La semaine de 4 jours en Islande : un succès économique et social en 2025

En 2015, alors que le monde observait encore avec scepticisme l’idée d’une semaine de travail raccourcie, l’Islande lançait une expérience silencieuse mais révolutionnaire. Dans les bureaux de Reykjavik, les salles de classe d’Akureyri et les centres de santé de Hafnarfjörður, des milliers de salariés ont commencé à travailler quatre jours par semaine sans voir leur salaire diminuer. Ce n’était pas une lubie de startup californienne, mais une décision concertée, appuyée par les syndicats, les employeurs et les pouvoirs publics. Cinq ans plus tard, les résultats sont sans appel : la productivité n’a pas fléchi, le bien-être s’est accru, et une transformation culturelle du travail s’est opérée. Aujourd’hui, cette expérience fait des émules à travers le monde, posant une question fondamentale : et si travailler moins, c’était finalement travailler mieux ?

Comment l’Islande a-t-elle mis en place la semaine de 4 jours ?

Le projet n’a pas été imposé d’en haut, mais construit progressivement. Entre 2015 et 2017, environ 2 500 travailleurs – soit 1 % de la population active islandaise – ont participé à des essais pilotes dans des secteurs variés : administration publique, soins infirmiers, éducation, services sociaux. L’objectif était clair : maintenir la rémunération, réduire le temps de travail à 36 heures par semaine, et observer les effets sur la productivité et la qualité de vie.

Le succès de ces expérimentations a convaincu les partenaires sociaux. En 2019, des accords collectifs ont été signés, étendant de facto cette nouvelle norme. Aujourd’hui, près de 90 % des salariés islandais bénéficient de cette organisation, sans que l’économie n’ait pâti. Au contraire, avec un taux de chômage de 3,4 % et une croissance de 5 % en 2023, l’Islande démontre que bien-être et performance ne sont pas antagonistes.

Élise Ragnarsdóttir, enseignante à Reykjavik depuis douze ans, témoigne : « Avant, je rentrais chez moi épuisée, les week-ends étaient consacrés à rattraper le sommeil. Depuis la semaine de quatre jours, j’ai retrouvé du temps pour mes enfants, pour lire, pour marcher dans les fjords. Et je suis plus concentrée en classe. Mes élèves le sentent. »

Quels bénéfices concrets pour les salariés ?

Un bien-être accru, mesurable et durable

Les données parlent d’elles-mêmes. Une étude menée par l’Autonomy Institute et l’Association for Sustainability and Democracy (Alda) révèle que 80 % des participants se déclarent satisfaits de la nouvelle organisation. Plus de 60 % affirment que leur vie personnelle s’est améliorée, avec une pression quotidienne moindre, une meilleure santé mentale, et un risque de burnout réduit.

La clé du succès ? Une réorganisation radicale des tâches. Les réunions jugées inutiles ont été supprimées, les processus allégés, les priorités clarifiées. « On a appris à travailler plus intelligemment, pas plus longtemps », explique Jónas Freyr, cadre dans une entreprise de logistique à Keflavík. « On a mis en place des outils numériques pour suivre les projets en temps réel. Résultat : moins de réunions, moins de stress, et des livraisons plus rapides. »

Un impact positif sur la parité homme-femme

Un effet secondaire inattendu mais salutaire : la semaine de quatre jours a favorisé une meilleure répartition des tâches domestiques. En Islande, pays régulièrement en tête des classements sur l’égalité des genres, cette réforme a renforcé un mouvement déjà en marche. Les hommes, disposant d’un jour de plus par semaine, participent davantage aux soins des enfants et aux tâches ménagères.

« Mon mari a enfin pu s’inscrire à un cours de cuisine, raconte Solveig Björnsdóttir, mère de deux enfants et chargée de projet dans une ONG. Avant, il disait toujours qu’il était “trop fatigué” le soir. Maintenant, il rentre plus tôt, plus détendu. Et c’est lui qui prépare le dîner deux soirs par semaine. »

Quels enseignements pour les autres pays ?

L’Espagne, laboratoire européen de la semaine de 4 jours

En 2023, l’Espagne a lancé un programme national expérimental avec 6 000 travailleurs sur trois ans. Financé par l’État et encadré par des chercheurs, le projet vise à évaluer l’impact sur la productivité, la santé et la satisfaction au travail. Dans une entreprise de logistique à Barcelone, les résultats préliminaires sont encourageants : absence de baisse de rendement, et une réduction de 20 % des arrêts maladie.

« Au départ, les patrons avaient peur, confie Carla Mendoza, coordinatrice RH. Mais quand ils ont vu que les livraisons étaient à l’heure, que les clients étaient satisfaits, ils ont commencé à y croire. »

L’Allemagne et le Royaume-Uni, entre prudence et innovation

En Allemagne, plusieurs entreprises du secteur technologique ont adopté la semaine de quatre jours, notamment à Berlin et Munich. Les résultats montrent une baisse du turnover et une hausse de la motivation. En revanche, les grandes industries, comme l’automobile, restent frileuses, craignant des perturbations dans les chaînes de production.

