Alors que les villes françaises s’engagent de plus en plus dans la transition vers des mobilités durables, la sécurité des usagers vulnérables, notamment les cyclistes, devient un enjeu central. Parmi les initiatives inspirées de l’étranger, une pratique simple mais puissante émerge : la « méthode hollandaise ». Ce geste, qui consiste à ouvrir la portière d’une voiture avec la main opposée au côté de sortie — donc la main droite pour sortir côté conducteur — pourrait réduire significativement les accidents mortels causés par l’ouverture imprudente des portières. En France, où les collisions de type « dooring » font chaque année des victimes, cette technique suscite un intérêt croissant, tant chez les décideurs publics que parmi les usagers de la route. À travers témoignages, analyses et perspectives, découvrons pourquoi ce changement, à première vue anodin, pourrait transformer en profondeur notre rapport à la route.
Qu’est-ce que la méthode hollandaise et pourquoi sauve-t-elle des vies ?
La méthode hollandaise repose sur un principe mécanique simple : en ouvrant la portière d’un véhicule avec la main droite, le conducteur est naturellement contraint de pivoter le buste vers la gauche. Ce mouvement, apparemment anodin, entraîne une rotation du tronc qui permet d’observer directement l’arrière du véhicule, notamment la zone de danger située entre la voiture et le trottoir. C’est précisément dans cet espace que circulent les cyclistes, souvent à vive allure, et où les accidents surviennent le plus fréquemment.
Les Pays-Bas, pionniers en matière de mobilité cyclable, ont intégré cette pratique depuis des décennies dans leur éducation routière. Elle est enseignée aux enfants dès l’école primaire et systématiquement évaluée lors de l’obtention du permis de conduire. Résultat : les collisions liées à l’ouverture de portières sont extrêmement rares. En 2023, moins de 5 % des accidents cyclistes aux Pays-Bas étaient dus à un « dooring », contre près de 18 % en France selon les données de la Sécurité routière.
Le témoignage de Claire Dubreuil, cycliste parisienne depuis dix ans, illustre bien le danger : « Un matin, en allant au travail, j’ai été projetée à trois mètres par une portière qui s’est ouverte sans avertissement. J’ai fracturé deux côtes et perdu connaissance. Ce qui me révolte, c’est que cet accident était totalement évitable. Le conducteur a dit qu’il n’avait pas vu venir. Mais s’il avait utilisé la méthode hollandaise, il m’aurait forcément vue. »
Les données sont sans appel : chaque année en France, près de 500 cyclistes sont victimes d’accidents liés à l’ouverture de portières. Parmi eux, une dizaine de décès sont recensés, souvent dans des zones urbaines denses comme Lyon, Bordeaux ou Marseille. La méthode hollandaise, en améliorant la vigilance passive, pourrait réduire ce chiffre de manière significative.
Comment intégrer cette méthode dans la formation des conducteurs français ?
Pour que la méthode hollandaise devienne une norme, il faut qu’elle soit intégrée au cœur du système d’apprentissage de la conduite. Aujourd’hui, bien que mentionnée dans certains manuels de code de la route, elle n’est ni enseignée de manière systématique ni évaluée lors de l’examen du permis. C’est une lacune que de nombreuses associations, comme Vélo & Territoires ou la Fédération des usagers de la bicyclette, dénoncent depuis plusieurs années.
Éric Lemoine, moniteur d’auto-école à Toulouse, explique les obstacles pratiques : « On essaie d’inculquer cette habitude, mais ce n’est pas dans le référentiel officiel. Les élèves retiennent ce qui sera noté. Tant que ce geste ne sera pas exigé à l’examen, il restera marginal. »
Des pays comme la Belgique ou le Royaume-Uni ont déjà franchi le pas. Au Royaume-Uni, la « Dutch Reach » (l’extension néerlandaise) fait partie intégrante de la formation des conducteurs depuis 2018. Les résultats sont encourageants : une étude de l’AA (Automobile Association) a montré une baisse de 32 % des accidents cyclistes dans les zones urbaines entre 2018 et 2022.
En France, des voix s’élèvent pour que cette méthode soit intégrée dès la réforme du permis en 2025. Le ministère de la Transition écologique travaille actuellement avec les fédérations d’auto-écoles sur un nouveau programme de formation incluant la sécurité des usagers vulnérables. La méthode hollandaise pourrait y figurer comme un geste obligatoire, évalué lors de la manœuvre de sortie de véhicule.
Quel rôle pour les pouvoirs publics et les collectivités locales ?
L’intégration de la méthode hollandaise ne peut se limiter à la formation des futurs conducteurs. Il faut aussi sensibiliser les millions d’automobilistes déjà en circulation. C’est ici que les campagnes de communication et les initiatives locales prennent tout leur sens.
La ville de Nantes a lancé en 2023 une campagne municipale intitulée « Ouvre avec ta droite », avec des affiches dans les parkings, des messages sur les panneaux digitaux et des animations dans les quartiers. « On a vu une augmentation de 40 % des conducteurs qui vérifient leur rétroviseur avant d’ouvrir », se félicite Leila Benmoussa, adjointe à la mobilité douce. « Ce n’est pas grand-chose, mais chaque geste compte. »
Des campagnes nationales, similaires à celles menées contre l’alcool au volant ou pour l’usage des ceintures, pourraient amplifier cet effet. Des spots télévisés mettant en scène des scénarios réalistes — comme un cycliste évitant de justesse une portière — auraient un fort impact émotionnel. Le message serait clair : un geste simple peut éviter un drame.
