En 2025, une révélation choquante a secoué le monde de la santé en France : des centaines d’enfants ont été surexposés aux rayonnements ionisants au centre hospitalier de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor. Ce scandale, longtemps resté dans l’ombre, a éclaté au grand jour grâce à un rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), publié le 4 septembre 2025. Derrière les chiffres froids – 667 patients touchés, dont 451 mineurs – se cachent des histoires humaines, des familles meurtries, des doutes sur la sécurité des soins, et une série de dysfonctionnements qui interpellent autant qu’ils inquiètent. Ce n’est pas un accident isolé, mais une faille systémique qui s’est étalée sur douze années, entre 2012 et 2024, sans que personne n’intervienne à temps.
Qu’est-ce que la surexposition aux rayonnements ionisants ?
Les rayonnements ionisants sont utilisés quotidiennement en médecine, notamment lors d’examens radiologiques comme les radiographies, scanners ou fluoroscopies. Leur utilisation est strictement encadrée, car même à faible dose, ils peuvent endommager l’ADN des cellules. Chez les enfants, dont les tissus sont en pleine croissance, les risques sont amplifiés. Une exposition excessive augmente le risque de développer des cancers à long terme, notamment des leucémies ou des tumeurs cérébrales.
Ce qui s’est produit à Saint-Brieuc dépasse largement les seuils de sécurité. Selon le rapport de l’ASNR, certains enfants ont reçu des doses de rayonnements jusqu’à dix fois supérieures à la normale. Le cas déclencheur a été détecté en décembre 2024, lorsqu’un radiologue a remarqué une anomalie sur les images d’un garçon de 8 ans, Étienne Leroy, passé en urgence pour une radiographie de l’urètre. Les clichés montraient une surimpression inhabituelle, signe d’un excès de rayons. En creusant, le professionnel a découvert que l’appareil avait été mal calibré depuis des années.
Comment une erreur de cette ampleur a-t-elle pu durer douze ans ?
La question taraude les experts comme les familles. Le système de contrôle des équipements radiologiques repose sur plusieurs couches de sécurité : vérifications régulières, protocoles de maintenance, audits internes. Pourtant, à Saint-Brieuc, ces garde-fous ont tous cédé. Le rapport pointe un manque criant de formation du personnel, des lacunes dans les procédures de contrôle, et une sous-traitance mal encadrée pour la maintenance des machines.
Chloé Mercier, technicienne en imagerie médicale ayant travaillé à l’hôpital entre 2018 et 2022, témoigne : On savait que certains examens donnaient des résultats bizarres, mais on nous disait que c’était dû à la corpulence des patients ou aux réglages manuels. Personne ne voulait remettre en cause les protocoles. Elle ajoute : J’ai vu des enfants sortir de salle d’examen en pleurant, pas à cause de la douleur, mais parce qu’on leur demandait de rester immobiles trop longtemps. Aujourd’hui, je me demande si ce n’était pas parce que les machines mettaient plus de temps à capter l’image.
Le problème principal viendrait d’un défaut de paramétrage des appareils, combiné à une absence de surveillance des doses délivrées. Les logiciels de suivi des expositions étaient obsolètes ou mal utilisés. Pire encore : certains techniciens, pressés par des délais serrés, auraient contourné les alertes automatiques pour accélérer les examens. Un ancien cadre du service, qui souhaite rester anonyme, confie : On manquait de personnel, les listes d’attente s’allongeaient. La pression était énorme. On a fini par normaliser des pratiques dangereuses.
Qui sont les victimes de cette surexposition ?
Les 451 mineurs concernés avaient entre quelques mois et 17 ans au moment des examens. Beaucoup venaient pour des pathologies bénignes : fractures, otites, troubles urinaires. Les parents, confiants dans le système hospitalier, n’ont jamais imaginé que ces examens diagnostiques puissent devenir des sources de danger.
Marine et Thomas Gaillard, parents de Léa, 11 ans, racontent : Notre fille a subi trois radiographies en 2020 pour une scoliose. Aujourd’hui, on apprend qu’elle a reçu une dose anormalement élevée. On est sous le choc. On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. Le couple a depuis consulté un spécialiste en radiobiologie, qui leur a expliqué que le risque de complications, bien que faible, n’est pas nul. On se sent trahis. On aurait dû être informés plus tôt , insiste Marine.
Un autre cas, plus grave, est celui de Raphaël Dubois, 14 ans, suivi pour une malformation congénitale. Entre 2016 et 2021, il a subi plus de vingt examens radiologiques. Son père, Julien, déclare : On nous disait que c’était nécessaire pour suivre l’évolution. Mais personne n’a jamais parlé des risques liés aux rayons. Si on l’avait su, on aurait demandé des alternatives.
Quelles sont les conséquences pour les patients et leurs familles ?
Au-delà des risques sanitaires, l’impact psychologique est profond. Des familles entières vivent dans l’angoisse de possibles effets tardifs : cancers, troubles de la fertilité, malformations futures. Certains parents ont engagé des démarches pour faire suivre leurs enfants par des spécialistes en radioprotection.
