Une visite dentaire gratuite annuelle pour les 3-24 ans avec MT Dents

En 2023, la France s’est lancée dans un pari ambitieux : offrir à toute une génération la promesse d’un sourire sans carie. Ce rêve, porté par le dispositif M’T Dents, n’est plus une utopie lointaine mais une politique de santé publique en pleine transformation. Initialement conçu pour couvrir une visite dentaire intégrale tous les trois ans chez les jeunes de 3 à 24 ans, le programme évolue désormais vers une prise en charge annuelle. Une réforme structurelle qui s’inscrit dans une stratégie plus large de prévention, d’équité d’accès aux soins et de transformation des comportements. Derrière les chiffres et les annonces, des vies changent, des habitudes se modifient, et des sourires s’illuminent – surtout chez ceux qui, hier, n’osaient pas en montrer.

Qu’est-ce que le dispositif M’T Dents et pourquoi passe-t-il à l’annualisation ?

Le dispositif M’T Dents, lancé en 2007, a été conçu comme un levier de prévention contre les caries dentaires chez les jeunes. À l’époque, près de la moitié des enfants de 15 ans avaient déjà subi des atteintes carieuses. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 37 %, une amélioration significative que Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de l’Assurance maladie, attribue directement à l’impact du programme. En 2017, 63 % des adolescents de 15 ans n’avaient jamais eu de carie, contre 49 % dix ans plus tôt , souligne-t-elle. Un succès qui n’a toutefois pas convaincu la majorité des jeunes de faire de la prévention une priorité.

C’est cette faiblesse qui a poussé les autorités sanitaires à repenser le dispositif. En avril 2024, M’T Dents franchit un cap décisif : la visite dentaire gratuite, autrefois triennale, devient annuelle pour les 3-24 ans. Cette annualisation vise à instaurer un réflexe de suivi régulier, à l’image des vaccinations ou des bilans de croissance. L’objectif ? Faire basculer la culture du soin d’un mode réactif – je vais chez le dentiste quand j’ai mal – vers un modèle préventif : je vais chez le dentiste pour rester en bonne santé .

Quels sont les bénéfices attendus de cette réforme ?

La Sécurité sociale investit 600 millions d’euros sur cinq ans pour accompagner cette mutation. Un montant conséquent, mais justifié par les enjeux de santé publique. Les caries dentaires restent l’une des pathologies chroniques les plus fréquentes chez l’enfant et l’adolescent. Or, une carie non traitée peut entraîner des douleurs chroniques, des infections, des troubles du sommeil, des difficultés scolaires, voire des impacts psychosociaux durables. Un enfant qui a mal aux dents ne dort pas bien, il est irritable, il a du mal à se concentrer en classe , explique le Dr Élodie Roussel, chirurgien-dentiste à Rennes. Et quand il rit, il cache sa bouche. Ce n’est pas anodin.

Le changement de rythme des visites permettrait de détecter plus tôt les anomalies, de limiter les soins invasifs et, sur le long terme, de réduire le recours aux prothèses dentaires. Une visite annuelle, c’est l’occasion de renforcer l’éducation à l’hygiène bucco-dentaire, de poser des scellants, de surveiller l’occlusion dentaire ou encore d’identifier des pathologies précoces , précise-t-elle. Pour elle, cette réforme est une avancée majeure pour la santé globale des jeunes .

Quels témoignages illustrent l’impact du dispositif ?

À 14 ans, Léonie Vidal, élève en quatrième à Nantes, raconte son parcours : Avant, je n’allais chez le dentiste que quand j’avais une rage de dent. Et encore, mes parents attendaient que ça devienne insupportable. En 2022, son collège a reçu une intervention de sensibilisation dans le cadre de M’T Dents. Depuis, elle bénéficie d’un suivi régulier. La dernière fois, le dentiste a vu une petite carie naissante. Il a fait un petit traitement, sans anesthésie. J’étais soulagée. Je n’ai pas eu mal, et surtout, j’ai compris que je devais mieux me brosser les dents derrière les molaires.

