Une soirée avec des lunettes qui simulent l’ivresse : révélations et prise de conscience immédiate

L’alcool, souvent présent dans les soirées étudiantes, est une réalité sociale banalisée, voire glamourisée. Pourtant, derrière les verres qui s’entrechoquent et les rires qui fusent, se cachent des risques bien réels : perte de contrôle, accidents de la route, comas éthyliques, ou encore dépendance. C’est pour briser cette normalisation que des initiatives originales voient le jour, comme cette soirée de sensibilisation à La Baule, organisée par l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne. À l’aide de lunettes de simulation d’alcoolémie, des jeunes ont pu expérimenter, en toute sécurité, les effets de l’ivresse sur leurs capacités motrices et cognitives. Une expérience à la fois ludique et profondément éducative, qui a laissé des traces bien au-delà des fous rires du moment.

Qu’est-ce que les lunettes de simulation d’alcoolémie ?

Apparemment anodines posées sur une table, ces lunettes spéciales transforment radicalement la perception du monde une fois portées. Grâce à des lentilles biseautées et des filtres optiques, elles simulent les effets de l’alcool sur la vision : double vue, flou, désorientation, perte d’équilibre. L’objectif n’est pas de reproduire exactement l’état d’ivresse, mais de donner un aperçu réaliste des perturbations que subit le cerveau après plusieurs verres. Bérangère, chargée de prévention à l’ARS Bretagne, explique : Ce que tu vis là avec les lunettes, c’est ce que ton cerveau subit après plusieurs verres. Ce n’est pas une sensation de plaisir, mais de déséquilibre.

Une expérience sensorielle déroutante

Pour Maëlle, 19 ans, étudiante en droit à Rennes, l’expérience a été immédiate. On a l’impression que le sol bouge, que tout tangue , décrit-elle, encore troublée après avoir tenté de marcher en ligne droite. Son corps ne répond plus comme d’habitude. Ses bras s’agitent pour garder l’équilibre, ses pas dévient, et ses amis, d’abord moqueurs, finissent par comprendre. Je pensais que j’arriverais à gérer, mais là, c’est impossible , reconnaît-elle. Ce constat est partagé par la plupart des participants : même sobres, ils sont désorientés par les lunettes. Cela montre à quel point l’alcool peut altérer des fonctions automatiques comme la marche, la coordination ou la perception de l’espace.

Pourquoi ces simulations fonctionnent-elles mieux que les discours classiques ?

Depuis des années, les campagnes de prévention contre l’alcool au volant reposent sur des slogans, des affiches choc ou des témoignages dramatiques. Mais leur efficacité est limitée, surtout auprès des jeunes, qui perçoivent souvent ces messages comme moralisateurs ou déconnectés de la réalité. Les lunettes, elles, offrent une approche sensorielle. On ne te dit pas que tu es en danger, on te le fais vivre , souligne Léo, en BTS maintenance des systèmes. Lui qui pensait pouvoir conduire après deux ou trois bières a changé d’avis après avoir tenté d’attraper des clés lancées doucement : Mes yeux voyaient les clés, mais mes mains ne suivaient pas. C’était flippant.

Quand le corps ne suit plus le cerveau

Le phénomène observé chez Léo est classique : l’alcool ralentit la transmission des signaux nerveux entre le cerveau et les muscles. Les lunettes simulent cette dissociation en perturbant la coordination œil-main. Les défis proposés — marcher en ligne droite, ramasser un objet, envoyer un texto — deviennent soudainement complexes. Quand on est sobre, ce sont des actions automatiques. Mais avec les lunettes, c’est comme si le cerveau et le corps ne se parlaient plus , analyse-t-il. Ce décalage est d’autant plus frappant qu’il survient sans que le participant ait bu une seule goutte d’alcool.

Quel impact sur les comportements des jeunes ?

Malgré l’ambiance détendue et les rires, la soirée a laissé des traces. Clémence, 20 ans, en licence de sociologie, admet : On se rend compte qu’on perd vite le contrôle, même si on pense gérer. Elle raconte avoir déjà vu des amis prendre le volant après une soirée, en affirmant être capable . Maintenant, je me dis que même s’ils pensent le contraire, ils ne sont plus en mesure de juger.

La responsabilité, une affaire de groupe

Le message clé de l’ARS est celui de la responsabilité partagée. Être un pote responsable , ce n’est pas empêcher les autres de s’amuser, mais veiller à ce que personne ne mette sa vie en danger. Louis, 21 ans, en école d’ingénieur, témoigne : Quand un de nos potes a trop bu, on le raccompagne chez lui. Il ajoute que cette attitude est de plus en plus répandue dans son cercle d’amis. Avant, on aurait dit que c’est “nul” de ne pas faire la fête jusqu’au bout. Maintenant, on sait que c’est juste intelligent.

Quelles sont les alternatives concrètes aux comportements à risque ?

La soirée ne se contente pas de montrer les dangers : elle propose des solutions. Parmi elles, l’utilisation des transports en commun, le covoiturage avec un conducteur sobre, ou l’appel à un taxi. Mais aussi, la possibilité de parler. Car derrière la consommation d’alcool, il peut y avoir des difficultés personnelles, des pressions sociales, ou des habitudes anxiogènes. C’est là qu’interviennent les Consultations Jeunes Consommateurs (CJC).

