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La Seine-Maritime quitte le financement d’Atmo Normandie : conséquences sur la qualité de l’air en 2025

En ce début d’automne, un silence inquiétant s’installe autour de la qualité de l’air en Normandie. Si les feuilles tombent en douceur, les alertes environnementales, elles, s’accumulent. À l’observatoire Atmo Normandie, qui fête cette année ses cinquante ans d’existence, l’ambiance est tendue. L’institution, chargée de surveiller la pollution atmosphérique dans la région, est secouée par une décision brutale : le Département de la Seine-Maritime, principal financeur local, annonce un retrait progressif de ses subventions. Une décision qui, pour les acteurs de la santé publique et de l’environnement, ressemble à une mise en danger calculée des habitants. Pourtant, derrière les chiffres et les postures politiques, ce sont des vies qui sont en jeu — celles de familles comme celle de Camille Lefebvre, mère de deux enfants asthmatiques à Rouen, ou de Thomas Régnier, pompier du Sdis 76, confronté chaque jour aux conséquences des feux industriels. Ce conflit, apparemment technique, révèle une fracture profonde entre priorités budgétaires et santé collective.

Quelle est la situation actuelle de la qualité de l’air en Normandie ?

Malgré des progrès constatés depuis plusieurs décennies, la qualité de l’air en Normandie reste préoccupante, surtout dans les zones urbaines et industrielles. Selon Atmo Normandie, les cinq départements de la région affichent une qualité d’air classée moyenne en cette période automnale. Ce niveau signifie que certaines populations sensibles — enfants, personnes âgées, malades respiratoires — sont exposées à des risques accrus. La Seine-Maritime, en particulier, concentre les plus fortes pressions : deux grandes agglomérations (Rouen et Le Havre), des ports actifs, et une densité industrielle importante. On ne parle pas ici de pollution occasionnelle, mais d’une exposition chronique , souligne Élise Garnier, coordinatrice scientifique chez France Nature Environnement Normandie. Les particules fines, les oxydes d’azote, les composés organiques volatils — tout cela s’accumule dans les poumons de nos concitoyens.

Pourquoi Atmo Normandie est-elle menacée financièrement ?

Le cœur du problème réside dans la décision du Conseil départemental de la Seine-Maritime de réduire de 50 % sa subvention à Atmo Normandie en 2025, puis de la supprimer totalement en 2026. Une mesure qui, sur le papier, représente un montant modeste — 67 000 euros en 2024, soit 0,0028 % du budget départemental. Mais pour les associations membres d’Atmo, ce geste symbolise un abandon des responsabilités. C’est une économie de bouts de chandelle sur le dos de la santé publique , dénonce Julien Vasseur, représentant de l’UFC-Que Choisir Rouen. On coupe une subvention dérisoire alors que les enjeux de santé sont colossaux.

Quels sont les arguments du Département ?

Le Département justifie sa décision par des contraintes budgétaires et une réorientation des compétences. Selon ses services, la surveillance de la qualité de l’air relève désormais de la compétence de la Région Normandie. Or, celle-ci affirme déjà contribuer à hauteur de 235 000 euros par an. On ne peut pas tout financer , explique un élu du département sous couvert d’anonymat. Nous devons prioriser les dépenses sociales, l’aide aux personnes âgées, les transports scolaires. Une logique que contestent les militants : La santé publique, c’est social , rétorque Élise Garnier. Un enfant asthmatique, ce n’est pas un chiffre, c’est un enfant qui souffre, qui rate l’école, dont la famille est en stress permanent.

Atmo Normandie peut-il survivre sans le soutien du Département ?