Des associations de patients, comme Santé Enfance Bretagne, ont appelé à la création d’un registre national des expositions médicales. Ce qui s’est passé à Saint-Brieuc n’est peut-être qu’un cas connu parmi d’autres , affirme Élodie Vasseur, présidente de l’association. Il faut une transparence totale. Les familles ont le droit de savoir ce que leurs enfants ont subi.
Le centre hospitalier a mis en place un dispositif d’accompagnement psychologique, mais beaucoup le jugent insuffisant. On a besoin de réponses, pas de simples séances de soutien , explique Sophie Brunet, mère de deux enfants concernés. On veut des examens de suivi gratuits, des explications claires, et des garanties que cela n’arrivera plus.
Quelles responsabilités sont en cause ?
Le rapport de l’ASNR ne désigne pas de coupables individuels, mais met en lumière des responsabilités partagées. La direction de l’hôpital est pointée pour son absence de vigilance, le personnel soignant pour des pratiques parfois laxistes, et les autorités de contrôle pour avoir manqué d’inspections ciblées.
Le directeur de l’établissement, Laurent Pichon, a présenté des excuses publiques en janvier 2025, affirmant que des erreurs humaines et techniques ont été commises, que nous regrettons profondément . Il a annoncé le remplacement de tout le parc d’imagerie, la formation obligatoire du personnel, et la mise en place d’un comité de suivi indépendant.
Le ministère de la Santé a ouvert une enquête administrative. Par ailleurs, plusieurs plaintes pénales ont été déposées, notamment pour mise en danger de la vie d’autrui . Les experts attendent désormais les conclusions de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui doit remettre son rapport d’ici la fin de l’année.
Que va-t-il changer dans les hôpitaux français ?
Ce scandale a relancé le débat sur la sécurité en radiologie médicale. Le Conseil national de l’ordre des médecins a exigé une harmonisation des protocoles à l’échelle nationale. Des députés ont déposé une proposition de loi visant à renforcer les contrôles des équipements et à imposer un suivi individuel des doses de rayonnement pour chaque patient.
Le Pr Nicolas Aubry, radiologue à l’hôpital de Rennes et expert en radioprotection, estime que ce drame doit servir de déclic. Il faut repenser la culture de la sécurité dans les services d’imagerie. Former, surveiller, et surtout, écouter les signaux faibles. Il rappelle que des outils existent, comme les dosimètres individuels ou les logiciels d’aide à la décision, mais qu’ils sont trop peu utilisés en routine.
À Saint-Brieuc, des changements sont déjà en cours. Un nouveau système de traçabilité des expositions a été installé, et chaque examen radiologique fait désormais l’objet d’une validation croisée entre technicien et radiologue. On ne peut pas effacer ce qui s’est passé, mais on peut s’assurer que cela ne se reproduira plus , affirme Amina Kébir, nouvelle responsable du service d’imagerie.
Quelles sont les leçons à tirer de cette affaire ?
Cette affaire illustre les dangers d’un système de santé sous pression. Manque de personnel, surcharge de travail, obsolescence du matériel : tous ces facteurs ont contribué à une dérive silencieuse, imperceptible aux yeux des patients. Elle montre aussi que la confiance aveugle en la médecine moderne peut être dangereuse, et qu’il faut renforcer la vigilance collective.
Elle souligne enfin l’importance de la transparence. Pendant douze ans, aucune alerte n’a été lancée, aucun retour d’expérience partagé. Les professionnels de santé, souvent isolés dans leurs services, n’ont pas toujours les moyens de remonter les anomalies. Il faut créer des canaux de signalement sécurisés, où les techniciens et médecins puissent parler sans crainte , plaide Chloé Mercier.
A retenir
Combien d’enfants ont été touchés par la surexposition à Saint-Brieuc ?
667 patients ont été affectés, dont 451 mineurs, entre 2012 et 2024. Les surexpositions ont été causées par un défaut de calibrage des appareils d’imagerie et un manque de contrôle des doses administrées.
Quels sont les risques pour les enfants exposés ?
Les rayonnements ionisants en excès augmentent le risque de développer des cancers à long terme, notamment des leucémies ou des tumeurs solides. Le risque est plus élevé chez les enfants en raison de la sensibilité accrue de leurs tissus en développement.
L’hôpital a-t-il été sanctionné ?
L’établissement fait l’objet d’une enquête administrative et de plaintes pénales. La direction a présenté des excuses, engagé des réformes internes et mis en place un suivi médical pour les patients concernés.
Des mesures nationales ont-elles été prises ?
Oui. Le ministère de la Santé a annoncé un renforcement des contrôles des équipements d’imagerie, une formation accrue des professionnels, et l’étude d’une loi pour instaurer un suivi individuel des expositions aux rayonnements pour tous les patients.
Les familles peuvent-elles obtenir réparation ?
Les victimes peuvent déposer plainte et demander une expertise médicale. Un dispositif d’indemnisation pourrait être mis en place, similaire à celui de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), mais cela dépendra des conclusions des enquêtes en cours.