De l’autre côté du pays, à Marseille, Samuel Kaboré, 22 ans, étudiant en BTS maintenance, a longtemps négligé sa santé bucco-dentaire. Entre les fins de mois difficiles et le manque d’information, je pensais que les soins coûtaient trop cher. Je ne savais même pas que M’T Dents existait avant qu’un ami m’en parle. En 2023, il a profité de la visite gratuite. J’avais deux caries profondes. J’aurais dû me faire soigner plus tôt. Maintenant, je vais tous les ans. C’est devenu une habitude.

Pourquoi une campagne médiatique lancée seulement maintenant ?

Si la réforme date d’avril 2024, la campagne de communication nationale n’a été déployée qu’en septembre. La raison ? Une mise au point technique indispensable. L’objectif était d’assurer une prise en charge sans avance de frais, sans bon de soins à présenter, et sans démarches administratives lourdes pour les patients. Il fallait que le système soit parfaitement rodé , explique un responsable de la Caisse nationale d’assurance maladie, sous couvert d’anonymat. Nous avons travaillé avec les ordres professionnels et les mutuelles pour fluidifier le parcours de soins.

Le système repose désormais sur une identification automatique via la carte Vitale. Dès que le patient se présente chez le dentiste, le professionnel accède à son éligibilité au dispositif. Le remboursement est immédiat, sans facture à envoyer, sans attente. Une simplification saluée par de nombreux praticiens, même si certains pointent encore des failles.

Quels sont les points noirs du dispositif selon les professionnels ?

Le syndicat de dentistes Les CDF (Collectif Dentaire Français) reconnaît les intentions louables du gouvernement, mais alerte sur des dysfonctionnements persistants. Le système de prise en charge sans avance de frais fonctionne mal dans certaines régions, notamment en zone rurale ou chez les dentistes peu équipés numériquement , déplore Camille Fournier, porte-parole du syndicat. De plus, la rémunération des praticiens reste insuffisante pour couvrir le temps consacré à la prévention, qui est pourtant au cœur du dispositif.

Le Dr Roussel confirme : On passe 30 minutes à expliquer l’hygiène, à montrer comment utiliser le fil dentaire, à parler alimentation… mais on est payé comme pour un simple contrôle. C’est décourageant. Pour elle, la réussite de M’T Dents dépendra aussi d’un meilleur accompagnement des professionnels.

Comment toucher les publics les plus éloignés des soins ?

Une des grandes faiblesses du dispositif initial était l’absence de suivi chez les très jeunes enfants et les jeunes adultes. Moins de 30 % des enfants de 3 ans ont bénéficié de la visite gratuite, tout comme les 21-24 ans. C’est paradoxal, souligne Marguerite Cazeneuve. Ce sont pourtant les moments clés : l’éruption des dents de lait, puis la fin de la croissance dentaire.

Pour combler ce fossé, la Sécurité sociale lance des actions ciblées. Les parents des enfants âgés de 3 à 6 ans n’ayant jamais consulté un dentiste recevront un courrier personnalisé, accompagné d’un kit pédagogique. Il contient des dessins animés, des conseils simples, des jeux sur l’hygiène bucco-dentaire , détaille une chargée de mission à la Cnam. L’idée est de désacraliser la visite, de la rendre ludique pour les tout-petits.

À Lyon, le centre de santé Sourire & Cie a mis en place des ateliers parents-enfants. On invite les familles à venir ensemble, on fait visiter le cabinet, on montre les instruments, on joue au dentiste , raconte la psychologue du centre, Hélène Berthier. Souvent, c’est la peur des parents qui se transmet aux enfants. En les rassurant, on brise la chaîne.

Quel impact sur les inégalités sociales de santé ?

Les inégalités d’accès aux soins dentaires sont criantes en France. Selon une étude de Santé publique France, les enfants issus de milieux défavorisés ont deux fois plus de caries que ceux des milieux favorisés. M’T Dents, en supprimant les obstacles financiers, vise à réduire cet écart. Mais le défi est complexe.