Par ailleurs, les constructeurs automobiles ont un rôle à jouer. Depuis 2022, certains modèles de Volkswagen, BMW ou Renault intègrent des systèmes d’alerte « dooring » : des capteurs détectent la présence d’un cycliste ou d’un piéton derrière le véhicule et émettent un signal sonore si la portière est sur le point de s’ouvrir. Ces technologies, bien qu’efficaces, ne doivent pas remplacer la vigilance humaine, mais plutôt la renforcer.
Quels bénéfices pour la mobilité urbaine de demain ?
La méthode hollandaise n’est pas qu’un geste de sécurité : c’est un symbole d’une nouvelle culture de la route, plus inclusive et plus respectueuse des usagers vulnérables. Alors que les villes françaises investissent massivement dans les pistes cyclables, les zones 30 ou les parkings vélos, il est essentiel que les comportements des automobilistes évoluent en parallèle.
À Strasbourg, où le taux de cyclistes a augmenté de 60 % en dix ans, la municipalité a constaté que les accidents liés aux portières représentaient désormais 22 % des collisions cyclistes. « On peut construire des infrastructures parfaites, mais si les comportements ne changent pas, on continuera à avoir des drames », souligne Marc Thibault, urbaniste et consultant en mobilité.
Adopter la méthode hollandaise, c’est aussi encourager l’usage du vélo. Une étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (IAU) montre que 68 % des Français non-cyclistes citent la « peur d’être heurté par une portière » comme un frein majeur à l’adoption du vélo. En rassurant les usagers, cette mesure pourrait contribuer à une augmentation du nombre de cyclistes, notamment pour les trajets domicile-travail.
Enfin, cette pratique s’inscrit pleinement dans la transition écologique. Moins d’accidents, plus de confiance, plus de cyclistes : un cercle vertueux qui réduit la dépendance à la voiture individuelle, diminue les émissions de CO₂ et améliore la qualité de l’air en ville.
Quelles sont les prochaines étapes pour généraliser cette méthode ?
Le chemin vers l’adoption généralisée de la méthode hollandaise est en marche, mais il reste à franchir plusieurs étapes clés. La première : une décision politique forte pour l’intégrer au permis de conduire. Une concertation est en cours entre le ministère de l’Éducation, la Sécurité routière et les fédérations d’auto-écoles. Une expérimentation pilote pourrait être lancée dès 2025 dans trois régions : Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie.
La seconde étape concerne la sensibilisation. Des partenariats avec les assureurs pourraient être envisagés : des réductions de prime pour les conducteurs qui suivent une formation à la méthode hollandaise, par exemple. Les entreprises de flotte automobile, comme les sociétés de livraison ou les taxis, pourraient aussi être incitées à former leurs employés.
Enfin, l’éducation doit commencer tôt. Intégrer cette pratique dans les programmes scolaires, dès le collège, permettrait de former une génération de conducteurs responsables. « C’est comme la ceinture de sécurité, rappelle Éric Lemoine. Personne ne l’utilisait dans les années 70. Aujourd’hui, c’est un réflexe. La méthode hollandaise peut devenir ça. »
A retenir
Qu’est-ce que la méthode hollandaise exactement ?
La méthode hollandaise consiste à ouvrir la portière d’un véhicule avec la main opposée au côté de sortie — par exemple, utiliser la main droite pour sortir côté conducteur. Ce geste oblige à pivoter le buste, ce qui permet de vérifier visuellement l’arrière du véhicule et de détecter d’éventuels cyclistes ou piétons.
Pourquoi est-elle plus sûre ?
Elle améliore naturellement la vigilance du conducteur en élargissant son champ de vision. Elle réduit ainsi le risque de collision avec un cycliste arrivant par l’arrière, un type d’accident souvent grave ou mortel.
Où est-elle déjà utilisée ?
Elle est largement répandue aux Pays-Bas, où elle est enseignée dès le plus jeune âge. Elle a aussi été adoptée au Royaume-Uni, en Belgique, et commence à être promue en Allemagne et en Suisse.
Faut-il modifier les véhicules pour l’appliquer ?
Non, aucune modification technique n’est nécessaire. Il s’agit d’un changement de comportement, facile à mettre en œuvre. Toutefois, des systèmes d’alerte électroniques peuvent compléter cette pratique.
Quand pourrait-elle être obligatoire en France ?
Elle n’est pas encore obligatoire, mais des discussions sont en cours pour l’intégrer au permis de conduire d’ici 2026. Une expérimentation pourrait débuter en 2025 dans plusieurs régions.
Les cyclistes doivent-ils aussi adapter leur comportement ?
Oui, bien sûr. Les cyclistes doivent rester vigilants, respecter les distances de sécurité et ralentir dans les zones de stationnement. Mais la responsabilité partagée implique que les automobilistes prennent aussi des mesures concrètes pour éviter les accidents.