur des efforts. Un plan de recrutement ambitieux a été lancé, avec des primes à l’embauche, des logements de fonction, et des parcours de carrière clarifiés. On a recruté six nouveaux médecins en trois mois, dont deux anesthésistes , se félicite Faugerolas. Des discussions sont également en cours avec l’université de Caen pour développer des stages et des formations sur place, afin de fidéliser les jeunes professionnels.

Quel impact sur les patients et les habitants du territoire ?

La fermeture partielle de certains services inquiète légitimement la population. À Mamers, ville de 10 000 habitants, l’hôpital est un pilier du quotidien. Avant, on pouvait y faire une coloscopie, une cataracte, même une coronarographie. Maintenant, on nous envoie à 70 km , regrette Gérard Vasseur, retraité de 78 ans. À mon âge, chaque déplacement est une épreuve.

Pourtant, les autorités sanitaires insistent sur la nécessité de mutualiser les ressources. Le modèle de l’hôpital multiservice en milieu rural n’est plus viable partout , affirme une source au sein de l’ARS. Il faut choisir : maintenir des services fantômes, ou garantir des soins de qualité en concentrant les moyens.

Le Chicam mise sur une nouvelle organisation : des unités de soins de proximité, des consultations coordonnées, et un réseau de télémédecine en développement. On ne ferme pas l’hôpital, on le transforme , résume Faugerolas. Un centre de santé urbain devrait ouvrir à Alençon en 2026, proposant des consultations spécialisées, des bilans pré-opératoires, et du suivi chronique, pour éviter les déplacements inutiles.

Quel avenir pour les personnels soignants ?

Pour les agents du Chicam, l’incertitude est grande. Si certains redoutent le départ forcé ou la relocalisation, d’autres voient dans cette crise une opportunité de changement. Travailler dans un hôpital stable, c’est déjà un progrès , estime Camille Thibault, infirmière en oncologie. Avant, on n’avait même pas assez de compresses. Aujourd’hui, on parle d’investir dans du matériel, de revaloriser les postes. Ce n’est pas parfait, mais c’est un début.

Un comité social d’entreprise (CSE) a été mis en place pour accompagner les transitions. Des formations sont proposées pour permettre aux personnels de se reconvertir ou de monter en compétences. On ne veut pas d’exode, on veut du renouveau , insiste le directeur. Un fonds de solidarité interne a aussi été créé pour soutenir les agents les plus touchés par les restructurations.

La crise du Chicam est-elle un cas isolé ?

Malheureusement non. Le Chicam reflète une tendance nationale. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2024, plus de 40 % des hôpitaux publics en France sont en situation déficitaire, et 15 % connaissent des déséquilibres structurels graves. Les établissements ruraux sont particulièrement vulnérables, confrontés à la fois à la désertification médicale, à la baisse d’activité, et à des contraintes budgétaires de plus en plus serrées.

Ce qu’on vit ici, c’est un miroir de ce que vivent beaucoup d’hôpitaux de petite et moyenne taille , analyse Émilie Chassagne, économiste de la santé à l’Observatoire régional. Sans une refonte du modèle de financement hospitalier, ces établissements seront condamnés à disparaître ou à se transformer en simples relais de soins.

Quelle est la conclusion de cette crise ?

La situation du Chicam n’est pas désespérée, mais elle exige des décisions courageuses. Patrick Faugerolas incarne une direction qui assume la nécessité de réformes douloureuses, tout en cherchant à préserver l’essentiel : l’accès aux soins pour tous, sur un territoire qui ne peut pas tout attendre des grandes villes. Le redressement financier est un préalable à tout, mais il ne saurait être le seul objectif. La véritable réussite sera mesurée à la capacité de l’hôpital à retrouver la confiance des patients, à stabiliser ses équipes, et à s’inscrire dans un nouveau modèle de santé de proximité, durable et adapté.

A retenir

Quel est le montant réel du déficit du Chicam ?

Le déficit du Chicam s’élève à 17 millions d’euros à fin 2024, mais atteindrait 25 millions sans une aide de 8 millions d’euros de l’ARS. L’établissement perdait environ 68 500 euros par jour.

Pourquoi les syndicats parlent-ils de plan social déguisé ?

Les syndicats dénoncent la suppression de 47 postes, dont 15 en soins infirmiers, qu’ils jugent équivalente à un plan social, malgré une terminologie officielle différente.

Quelles mesures sont prises pour redresser l’hôpital ?

Le plan de redressement inclut une maîtrise des dépenses, une relance de l’activité via des partenariats (notamment avec le CHU de Caen), et des efforts pour recruter et fidéliser le personnel.

Les patients vont-ils perdre en qualité de soins ?

L’objectif est de maintenir les soins essentiels tout en rationalisant l’offre. Des services moins fréquentés seront réduits, mais des alternatives comme la télémédecine et des consultations mutualisées sont développées.

Le Chicam est-il le seul hôpital concerné par ce type de crise ?

Non, la situation du Chicam reflète une tendance nationale. De nombreux hôpitaux ruraux en France sont confrontés à des déficits structurels et à des difficultés de recrutement, menaçant leur pérennité.

Anita

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