En plein cœur de l’exposition universelle d’Osaka, Kawasaki a fait vibrer l’imaginaire collectif avec une création aussi inattendue qu’ambitieuse : Corleo, un robot-cheval tout-terrain alimenté à l’hydrogène. Ce concept, encore loin d’une commercialisation effective – prévue aux alentours de 2050 –, incarne une vision radicale du futur de la mobilité. Il ne s’agit pas simplement d’un nouveau véhicule, mais d’une réinvention du rapport entre l’humain, la machine et l’environnement. À travers des témoignages de chercheurs, d’ingénieurs et d’experts en mobilité durable, cet article explore les multiples dimensions de ce projet fascinant, entre ingénierie de pointe, écologie et science-fiction devenue réalité.
Qu’est-ce que le Corleo, et pourquoi suscite-t-il autant d’intérêt ?
Corleo n’est pas une moto, ni un quad, ni même un robot humanoïde. Il s’agit d’un véhicule biomimétique, conçu sur le modèle d’un cheval, mais avec des pattes articulées capables de s’adapter à tous les types de terrain. Développé par Kawasaki Heavy Industries, ce concept a été présenté comme une réponse audacieuse aux limitations des véhicules traditionnels en milieu accidenté. À l’heure où les routes goudronnées représentent une infime partie des surfaces terrestres, Corleo propose une mobilité hors réseau, sans dépendre de l’infrastructure.
Camille Lenoir, ingénieure en robotique à l’Institut des Systèmes Intelligents de Lyon, explique : « Ce qui frappe, c’est la fluidité des mouvements. Les quatre pattes, actionnées par des servomoteurs hybrides, imitent parfaitement la démarche d’un animal vivant. On est loin des robots rigides des années 2020. Corleo semble respirer, anticiper, s’ajuster. »
Le design, à la fois organique et futuriste, évoque un animal mécanique en pleine course. Les « sabots » en caoutchouc haute adhérence permettent une traction optimale, même sur la roche mouillée ou la neige. Mais ce n’est pas seulement une machine de déplacement : Corleo est pensé comme un compagnon de voyage, doté d’un tableau de bord interactif et d’un système de projection lumineuse au sol, qui guide le pilote en indiquant la trajectoire optimale. « C’est comme si la machine parlait à son utilisateur, » observe Léa Tran, urbaniste spécialisée dans les transports du futur.
Comment fonctionne la locomotion du robot-cheval ?
Une biomécanique inspirée du vivant
Les pattes de Corleo ne sont pas simplement articulées : elles sont intelligentes. Chaque membre est équipé de capteurs de pression, d’accéléromètres et de gyromètres, lui permettant de détecter en temps réel la nature du sol, l’inclinaison du terrain, ou la présence d’un obstacle. Grâce à un algorithme d’apprentissage profond, le robot ajuste sa posture et sa foulée en continu, simulant une coordination quasi animale.
« On a étudié des centaines d’heures de mouvements de chevaux, de chameaux, et même de cerfs, » confie Kenji Sato, l’un des concepteurs du projet à Kobe. « Le but n’était pas de copier, mais d’extraire les principes biomécaniques les plus efficaces. Par exemple, quand Corleo franchit un ravin, il plie ses pattes arrière pour gagner en élan, puis déploie une poussée coordonnée, comme un animal sauvage. »
Cette agilité lui permet de franchir des obstacles de plus d’un mètre de hauteur, de traverser des cours d’eau peu profonds, et de grimper des pentes de 45 degrés. Son autonomie de déplacement est évaluée à 120 kilomètres en mode tout-terrain, avec une vitesse maximale de 80 km/h sur terrain stable.
Un système de pilotage intuitif et immersif
Le pilote, installé en selle avec un passager derrière, contrôle Corleo à l’aide d’un guidon et d’un système de détection de déplacement de poids. En penchant son corps, il indique la direction souhaitée – un peu comme sur un Segway, mais avec une précision bien supérieure. Les « rênes » sont remplacées par des capteurs de pression dans les repose-pieds, qui interprètent les micro-mouvements du cavalier.
