Alors que les paiements numériques se généralisent, les distributeurs automatiques de billets (DAB) restent un pilier du quotidien pour de nombreux Français, notamment les personnes âgées ou celles vivant en zones rurales. Pourtant, ces machines, souvent perçues comme banales, deviennent chaque année le théâtre de fraudes sophistiquées. Face à cette menace persistante, la gendarmerie nationale intensifie ses actions de prévention, consciente que la sécurité des citoyens passe aussi par des gestes simples mais essentiels. À travers des campagnes ciblées, des témoignages de terrain et des conseils concrets, les forces de l’ordre tentent de briser le silence des victimes et d’endiguer un phénomène trop souvent sous-estimé. Rencontre avec des habitants, des gendarmes et des experts qui, chacun à leur manière, contribuent à une vigilance collective indispensable.
Quel est le rôle de la gendarmerie dans la prévention des fraudes aux DAB ?
La gendarmerie nationale, implantée principalement en zones rurales et périurbaines, joue un rôle central dans la sécurité des Français. Contrairement à la police nationale, elle couvre plus de la moitié du territoire métropolitain et assure une présence de proximité dans des communes où les services publics sont parfois rares. Son action ne se limite pas à la répression : elle inclut une forte dimension préventive, notamment face aux arnaques aux distributeurs de billets. Les gendarmes mènent des opérations de sensibilisation dans les mairies, les centres sociaux et même directement sur le terrain, en dialoguant avec les usagers. À Châteauneuf-du-Puy, dans le Puy-de-Dôme, le capitaine Élodie Fournier a initié un programme baptisé « DAB en sécurité » : « On ne peut pas être partout, mais on peut donner aux gens les clés pour se protéger. » Chaque mois, elle anime des ateliers avec des seniors, où elle montre des vidéos d’arnaques typiques, explique les techniques employées par les escrocs et distribue des fiches mémo. « Beaucoup ne réalisent pas qu’un simple regard furtif ou un dispositif collé sur un clavier peut tout changer », insiste-t-elle.
Pourquoi les seniors sont-ils particulièrement ciblés ?
Les personnes âgées constituent une cible privilégiée pour les fraudeurs, non pas par hasard, mais par calcul. Moins familières avec les outils numériques, elles dépendent davantage des retraits en espèces pour leurs courses, leurs loyers ou les cadeaux à leurs petits-enfants. C’est le cas de Marcel Laroche, 78 ans, retraité de l’industrie textile, qui vit seul à Saint-Antonin-Noble-Val. « Je n’ai jamais eu de smartphone, je ne fais pas de virements en ligne. Quand j’ai besoin d’argent, je vais au DAB. » Un jour d’octobre, alors qu’il retirait 80 euros en fin d’après-midi, un homme s’est approché en disant : « Madame, votre carte est restée coincée. » D’instinct, Marcel a fait confiance à cet inconnu, qui a « aidé » à récupérer la carte… avant de s’éclipser. Le lendemain, son compte était vidé de 1 200 euros. « J’ai eu honte. Je n’ai rien dit pendant trois jours. » Ce type de scénario, basé sur la manipulation psychologique, est de plus en plus fréquent. Les escrocs repèrent souvent leurs victimes en observant leurs habitudes : un retrait hebdomadaire à la même heure, un comportement hésitant, une solitude apparente. La gendarmerie appelle donc à une vigilance accrue, mais aussi à une solidarité intergénérationnelle : « Il faut que les familles parlent de ces risques avec leurs aînés, pas comme une menace, mais comme une précaution », affirme Élodie Fournier.
Quelles sont les méthodes les plus courantes utilisées par les fraudeurs ?
Les arnaques aux DAB ont évolué avec les technologies. Les escrocs utilisent désormais des dispositifs de plus en plus discrets et efficaces. Parmi les plus répandus : les skimmers, de petits boîtiers fixés sur la fente de la carte, capables de copier les données magnétiques. Parfois accompagnés de micro-caméras, ils permettent de voler le code confidentiel. D’autres méthodes sont plus basiques mais tout aussi redoutables : le « phishing humain », où un complice feint de proposer de l’aide, comme dans le cas de Marcel. Ou encore le « card trapping », une fausse fente qui retient la carte, obligeant l’utilisateur à s’éloigner pour demander de l’aide, pendant qu’un complice récupère la carte et le code. À Rennes, un dispositif de ce type a été démantelé par les gendarmes en 2023 : trois hommes avaient placé des fausses façades sur deux distributeurs en périphérie de la ville. En deux semaines, ils avaient accédé à une vingtaine de comptes. « Ce qui est frappant, c’est la rapidité avec laquelle ils agissent, parfois en moins de 30 secondes », explique le lieutenant Antoine Delmas, chargé des enquêtes financières. « Ils repèrent les lieux mal éclairés, les DAB en retrait, ceux sans vidéosurveillance. »
Comment se protéger efficacement lors d’un retrait ?