Techniquement, oui. Le budget annuel d’Atmo Normandie s’élève à 4,5 millions d’euros, financé à hauteur de 1,4 million par l’État, 1,6 million par les industriels (via la taxe générale sur les activités polluantes), et 820 000 euros par les collectivités. Le retrait de la Seine-Maritime, bien que symboliquement fort, ne met pas en péril l’existence de l’organisme. Mais il fragilise ses marges, limite ses projets d’innovation, et surtout, affaiblit son indépendance. Les industriels paient, certes, mais cela crée une dépendance , alerte Julien Vasseur. Si on veut mesurer l’impact d’une usine sur son environnement, il faut pouvoir le faire sans pression.

Quels projets sont menacés ?

Un exemple concret : le projet de prélèvement par drones en cas d’incendie majeur, comme celui qui avait frappé Lubrizol à Rouen en 2019. Atmo travaille avec le Sdis 76 (Service départemental d’incendie et de secours) à mettre en place un dispositif de mesures aériennes rapides pour analyser la composition toxique des fumées. Mais ce projet nécessite des financements supplémentaires. On ne peut pas demander aux pompiers de faire de la chimie , explique Thomas Régnier, lieutenant pompier à Rouen. Notre rôle, c’est d’éteindre le feu et de sauver des vies. Mais après, il faut savoir ce que les habitants ont respiré. Sans subvention du département, ce type d’initiative risque d’être gelé.

Quelles sont les conséquences sanitaires de la pollution en Normandie ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon les estimations d’Atmo et de ses partenaires, 1 500 cas d’asthme chez l’enfant, 4 380 maladies respiratoires et cardiovasculaires, et 500 cas de diabète pourraient être évités chaque année en Normandie si la qualité de l’air atteignait les seuils recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Camille Lefebvre, enseignante à Mont-Saint-Aignan, connaît cette réalité de près. Mon fils Théo a six ans, et il a eu son premier asthme à quatre. Depuis, chaque automne, c’est la course aux inhalateurs, aux urgences. Elle vit à 800 mètres d’une zone industrielle. On nous dit que l’air est “moyen”. Moi, je dis qu’il est irrespirable.

La pollution de l’air est-elle sous-estimée ?

Oui, selon plusieurs experts. Les seuils réglementaires français sont encore trop laxistes par rapport aux recommandations de l’OMS , précise le docteur Antoine Mercier, pneumologue au CHU de Rouen. On tolère des niveaux de particules fines qui, à long terme, causent des cancers, des infarctus, des AVC. Il ajoute : La pollution n’est pas seulement un problème de ville ou d’industrie. Elle traverse les campagnes, elle pénètre les maisons. Elle est invisible, mais omniprésente.

Quel rôle jouent les industriels dans cette crise ?

Les industriels normands, notamment dans la vallée de la Seine, sont à la fois financeurs d’Atmo et sources majeures de pollution. Cette dualité pose question. Il y a un risque de conflit d’intérêts , reconnaît Élise Garnier. Mais il faut aussi rappeler que sans cette contribution, Atmo ne pourrait pas fonctionner. Certains industriels, comme TotalEnergies ou Arkema, ont mis en place des plans de réduction d’émissions. Mais pour les associations, cela ne suffit pas. On veut de la transparence, pas des discours vertueux , affirme Julien Vasseur. Quand il y a une fuite de chlore ou un feu, on veut des données en temps réel, accessibles à tous.

Les citoyens sont-ils informés ?

Pas assez, selon les témoignages recueillis. On reçoit des alertes météo, mais rarement des alertes pollution , déplore Camille Lefebvre. Si on savait que l’air est mauvais, on éviterait de faire du sport en extérieur, on garderait les enfants à l’intérieur. Atmo diffuse pourtant des bulletins quotidiens, mais leur visibilité reste limitée. Il faut que l’information devienne systématique, comme la météo , plaide Thomas Régnier. Surtout dans les zones à risque.

Quelles solutions concrètes peuvent être mises en œuvre ?

Plusieurs pistes sont envisagées. D’abord, un renforcement du financement public : la Région pourrait augmenter sa subvention, ou l’État prendre le relais. Ensuite, une meilleure coordination entre les acteurs : pompiers, services de santé, industriels, collectivités. Enfin, une politique de prévention active : capteurs mobiles, applications grand public, campagnes d’information dans les écoles. Il faut que chaque Seinomarin comprenne que l’air qu’il respire aujourd’hui détermine sa santé de demain , insiste Élise Garnier.