À Saint-Denis, le Dr Younès Lahlou suit une population très diversifiée. Beaucoup de mes jeunes patients viennent pour la première fois à 12 ou 13 ans, avec des dents déjà très abîmées. Leur famille ne connaissait pas le dispositif, ou pensait que c’était réservé aux plus riches. Grâce à des relais dans les écoles, les centres sociaux et les associations, la prise de conscience grandit. Depuis un an, j’ai vu une augmentation de 40 % des jeunes de 6 à 10 ans en prévention. C’est encourageant.

Quel avenir pour la prévention dentaire en France ?

L’annualisation de M’T Dents est un jalon, mais pas une fin en soi. Les autorités sanitaires envisagent d’étendre le modèle à d’autres tranches d’âge, voire à toute la population. Pourquoi ne pas imaginer un suivi bucco-dentaire annuel pour tous, comme on a le dépistage du cancer du sein ou du côlon ? , interroge Marguerite Cazeneuve. La bouche, c’est le miroir de la santé globale.

Des expérimentations sont déjà en cours : fluoruration de l’eau dans certaines régions, dépistage en milieu scolaire, intégration des assistants dentaires dans les équipes de prévention. Le but est clair : faire de la santé bucco-dentaire une priorité de santé publique, au même titre que la nutrition ou l’activité physique.

Quels enseignements tirer de l’expérience internationale ?

D’autres pays ont fait des progrès spectaculaires dans la lutte contre les caries. En Finlande, par exemple, une politique de prévention agressive depuis les années 1970 a quasiment éradiqué les caries chez les enfants. Ils ont mis en place des visites annuelles gratuites dès 1 an, des programmes éducatifs dans les crèches, et une collaboration étroite entre pédiatres et dentistes , explique le professeur Antoine Leclerc, épidémiologiste à l’Inserm. La France a encore du retard, mais M’T Dents est un bon début.

Conclusion

Le dispositif M’T Dents, dans sa nouvelle version annualisée, incarne une mutation profonde de la politique de santé publique en France. Il ne s’agit plus seulement de soigner, mais de prévenir, d’éduquer, d’accompagner. En ciblant les jeunes, il s’attaque aux racines des inégalités et des pathologies chroniques. Certes, des obstacles subsistent : logistiques, financiers, culturels. Mais les témoignages, les chiffres et les ambitions tracent une voie claire. Une génération sans caries ? C’est encore un rêve. Mais c’est un rêve qui, désormais, a les dents longues.

A retenir

Quel est l’objectif du dispositif M’T Dents ?

Le dispositif M’T Dents vise à prévenir les caries dentaires chez les jeunes de 3 à 24 ans en offrant une visite dentaire gratuite et intégrale, désormais tous les ans. Son objectif principal est d’instaurer un réflexe de prévention et de réduire les inégalités d’accès aux soins.

Qui peut bénéficier de M’T Dents ?

Tous les jeunes âgés de 3 à 24 ans, quelle que soit leur situation sociale ou géographique, peuvent bénéficier d’une visite annuelle prise en charge intégralement par l’Assurance maladie, sans avance de frais ni bon de prise en charge.

Comment fonctionne la prise en charge sans avance de frais ?

La prise en charge s’appuie sur la carte Vitale. Le dentiste identifie automatiquement l’éligibilité du patient au dispositif lors de la consultation. Le remboursement est direct et immédiat, sans démarche administrative supplémentaire pour le patient.

Pourquoi les enfants de 3 ans et les jeunes adultes de 21-24 ans sont-ils moins concernés ?

Ces deux groupes sont souvent négligés : les tout-petits parce que les parents sous-estiment l’importance des dents de lait, les jeunes adultes parce qu’ils perdent le suivi médical en quittant le cadre familial ou scolaire. Des campagnes ciblées sont mises en place pour les toucher.

Quel est le budget alloué à la réforme ?

L’Assurance maladie consacre 600 millions d’euros sur cinq ans à l’annualisation du dispositif M’T Dents, afin de renforcer la prévention et d’élargir l’accès aux soins dentaires pour les jeunes.