Quarante Ans De Travail A L Esat De Bayeux
Le 23 septembre 2025 restera une date marquante pour l’Établissement et service d’aide par le travail Hélène-Mac-Dougal, niché aux portes de Bayeux, dans le Calvados. Ce jour-là, c’est une carrière de près de quatre décennies qui a été célébrée, celle de Nadine Dubreuil, figure emblématique de la structure. À l’occasion d’une cérémonie discrète mais chargée d’émotion, la direction des Foyers de Cluny du Calvados a rendu hommage à une femme dont le dévouement incarne l’esprit même de l’Esat : accompagner, valoriser, permettre. Autour d’elle, collègues, résidents et partenaires ont partagé leurs souvenirs, leurs remerciements, et leurs espoirs pour la suite. Car derrière chaque geste posé, chaque atelier supervisé, chaque regard croisé, il y a une histoire humaine, faite de résilience, de solidarité et de dignité retrouvée.
Nadine Dubreuil a intégré l’Esat Hélène-Mac-Dougal en 1986, alors que la structure n’était qu’à ses débuts. À l’époque, les modes d’accompagnement des personnes en situation de handicap étaient encore balbutiants, marqués par une logique d’isolement plus que d’inclusion. Elle y est entrée comme accompagnante technique, sans imaginer qu’elle y consacrerait toute sa vie professionnelle. Je suis à l’Esat depuis trente-neuf ans ! , lance-t-elle avec un sourire éclatant lors de la cérémonie. Trente-neuf ans, ce n’est pas seulement une durée, c’est une transformation vécue de l’intérieur. Nadine a vu l’évolution des pratiques, des mentalités, des politiques publiques. Elle a accompagné des générations de travailleurs en situation de handicap, souvent considérés comme inemployables par le monde ordinaire, et leur a offert un espace où leur valeur était reconnue.
Quand je suis arrivée, on parlait encore de “bénéficiaires”, pas de “travailleurs”. On ne leur donnait pas de salaire, juste une allocation. Aujourd’hui, ils ont des fiches de paie, des droits, des projets. C’est énorme , confie-t-elle. Son témoignage résonne comme un fil rouge dans l’histoire de l’Esat. Elle a été témoin de la mise en place du statut de travailleur ESAT, de l’introduction de contrats aidés, de la création d’ateliers spécialisés. Mais surtout, elle a incarné au quotidien une philosophie : chaque personne, quelle que soit sa situation, mérite de contribuer, de produire, d’être utile.
L’Établissement et service d’aide par le travail Hélène-Mac-Dougal accueille une centaine de personnes en situation de handicap, principalement psychique ou cognitif, qui ne peuvent pas accéder au marché du travail classique. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’Esat n’est pas un lieu de simple occupation. Il s’agit d’un lieu de travail à part entière, où les personnes perçoivent une rémunération, bénéficient d’un accompagnement social et médical, et participent à des activités productives.
Les ateliers de l’Esat sont variés : conditionnement, emballage, entretien de locaux, maroquinerie, impression numérique, ou encore entretien d’espaces verts. Certains services sont sous-traités par des entreprises locales, ce qui crée un lien concret avec l’économie du territoire. Ce n’est pas du bricolage, c’est du travail vrai , insiste Élodie Rameau, coordinatrice pédagogique. Nos collaborateurs produisent des milliers d’unités par mois, respectent des délais, des normes. Ils sont professionnels.
Le travail à l’Esat n’a pas seulement une dimension économique. Il est fondateur de lien social, de confiance en soi, d’autonomie. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils ont un emploi, un rythme, une reconnaissance. Avant, je restais enfermé chez moi, je ne parlais à personne , raconte Thierry Lenoir, présent à l’Esat depuis douze ans. Ici, j’ai appris à parler aux autres, à tenir un planning, à me sentir utile. Nadine, elle m’a dit un jour : “Tu fais bien ton travail, Thierry.” C’est la première fois qu’un adulte me disait ça.
Son influence dépasse largement son rôle officiel. Nadine Dubreuil n’a jamais été seulement une accompagnante. Elle a été une formatrice, une médiatrice, une mémoire vivante de l’établissement. Elle a formé des dizaines de nouveaux employés, transmis une culture du respect, de l’exigence bienveillante. Elle a cette capacité à voir les forces là où d’autres ne voient que des limites , témoigne Julien Ferrand, éducateur spécialisé. Elle sait adapter son approche à chacun, sans jamais baisser les bras.
Elle a aussi été à l’initiative de plusieurs innovations. C’est elle qui a proposé, dans les années 2000, de créer un atelier de maroquinerie artisanale, en partenariat avec un artisan local. Un projet risqué, mais qui a permis à une dizaine de résidents de développer des compétences techniques, de vendre leurs créations sur les marchés locaux, et même d’exposer dans une galerie d’art à Caen. On ne leur apprend pas juste à coudre, on leur apprend à signer leurs œuvres, à en parler, à être fiers , explique-t-elle.
Son engagement va au-delà du cadre professionnel. Elle a organisé des sorties culturelles, des repas collectifs, des ateliers de théâtre. Elle a accompagné des résidents lors de leurs premiers voyages en train, leurs premières inscriptions à la bibliothèque, leurs premières démarches administratives. Elle a été comme une tante pour beaucoup d’entre nous , confie Amina Belkacem, ancienne résidente devenue accompagnante à mi-temps. Elle ne jugeait pas, elle aidait. Et elle savait rire, même dans les moments durs.