Et si le citoyen agissait ?

Oui, mais pas seul. Les associations appellent à un sursaut collectif. On ne peut pas demander aux gens de faire du vélo s’ils n’ont pas de pistes sécurisées , rappelle Julien Vasseur. On ne peut pas leur dire de limiter leur chauffage au bois si on ne leur propose pas d’alternatives. La solution passe par des politiques publiques courageuses, des investissements à long terme, et une culture du risque réinventée.

Conclusion

Le débat autour du financement d’Atmo Normandie dépasse largement la question budgétaire. Il touche à l’âme même de la gouvernance publique : comment choisit-on ce qui mérite d’être protégé ? Un euro investi dans la surveillance de l’air, c’est peut-être une crise évitée, une vie sauvée, une famille épargnée. Les décideurs locaux doivent mesurer l’ampleur de ce qu’ils risquent de perdre en coupant des subventions symboliques. Parce qu’on ne négocie pas la santé avec des calculs d’économie de bouts de chandelle. Et parce que respirer, ce n’est pas un luxe — c’est un droit fondamental.

FAQ

Qu’est-ce qu’Atmo Normandie ?

Atmo Normandie est l’observatoire régional de la qualité de l’air, chargé de mesurer, analyser et informer sur la pollution atmosphérique. Créé il y a cinquante ans, il couvre l’ensemble de la Normandie et travaille avec des réseaux de capteurs, des scientifiques et des partenaires institutionnels.

Pourquoi la Seine-Maritime est-elle particulièrement exposée ?

Le département concentre la majorité des sites industriels lourds de Normandie, deux grands ports (Rouen et Le Havre), et les deux plus grandes agglomérations de la région. Cette densité d’activités génère des émissions importantes de polluants atmosphériques.

Quels sont les principaux polluants mesurés ?

Les principaux polluants surveillés sont les particules fines (PM10 et PM2,5), les oxydes d’azote (NOx), l’ozone (O3), le dioxyde de soufre (SO2), et les composés organiques volatils (COV). Certains sites mesurent aussi des métaux lourds ou des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

Qui finance Atmo Normandie ?

Le budget d’Atmo Normandie provient de plusieurs sources : l’État (1,4 million d’euros), les industriels (1,6 million), les collectivités (820 000 euros), les taxes sur la pollution (450 000 euros), et d’autres partenaires. Le Département de la Seine-Maritime a contribué à hauteur de 67 000 euros en 2024.

Quels sont les effets de la pollution sur la santé ?

La pollution de l’air aggrave l’asthme, augmente les risques de maladies cardiovasculaires, de cancers du poumon, et pourrait contribuer à l’apparition du diabète de type 2. Selon les estimations, des milliers de cas pourraient être évités chaque année en Normandie avec une meilleure qualité de l’air.

A retenir

Pourquoi ce retrait de subvention est-il symbolique ?

Le montant de la subvention (67 000 euros) est minime par rapport au budget du Département, mais son retrait envoie un signal fort : la santé environnementale n’est plus une priorité. Cela affaiblit la légitimité d’Atmo et met en péril des projets d’intérêt public.

Quel est l’impact sur les populations vulnérables ?

Les enfants, les personnes âgées, et celles souffrant de maladies chroniques sont les plus touchées. À Rouen, plusieurs parents d’enfants asthmatiques témoignent d’un quotidien marqué par les alertes, les inhalateurs, et la peur des pics de pollution.

Quelle est la position de la Région ?

La Région Normandie affirme déjà subventionner Atmo à hauteur de 235 000 euros par an. Elle considère que la qualité de l’air relève de sa compétence, mais appelle à une clarification des rôles entre collectivités pour éviter les défaillances.

Anita

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