La gendarmerie recommande plusieurs gestes simples, mais cruciaux. Le premier : privilégier les distributeurs situés à l’intérieur des agences bancaires. « Ceux-là sont presque toujours sous vidéosurveillance, et le risque de manipulation est moindre », précise Élodie Fournier. Le second : éviter les lieux isolés, surtout en soirée. « Plus il y a de monde, moins les escrocs osent intervenir », ajoute-t-elle. Pendant le retrait, il est essentiel de masquer le clavier avec la main lors de la saisie du code, même si personne ne semble à proximité. « Une caméra peut être cachée dans un panneau publicitaire ou derrière un miroir », alerte Antoine Delmas. Retirer des sommes modérées est aussi conseillé : cela limite les pertes en cas de vol et évite d’attirer l’attention. Enfin, ranger l’argent immédiatement dans un portefeuille ou une poche, sans l’exposer, est une règle d’or. Pour les personnes vulnérables, la gendarmerie encourage l’accompagnement : « Une présence rassurante, c’est aussi un bouclier », dit Élodie Fournier. Sophie Ménard, 65 ans, bénévole dans une association de quartier à Limoges, a mis en place un système d’« accompagnement solidaire » : « Deux fois par semaine, on va au DAB à deux. On se prévient si on voit quelque chose de suspect. »
Que faire en cas de tentative d’arnaque ou de fraude ?
Malgré les précautions, les victimes existent. Le plus grand danger, selon les gendarmes, n’est pas l’arnaque elle-même, mais le silence qui suit. « Beaucoup pensent qu’ils ont fait une erreur, qu’ils vont être jugés. Ils attendent, et en attendant, l’argent disparaît », regrette le capitaine Fournier. La procédure est pourtant claire : en cas de vol de carte ou de suspicion de fraude, il faut immédiatement contacter sa banque pour bloquer le compte, puis se rendre au commissariat ou à la brigade la plus proche pour déposer plainte. « Même si vous n’êtes pas sûr, même si vous pensez avoir rêvé, il faut parler », insiste Antoine Delmas. Les banques sont tenues de rembourser les victimes de fraude dans la plupart des cas, mais seulement si la déclaration est faite rapidement. De plus, chaque plainte permet aux forces de l’ordre de croiser des informations, de repérer des schémas récurrents et parfois de démanteler des réseaux. À Bordeaux, une série de plaintes similaires a conduit à l’arrestation d’un gang spécialisé dans les skimmers. « Sans les témoignages, on n’aurait rien eu », reconnaît un enquêteur.
Comment la prévention peut-elle être renforcée à l’échelle locale ?
La lutte contre les fraudes aux DAB ne peut pas reposer uniquement sur les individus. Elle nécessite une coordination entre les banques, les collectivités locales et les forces de l’ordre. À Clermont-Ferrand, la municipalité a lancé un partenariat avec les établissements bancaires pour installer des DAB mutualisés dans des lieux publics sécurisés, comme les mairies de quartier. « On a aussi mis en place des bornes d’appel d’urgence à proximité », explique la conseillère municipale Léa Berthier. Par ailleurs, certaines brigades expérimentent des patrouilles ciblées autour des distributeurs en heures de pointe. À Gap, les gendarmes effectuent des rondes discrètes le vendredi après-midi, moment où les retraits sont les plus nombreux. « On ne fait pas que surveiller. On interpelle, on informe, on rassure », dit un gendarme sous couvert d’anonymat. Ces initiatives montrent que la sécurité est aussi une affaire de territoire, où chaque acteur a un rôle à jouer.
Conclusion
Les arnaques aux distributeurs de billets ne relèvent pas du hasard, mais d’une stratégie bien rodée. Face à elles, la gendarmerie ne peut tout résoudre seule. Sa force réside dans sa capacité à alerter, à former, à accompagner. Mais c’est aussi dans les gestes du quotidien, dans la solidarité entre voisins, dans l’écoute des aînés, que se joue la véritable prévention. Comme le dit Marcel Laroche, aujourd’hui devenu bénévole dans une association de lutte contre les fraudes : « On ne peut pas vivre dans la peur. Mais on peut vivre plus malin. »
A retenir
Quels sont les lieux les plus sûrs pour retirer de l’argent ?
Les distributeurs situés à l’intérieur des agences bancaires sont les plus sécurisés, car ils sont généralement sous vidéosurveillance et moins accessibles aux manipulations. Évitez les DAB isolés, mal éclairés ou en façade de bâtiments.
Comment repérer un DAB piégé ?
Inspectez la machine avant utilisation : vérifiez si la fente de la carte semble modifiée, collée ou branlante. Un clavier surélevé ou des câbles suspects peuvent aussi être des signes d’alerte. En cas de doute, n’utilisez pas le distributeur.
Que faire si on se sent en danger pendant un retrait ?
Interrompez l’opération, rangez votre carte et éloignez-vous. Contactez votre banque et signalez l’incident à la gendarmerie ou au commissariat le plus proche. Ne restez jamais seul face à une situation suspecte.
Les banques remboursent-elles en cas de fraude ?
Oui, dans la majorité des cas, les banques remboursent les sommes indûment retirées, à condition que le client ait agi rapidement en bloquant sa carte et en déposant plainte. Le délai est crucial.
Pourquoi les personnes âgées sont-elles plus vulnérables ?
Elles utilisent plus fréquemment les espèces, ont parfois moins de connaissances sur les nouvelles formes d’escroquerie, et peuvent être plus facilement manipulées par des individus feignant de les aider. Leur isolement augmente aussi le risque.