De l’autre côté de la Manche, le Royaume-Uni a mené en 2022 une vaste expérimentation avec plus de 60 entreprises. Les conclusions ont été publiées en 2023 : 92 % des entreprises ont choisi de prolonger le dispositif. « Les employés sont plus fidèles, plus engagés, observe Thomas Whitmore, dirigeant d’une société de conseil à Manchester. Et nos clients n’ont rien remarqué. »

Et en France, où en est-on ?

En France, la semaine de 35 heures reste un symbole fort, mais de plus en plus d’entreprises expérimentent des formules alternatives. Depuis 2021, LDCL, une entreprise lyonnaise spécialisée dans les solutions logicielles, a réduit le temps de travail à 32 heures sans baisse de salaire. Les résultats ? Une productivité stable, une meilleure ambiance, et une réduction des absences.

« On a dû repenser toute notre organisation, explique Léa Chambon, directrice des opérations. On a mis fin aux réunions de deux heures sans objet. On a digitalisé les processus. Et surtout, on a fait confiance à nos équipes. »

Quels sont les obstacles à une généralisation ?

Les spécificités sectorielles

Si le modèle islandais fonctionne bien dans les bureaux, les services ou l’enseignement, il se heurte à des limites dans les secteurs où la continuité est essentielle. En santé, par exemple, les infirmières et médecins ne peuvent pas simplement « arrêter » un jour par semaine. Des adaptations sont nécessaires : rotation des équipes, réduction des heures supplémentaires, ou modulation du temps de travail sur plusieurs semaines.

« On ne peut pas fermer un hôpital un jour par semaine, reconnaît Þóra Sigurðardóttir, infirmière à Reykjavik. Mais on peut organiser des semaines à 36 heures en réduisant les heures creuses, en mutualisant les tâches administratives. On a gagné en efficacité, et en qualité de soins. »

Les différences culturelles et économiques

Le modèle islandais repose sur un socle solide : un fort dialogue social, une culture du consensus, et une petite population qui facilite la coordination. Dans des pays plus grands, plus fragmentés, la mise en œuvre est plus complexe. En France, par exemple, les négociations entre syndicats et employeurs peuvent s’éterniser. En Italie, la productivité varie fortement selon les régions.

« Ce n’est pas un modèle universel, nuance le sociologue Henrik Vagnsson, chercheur à l’université de Copenhague. Mais c’est un signal fort : le temps de travail n’est pas une donnée fixe. Il peut être repensé, adapté, optimisé. »

Quel avenir pour la semaine de 4 jours ?

L’Islande a ouvert la voie, mais la route est encore longue. La semaine de quatre jours n’est ni une panacée, ni une mode passagère. Elle est une réponse pragmatique à des enjeux contemporains : épuisement professionnel, crise climatique, transformation numérique, attentes nouvelles des salariés.

Les entreprises qui l’adoptent ne le font pas par idéologie, mais par réalisme. Elles constatent que des employés reposés, motivés, mieux équilibrés, sont plus créatifs, plus fidèles, et plus productifs. Et les gouvernements commencent à y voir un levier pour améliorer la compétitivité, la santé publique, et la cohésion sociale.

« On a trop longtemps cru que travailler plus signifiait produire plus, analyse la politologue Aðalheiður Jónsdóttir. L’Islande a démontré le contraire. Travailler mieux, c’est travailler moins. »

A retenir

La semaine de 4 jours en Islande a-t-elle vraiment fonctionné ?

Oui. Lancée en 2015, l’expérimentation a montré que la productivité pouvait être maintenue, voire augmentée, malgré une réduction du temps de travail. En 2019, près de 90 % des salariés islandais ont adopté cette nouvelle norme sans perte de salaire. L’économie n’a pas souffert : taux de chômage bas, croissance soutenue, et bien-être accru.

Les salariés sont-ils plus heureux ?

Les données sont claires : 80 % des employés se déclarent satisfaits, plus de 60 % rapportent une amélioration de leur vie personnelle. La pression au travail a diminué, les risques de burnout se sont réduits, et la santé mentale s’est améliorée. De nombreux témoignages soulignent un regain d’énergie et de motivation.

Est-ce applicable dans d’autres pays ?

Le modèle islandais n’est pas directement transposable, mais il inspire. Des expérimentations sont en cours en Espagne, au Royaume-Uni, en Allemagne, et dans certaines entreprises françaises. Le succès dépend de la capacité des organisations à repenser leurs processus, à investir dans la gestion du temps, et à instaurer une culture de la confiance.

Qu’en est-il des secteurs essentiels comme la santé ou la sécurité ?

La semaine de quatre jours ne signifie pas un jour de fermeture systématique. Dans les secteurs critiques, des adaptations sont nécessaires : rotation des équipes, modulation du temps de travail, réduction des heures inefficaces. L’objectif n’est pas de supprimer une journée, mais d’optimiser le temps de travail.

Est-ce que cela coûte cher aux entreprises ?

Pas nécessairement. En Islande, les salaires n’ont pas été réduits, mais les gains d’efficacité ont compensé la baisse du temps de présence. Moins de réunions, moins de paperasse, moins d’absentéisme : les coûts indirects ont diminué. De plus, la fidélisation des talents réduit les frais de recrutement et de formation.