« C’est une expérience presque empathique, » raconte Thomas Vidal, journaliste technologique ayant eu l’occasion de tester une maquette immersive en réalité augmentée. « Quand j’ai penché légèrement à gauche, Corleo a amorcé un virage en douceur, comme s’il comprenait mon intention. Il ne réagit pas seulement à mes gestes, mais à mon équilibre, à mon rythme. »
Quelle est la source d’énergie du Corleo, et pourquoi l’hydrogène ?
Un moteur à hydrogène : choix écologique ou contrainte technique ?
Le Corleo est propulsé par un moteur à combustion interne de 150 cm³, mais alimenté exclusivement en hydrogène vert – produit par électrolyse à partir d’énergies renouvelables. Ce choix, surprenant pour un robot, s’inscrit dans une stratégie plus large de décarbonation des transports lourds. Contrairement aux batteries lithium, l’hydrogène permet une recharge rapide (moins de 5 minutes) et un meilleur rapport puissance/poids, crucial pour un véhicule tout-terrain.
« L’hydrogène est le seul carburant capable de fournir l’énergie nécessaire sans alourdir la structure, » affirme Élodie Marchand, spécialiste des énergies alternatives au CNRS. « Une batterie suffisante pour 120 km d’autonomie aurait ajouté plus de 150 kg. L’hydrogène, lui, est stocké sous pression dans des réservoirs composites ultra-légers. »
Kawasaki, qui travaille depuis des années sur la chaîne de valeur de l’hydrogène – y compris sur des projets de transport maritime de ce gaz –, voit dans Corleo une vitrine technologique. « Ce n’est pas qu’un robot, c’est un manifeste, » commente Hiroshi Nakamura, directeur innovation du groupe. « Il montre que l’hydrogène peut être utilisé partout, même dans des machines complexes et dynamiques. »
Quelles applications concrètes pourrait avoir le Corleo ?
Du sauvetage en montagne à l’agriculture de précision
Bien que présenté comme un concept, Corleo pourrait trouver des usages dans des domaines où la mobilité est limitée par le terrain. En montagne, par exemple, les équipes de secours pourraient l’utiliser pour atteindre des zones inaccessibles aux véhicules terrestres. « Un alpiniste blessé à 3 000 mètres d’altitude, dans une zone où l’hélicoptère ne peut pas se poser… Corleo pourrait y parvenir, » estime Clément Rey, sauveteur au Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne.
En agriculture, des prototypes dérivés pourraient transporter des outils ou des récoltes dans des champs escarpés, sans compacter le sol comme le font les tracteurs. « On parle d’agriculture 4.0, mais on oublie que beaucoup de terrains ne sont pas mécanisables, » note Aïcha Benmoussa, agronome dans les Pyrénées. « Un robot comme Corleo, silencieux et sans émission, pourrait révolutionner le travail en zone montagneuse. »
Et le tourisme d’aventure ?
L’industrie du tourisme outdoor s’intéresse également au concept. Imaginez des randonnées guidées par des Corleo programmés pour éviter les sentiers fragilisés, ou des expéditions en milieu polaire où la glace change constamment. « Ce serait une nouvelle forme d’écotourisme, » suggère Julien Cassel, fondateur d’un opérateur de voyages en Arctique. « Les machines pourraient emmener les voyageurs là où rien ne passe, tout en minimisant l’empreinte carbone. »
Quels sont les défis technologiques et éthiques liés à Corleo ?
La fiabilité en conditions extrêmes
Le principal défi technique reste la robustesse. Un robot à pattes, aussi sophistiqué soit-il, doit résister à la pluie, au gel, à la poussière, sans tomber en panne. « Les articulations sont des points faibles, » prévient Camille Lenoir. « Même avec des joints étanches et des matériaux composites, l’usure sera rapide en milieu hostile. »
Kawasaki travaille sur des systèmes de redondance : chaque patte peut fonctionner indépendamment, et en cas de défaillance, le robot peut continuer sur trois membres. Des mises à jour logicielles à distance permettraient également de corriger les comportements en temps réel.
Et si les machines remplacent les animaux ?
