Le projet de Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) cristallise les ambitions européennes en matière de défense autonome. Alors que les ministres français, allemand et espagnol s’apprêtent à se rencontrer pour relancer les négociations, les défis techniques, politiques et industriels se multiplient. Entre innovation technologique et jeux d’influence, quel avenir pour ce programme phare ?
Pourquoi le SCAF est-il un projet stratégique pour l’Europe ?
Le SCAF représente bien plus qu’un simple avion de chasse. Piloté par Dassault Aviation avec Airbus comme partenaire clé, il intègre une flotte de drones connectés via un « cloud de combat », une première mondiale. Clara Voisin, experte en géopolitique de la défense, explique : « Avec le NGF (New Generation Fighter), l’Europe veut prouver qu’elle peut rivaliser avec les F-35 américains sans dépendre de Washington. » La phase 1B, lancée en 2023 après d’âpres négociations, marque une étape décisive.
Une course contre la montre technologique
Les délais serrés inquiètent les experts. Matthias Engel, ingénieur aéronautique berlinois, souligne : « Les spécifications évoluent plus vite que le projet. Si on tarde, le SCAF risquerait d’être obsolète avant même son premier vol. »
Quels sont les principaux obstacles à surmonter ?
La gouvernance trinationale montre ses limites. Sébastien Lecornu l’a admis lui-même : construire un chasseur à trois relève du défi. Les désaccords portent sur :
- Le design final (poids, aérodynamisme)
- L’intégration de l’arme nucléaire française
- L’adaptation aux porte-avions (priorité française)
La bataille du leadership industriel
Éric Trappier martèle sa vision : « Sans maître d’œuvre unique, le SCAF deviendra un compromis ingérable. » En coulisses, les équipes d’Airbus et Dassault s’affrontent sur la répartition des sous-systèmes. Ana Lopes, syndicaliste espagnole chez Indra, tempère : « L’Espagne ne sera pas un simple sous-traitant. Nos entreprises apportent des compétences clés en électronique. »
L’exportation, pomme de discorde franco-allemande ?
Le traité d’Aix-la-Chapelle complique la donne. Avec 33% de participation allemande, Berlin pourrait bloquer des ventes à des pays controversés. Pierre-Yves Le Gall, consultant en armement, analyse : « Les industriels français craignent un veto systématique. Or sans exportations, le coût unitaire explosera. » L’Arabie Saoudite et l’Inde suivent déjà le dossier avec intérêt.
L’exemple douloureux du Rafale
Rappelant les 15 ans de vaches maigres du Rafale avant son succès à l’export, Léa Fabre du ministère des Armées confie : « Nous ne pouvons pas reproduire cette erreur. Le SCAF doit être conçu dès l’origine pour séduire les marchés internationaux. »
Les autres programmes européens sont-ils menacés ?
Le drone MALE européen, autre coopération trilatérale, accumule les retards. Le général allemand Klaus Brenner s’agace : « Nos soldats utilisent déjà des drones israéliens faute de mieux. À ce rythme, le MALE arrivera trop tard. » Certains suggèrent d’intégrer ses technologies directement dans le SCAF.
Le piège de l’obsolescence programmée
Théo Constantin, stratège à l’IRSEM, met en garde : « La guerre en Ukraine a montré l’importance des drones low-cost. Investir uniquement dans des systèmes high-tech pourrait être un calcul risqué. »
Conclusion : un sommet décisif pour l’Europe de la défense
Les prochaines négociations s’annoncent explosives. Entre souveraineté industrielle et réalisme budgétaire, les trois pays devront trancher : veulent-ils vraiment une défense européenne intégrée, ou une simple coopération de façade ? Le SCAF sera le test ultime.
A retenir
Qui pilote le projet SCAF ?
Dassault Aviation dirige le consortium, avec Airbus Deutschland et Indra comme partenaires majeurs. La répartition précise des tâches reste un point de tension.
Quelle est l’innovation majeure du SCAF ?
Son architecture système intégrant des drones loyaux et une connectivité cloud, permettant des missions coordonnées sur des centaines de kilomètres.
Pourquoi l’Allemagne freine-t-elle sur les exports ?
En raison de sa politique restrictive sur les ventes d’armes à certains pays, renforcée depuis l’affaire des sous-marins australiens en 2021.