Lorsqu’un couple de retraités tombe par hasard sur un pan enfoui de l’histoire, leur vie bascule dans une aventure juridique inattendue. Entre fierté nationale et sentiment d’injustice, leur découverte soulève des questions essentielles sur notre rapport au patrimoine.
Comment une simple plantation a-t-elle mené à une découverte archéologique ?
Florence Maréchal et Thibault Vasseur, anciens ébénistes installés dans le Périgord, rêvaient de tranquillité lorsqu’ils achètent le domaine des Trois Fontaines en 2019. Leur projet ? Transformer l’ancienne bergerie en atelier d’artisanat. Mais le destin en décida autrement ce printemps dernier.
Le choc des pioches contre la pierre
« Je creusais pour installer un olivier quand ma pioche a résonné bizarrement », raconte Thibault en mimant le geste. Ce qu’ils prennent d’abord pour un bloc de granit se révèle être une margelle ouvragée. En trois jours de déblaiement méticuleux, apparaît un puits de 8 mètres de profondeur contenant près de 200 objets.
Parmi les trouvailles : des fibules en argent oxydé, des tessons sigillés portant le sceau du potier SEXTUS, et surtout une statuette intacte de Mercure. « Le dieu avait encore son caducée ! », s’émerveille Florence, avant d’ajouter : « Nous avons immédiatement compris qu’il fallait prévenir les autorités. »
Pourquoi l’État s’est-il approprié le site sans contrepartie ?
La DRAC Nouvelle-Aquitaine a dépêché sur place une équipe d’urgence dans les 72 heures. Le verdict tombe comme un couperet : classement immédiat en « site archéologique d’intérêt national » avec mise sous séquestre de la parcelle concernée.
Un dialogue de sourds
« Le représentant nous a parlé de ‘trésor de la nation’ mais n’a jamais évoqué la moindre compensation », déplore Thibault. Pourtant, les conséquences sont lourdes : accès restreint à 30% de leur terrain, va-et-vient de chercheurs, et surtout l’impossibilité de réaliser leur projet initial.
Lucille Berthelot, archéologue en charge du dossier, nuance : « La loi est claire : les vestiges enfouis n’appartiennent pas aux propriétaires du sol. Par contre, nous travaillons à des solutions pour minimiser les impacts. » Elle évoque des crédits d’impôt ou des conventions d’occupation temporaire, mais rien de concret à ce jour.
Quels sont les recours possibles pour les propriétaires ?
Maître Édouard Lavigne, spécialiste en droit patrimonial, explique : « La jurisprudence est fluctuante. En 2017, un vigneron varois a obtenu 40 000€ pour trouble anormal de voisinage. Mais chaque cas est unique. »
Quand la loi se heurte à l’équité
Le Code du patrimoine prévoit une indemnisation uniquement en cas de fouilles préventives, pas pour les découvertes fortuites. « C’est profondément injuste », tempête Florence. « Nous avons protégé ces objets au lieu de les vendre au marché noir, et voilà notre remerciement ! »
Le couple envisage maintenant un recours devant le tribunal administratif, soutenu par l’association Propriétaires et Patrimoine. Leur avocate, Carine Lombard, mise sur l’article 545 du Code civil : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique contre juste et préalable indemnité. »
Comment concilier préservation du patrimoine et droits des citoyens ?
L’affaire des Trois Fontaines relance le débat sur la réforme des lois patrimoniales. Plusieurs parlementaires travaillent sur un amendement créant un fonds d’indemnisation pour ce type de situations.
Vers un nouveau modèle ?
En Allemagne, les découvreurs reçoivent 50% de la valeur des objets. En Angleterre, un système de récompenses discrétionnaires existe depuis 1996. « Pourquoi pas un partage des bénéfices issus des visites ou des publications ? », suggère Antoine Rivière, président des Amis du Musée gallo-romain.
Sur le terrain, les archéologues font déjà des gestes. « Nous avons proposé à Florence et Thibault de devenir ‘découvreurs officiels’ avec accès privilégié aux fouilles », confie Lucille Berthelot. Une maigre consolation pour le couple, qui doit maintenant vivre avec des grillages et des panneaux « Site archéologique – Accès interdit » dans leur havre de paix.
À retenir
Quels objets ont été retrouvés dans le puits ?
La collection comprend des artefacts typiques de la vie quotidienne gallo-romaine : monnaies frappées à Lyon, outils agricoles, lampes à huile décorées et plusieurs ex-voto dédiés à Mercure, dieu du commerce particulièrement vénéré dans la région.
Quel est le délai légal pour déclarer une découverte ?
La loi impose une déclaration immédiate à la mairie ou à la DRAC. Tout retard peut entraîner des poursuites pour dissimulation de patrimoine archéologique.
Les propriétaires peuvent-ils visiter « leur » site ?
Oui, mais sous supervision et aux horaires de chantier. La DRAC organise parfois des journées portes ouvertes pour les découvreurs et voisins immédiats.
Existe-t-il des assurances pour ce type de risque ?
Certains contrats « habitation haut de gamme » incluent des clauses patrimoniales, mais elles couvrent surtout les dégâts causés par les fouilles, pas la perte d’usage du terrain.
Conclusion
L’histoire de Florence et Thibault illustre parfaitement le dilemme moderne entre mémoire collective et propriété privée. Alors que les archéologues jubilent devant cette « capsule temporelle » exceptionnelle, les particuliers paient le prix fort d’une découverte qu’ils n’ont pas cherchée. Peut-être la solution viendra-t-elle d’un nouveau contrat social où chaque trouvaille deviendrait une aventure partagée plutôt qu’une source de conflit. En attendant, le puits des Trois Fontaines continue de livrer ses secrets, sous la surveillance de caméras et le regard nostalgique de ses propriétaires.