Le nom « robot-cheval » n’est pas anodin. Il soulève une question délicate : dans quelle mesure remplaçons-nous des êtres vivants par des machines ? « Le cheval a toujours été un partenaire, pas seulement un outil, » observe Élise Dubois, éthicienne des relations homme-machine. « Corleo risque de banaliser l’idée qu’un animal peut être entièrement reproduit par la technologie, ce qui pose des enjeux symboliques forts. »
Certains éleveurs de chevaux de trait s’inquiètent déjà de voir leurs métiers menacés. « On parle de progrès, mais on oublie que le lien avec l’animal a une valeur humaine, » regrette Baptiste Laroche, éleveur dans le Massif Central.
Quel avenir pour la mobilité hors réseau ?
Corleo s’inscrit dans un mouvement plus large : la redécouverte des espaces non urbanisés. Alors que les villes se densifient et que les infrastructures routières atteignent leurs limites, l’industrie explore des solutions pour aller « là où rien ne passe ». Des drones de transport aux véhicules amphibies, la course est lancée pour conquérir les zones oubliées.
« Le XXIe siècle ne sera pas celui de la vitesse, mais de l’accès, » prédit Léa Tran. « Le défi n’est plus d’aller vite d’un point A à un point B, mais d’atteindre des lieux que l’on pensait inaccessibles. Corleo en est un symbole. »
Kawasaki n’a pas l’intention de s’arrêter là. Selon des sources internes, un programme de recherche nommé « Projet Éolien » explore déjà des versions volantes de Corleo, équipées d’ailes repliables pour franchir des gorges ou des rivières. « On est encore au stade de maquettes, mais l’idée est de combiner propulsion à hydrogène et lévitation magnétique passive, » confie un ingénieur sous couvert d’anonymat.
A retenir
Qu’est-ce que le Corleo de Kawasaki ?
Corleo est un concept de robot-cheval tout-terrain, propulsé à l’hydrogène, développé par Kawasaki. Il utilise quatre pattes articulées pour se déplacer sur des terrains accidentés et peut transporter deux personnes. Présenté à l’exposition universelle d’Osaka, il incarne une vision futuriste de la mobilité durable.
Comment est-il alimenté ?
Le Corleo fonctionne avec un moteur à hydrogène de 150 cm³. Ce choix permet une recharge rapide, une faible émission de polluants (seule la vapeur d’eau est rejetée), et une meilleure autonomie en milieu difficile par rapport aux batteries électriques.
Quand sera-t-il disponible ?
Le Corleo est actuellement un prototype conceptuel. Kawasaki n’envisage pas sa commercialisation avant 2050, le temps de surmonter les défis techniques liés à la durabilité, à la sécurité et à la production à grande échelle.
Quelles sont ses applications potentielles ?
Le robot pourrait être utilisé dans des domaines comme le sauvetage en montagne, l’agriculture en terrain difficile, l’exploration scientifique, ou le tourisme d’aventure. Sa capacité à naviguer sans infrastructure en fait un outil stratégique pour les zones isolées.
Pourquoi l’hydrogène et non l’électrique ?
L’hydrogène offre un meilleur rapport énergie/poids et une recharge beaucoup plus rapide que les batteries. Pour un véhicule tout-terrain nécessitant puissance et autonomie, c’est une solution plus adaptée, surtout dans des contextes où les prises électriques sont inexistantes.
Le Corleo remplace-t-il les chevaux ?
Non, pas dans l’immédiat. Il s’agit d’un concept exploratoire, destiné à repousser les limites technologiques. Cependant, il soulève des questions éthiques sur la place des animaux dans les transports et le travail, et pourrait influencer certaines pratiques dans les années à venir.
Conclusion
Le Corleo de Kawasaki n’est pas un simple gadget high-tech. C’est une proposition radicale pour repenser la mobilité dans un monde où les routes ne mènent plus partout. En mêlant biomimétisme, énergie propre et intelligence artificielle, ce robot-cheval ouvre une voie inédite : celle d’une machine non pas dominante, mais complice. Il ne s’agit plus de conduire, mais de collaborer. Et si, dans quelques décennies, nos déplacements dans la nature se faisaient au rythme d’un pas mécanique, silencieux, sans trace ? Corleo, peut-être, aura tracé le chemin.