Les CJC : des espaces d’écoute sans jugement

Les CJC sont des lieux gratuits, anonymes et accessibles aux jeunes de 12 à 25 ans. Ils accueillent aussi bien ceux qui s’inquiètent de leur propre consommation que ceux qui s’interrogent sur un ami, un frère ou une sœur. Pas de stigmatisation, pas de leçons de morale. Juste une écoute bienveillante et des conseils personnalisés. Beaucoup de jeunes viennent parce qu’ils sentent qu’ils perdent le contrôle, mais ils n’osent pas en parler , confie Élise Garnier, psychologue au CJC de Rennes. Ici, ils peuvent poser des questions sans avoir peur d’être jugés.

Comment reconnaître un malaise alcoolique ?

Une des grandes peurs lors d’une soirée est de voir un ami perdre connaissance après avoir trop bu. Pourtant, beaucoup hésitent à agir, par peur de mal faire ou de gâcher la fête . La soirée de sensibilisation insiste sur l’importance de réagir vite. Si une personne ne répond plus, respire difficilement ou vomit en dormant, c’est une urgence , prévient Bérangère.

Les gestes qui sauvent

Le premier réflexe est de placer la personne en Position Latérale de Sécurité (PLS), pour éviter qu’elle s’étouffe en cas de vomissement. Ensuite, il faut surveiller sa respiration et appeler immédiatement les secours en composant le 15 (SAMU), le 18 (pompiers) ou le 17 (police). Mieux vaut appeler pour rien que trop tard , insiste-t-on à l’ARS. Thomas, qui a participé à la simulation, prend conscience de son rôle : Je me suis dit que si jamais un pote est dans les vapes, je ne resterai pas planté là. Je ferai ce qu’il faut.

Quelles sont les données sur la consommation d’alcool chez les jeunes ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon Santé publique France, un Français sur quatre entre 18 et 75 ans dépasse les repères de consommation hebdomadaire (plus de dix verres par semaine ou plus de deux par jour). Chez les 18-25 ans, la consommation est plus sporadique mais intense : en moyenne, entre 4 et 5 verres lors d’une soirée, et cela sur 90 à 110 jours par an. Autrement dit, près d’un tiers de l’année est marqué par une consommation à risque.

Un phénomène social, pas seulement individuel

La consommation d’alcool chez les jeunes n’est pas qu’un problème de santé. C’est aussi un enjeu social, culturel, voire économique. La publicité pour les boissons alcoolisées, omniprésente sur les réseaux sociaux, joue un rôle central dans la construction de l’image de l’alcool comme vecteur de plaisir, de liberté, de réussite sociale. On voit des influenceurs boire du champagne en riant, sans jamais montrer les conséquences , note Clémence. C’est trompeur.

Le plan gouvernemental doit-il aller plus loin ?

Le plan national de lutte contre l’alcoolisation des jeunes inclut des mesures d’éducation, de prévention et de restriction de l’accès. Mais certains, comme les responsables des CJC, estiment qu’il faut aller plus loin, notamment en interdisant la publicité pour l’alcool sur les réseaux sociaux. Les jeunes sont exposés à des messages qui banalisent la consommation, parfois dès l’adolescence , explique Élise Garnier. On ne peut pas sensibiliser d’un côté et laisser l’industrie alcoolisée faire ce qu’elle veut de l’autre.

À vous de jouer : et si la responsabilité devenait tendance ?

En quittant la soirée, Thomas enlève ses lunettes avec un soulagement presque palpable. Je me sens sobre d’un coup ! , rigole-t-il. Puis, plus sérieusement, il ajoute : Je crois que je vais y repenser la prochaine fois qu’on me propose de prendre le volant après une soirée. Ce changement de perspective, c’est exactement ce que cherchent les organisateurs. Pas de peur, pas de culpabilisation, mais une prise de conscience incarnée.

A retenir

Quel est l’intérêt des lunettes de simulation ?

Elles permettent de vivre, sans consommer d’alcool, les effets de l’ivresse sur la coordination, la vision et les temps de réaction. Cette expérience sensorielle est plus parlante que les discours classiques de prévention.

Que faire si un ami a trop bu ?

Le placer en Position Latérale de Sécurité (PLS), surveiller sa respiration et appeler les secours en cas de malaise grave. Les numéros d’urgence sont le 15, le 18 ou le 17. Il vaut toujours mieux appeler, même en cas de doute.

Qu’est-ce qu’une CJC ?

Une Consultation Jeune Consommateur est un lieu gratuit, anonyme et accessible aux 12-25 ans. Elle propose un accompagnement personnalisé pour parler d’alcool, de drogues, ou de toute consommation qui inquiète.

Comment éviter les conduites à risque après une soirée ?

Prévoir un conducteur sobre, utiliser les transports en commun, ou appeler un taxi. Le plus important est de ne pas laisser une personne ivre prendre le volant, même si elle affirme être capable .

La prévention par le jeu est-elle efficace ?

Oui, car elle engage les jeunes autrement : par l’expérience, le rire, le groupe. Elle évite le ton moralisateur et favorise une prise de conscience collective, durable et partagée.