La célébration de Nadine Dubreuil coïncide avec une période de transition pour l’Esat. L’établissement s’inscrit dans un projet de modernisation ambitieux, porté par les Foyers de Cluny du Calvados. L’objectif : renforcer l’autonomie des résidents, développer les partenariats avec le milieu ordinaire, et faciliter les passerelles vers l’emploi. On ne veut pas que l’Esat soit une fin, mais une étape , précise Élodie Rameau. Des projets pilotes de travail accompagné en entreprise sont en cours d’expérimentation, avec des conventions avec des supermarchés, des hôtels, ou des ateliers de réparation.
Par ailleurs, la structure investit dans la formation continue des accompagnants, en lien avec des universités et des centres de recherche en ergonomie sociale. On ne peut pas rester sur nos acquis , souligne Julien Ferrand. Les besoins évoluent, les diagnostics sont plus précis, les attentes des usagers plus fortes. Il faut repenser l’accompagnement, le rendre plus personnalisé, plus digitalisé aussi.
Nadine Dubreuil, bien qu’à la veille d’une retraite bien méritée, reste impliquée. Elle participe à la rédaction d’un guide interne sur les bonnes pratiques d’accompagnement, basé sur son expérience. Je veux que ce qu’on a appris, parfois dans la douleur, ne se perde pas , dit-elle. Ce n’est pas moi qu’il faut retenir, c’est ce qu’on a construit ensemble.
Le rôle de l’Esat ne se limite pas à ses murs. Il rayonne dans la ville. Grâce à ses activités, il participe à l’économie locale. Grâce à ses résidents, il humanise l’espace public. Des habitants de Bayeux témoignent d’avoir croisé Thierry ou Amina au marché, d’avoir acheté un sac fait main, d’avoir échangé un sourire, un mot. Avant, on ne voyait pas ces personnes. Elles étaient invisibles. Maintenant, elles font partie de la ville , observe Jeanne Vasseur, commerçante en centre-ville.
Des écoles primaires ont également initié des visites pédagogiques à l’Esat, pour sensibiliser les enfants au handicap. On leur montre qu’on est différent, mais pas inférieur , résume Amina. Ces échanges brisent les préjugés, construisent une culture de l’inclusion. Un Esat, c’est un laboratoire de citoyenneté , affirme Élodie Rameau. Il nous oblige à repenser ce qu’est le travail, la valeur, la dignité.
Malgré les progrès, les Esat font face à des obstacles persistants. Le financement reste fragile, dépendant en grande partie des subventions publiques. La reconnaissance du travail des résidents, bien que légale, n’est pas toujours effective dans les mentalités. Et la transition vers le milieu ordinaire reste un parcours semé d’embûches.
On manque encore de visibilité , déplore Julien Ferrand. Les entreprises hésitent à nous faire confiance, même quand on leur propose des prestations de qualité. Il y a un travail d’éducation à mener.
Par ailleurs, le vieillissement des accompagnants pose question. Beaucoup, comme Nadine Dubreuil, partent à la retraite, et il est parfois difficile de trouver des profils aussi investis, aussi expérimentés. On a besoin de jeunes motivés, formés, mais aussi de moyens pour les retenir , insiste Élodie Rameau. Le salaire dans le médico-social n’est pas toujours à la hauteur de l’engagement demandé.
La cérémonie en l’honneur de Nadine Dubreuil n’était pas seulement une reconnaissance individuelle. C’était un hommage à une génération d’accompagnants qui ont fait évoluer, pas à pas, la place des personnes en situation de handicap dans la société. C’était aussi un rappel : derrière chaque structure d’insertion, il y a des hommes et des femmes qui construisent, jour après jour, un monde plus juste. L’Esat Hélène-Mac-Dougal, à Bayeux, continue son chemin. Avec ou sans Nadine, son empreinte restera. Car elle aura, pendant trente-neuf ans, fait ce que beaucoup pensaient impossible : donner du sens au travail, même là où on ne croyait plus en la possibilité de produire.
Un Établissement et service d’aide par le travail (Esat) accueille des personnes en situation de handicap qui ne peuvent pas travailler dans le milieu ordinaire. Il leur propose un emploi adapté, une rémunération, et un accompagnement social et médical.
Oui, elles perçoivent une rémunération au moins égale à 55 % du Smic, proportionnelle à leur temps de travail et leur niveau d’autonomie. Elles bénéficient également de certains droits sociaux.
Les activités varient selon les structures : conditionnement, nettoyage, maroquinerie, impression, entretien d’espaces verts, cuisine, ou encore services aux entreprises. Certaines structures développent aussi des projets culturels ou artisanaux.
Oui, bien que ce ne soit pas systématique. Certains résidents bénéficient d’un accompagnement vers l’emploi ordinaire, via des dispositifs comme le parcours vers l’emploi ou les contrats de transition.
L’Esat est géré par l’association les Foyers de Cluny du Calvados, qui intervient dans plusieurs domaines du médico-social dans la région.
C’est un lieu où le travail est conçu comme un levier d’insertion, de dignité et de reconnaissance. Porté par des professionnels engagés comme Nadine Dubreuil, il illustre la possibilité d’un accompagnement humain, durable et productif.
Que l’engagement de longue durée, fondé sur l’écoute et la bienveillance, peut transformer des vies. Et que chaque personne, quelle que soit sa situation, mérite une chance de contribuer à la société.
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