Imaginez-vous en vacances, encore somnolent, traînant les pieds vers les toilettes tôt le matin. Soudain, un cri strident résonne dans la petite maison en bois. Ce n’est pas la bande-son d’un film d’horreur, mais la réalité qui vient de saisir un trentenaire thaïlandais, Surasak Thepprasit, réveillé par une morsure brûlante alors qu’il venait simplement de s’asseoir. Sous lui, une énorme piton de près de quatre mètres s’était glissée dans la cuvette, transformant l’inconfort d’une envie pressante en cauchemar éveillé.
Comment une piton de près de quatre mètres a-t-elle atterri dans des toilettes ?
Surasak effectue sa petite routine au petit jour sur la côte est de la Thaïlande, près de Rayong. Il pousse la porte de la salle d’eau sombre, œuvre machinalement son short de pyjama et s’installe. Une douleur fulgurante le cloue sur place. Il regarde aussitôt en contrebas : deux yeux opaques le fixent, la gueule du serpent encore crispée sur lui. Cette espèce de python non venimeux, le « piton réticulé », fréquente les égouts pour deux raisons simples : les tuyaux restent humides et frais sous l’effet du climat tropical, et les rats qui circulent dans ces galeries leur fournissent un festin régulier. Une grille de canalisation mal fixée ou un simple coude fissuré suffit à offrir une voie royale jusqu’à la cuvette. Rebaptisé de façon imagée « le tuyau troisième gamelle » par les plombiers locaux, ce trajet est plus commun qu’on ne le pense, surtout en saison des pluies quand les rats se réfugient dans les égouts.
Le même parcours avait valu en 2016 à Somchai na Lamphun, un agriculteur de 42 ans, une morsure similaire à Chachoengsao. « J’ai cru que quelqu’un m’avait donné un coup de tournevis », raconte-t-il encore azimuté lorsque nous l’avons joint quelques jours avant l’incident de Surasak. « Un voisin m’a expliqué que le serpent suivait le même itinéraire que les rats ; il voyait la cuvette comme l’entrée d’un terrier confortable. »
Il n’existe pas de statistique nationale, mais les pompiers de Bangkok confient avoir sorti en moyenne 45 serpents de toilettes en 2023, dont la moitié étaient des pitons mesurant entre deux et cinq mètres. Même les serpentologues avouent que l’infiltration reste « imprévisible » car ces reptiles excellent dans l’art du camouflage et apprécient les lieux calmes.
Que ressent-on lorsqu’on se fait mordre, et comment réagit-on ?
Surasak déclare n’avoir jamais éprouvé une douleur aussi vive. « Ce n’est pas une piqure, c’est comme si on vous écrasait au point de rupture puis qu’on essayait d’arracher », dit-il, hésitant encore à décrire la scène. Son cerveau passe soudain en mode « survie » : il plonge la main droite dans l’eau glacée, serre la base du cou du serpent et tire avec force. L’animal résiste. De son autre main, Surasak saisit la brosse à cuvette en plastique et frappe la tête à plusieurs reprises, créant un bruit sourd dans la céramique. Le sol se pare rapidement de gouttelettes de sang venant de la morsure autant que des gerçures infligées à l’animal. Lorsque la mâchoire se relâche enfin, le serpent tombe lourdement sur les carreaux, encore enroulé comme un câble téléphonique.
Un peu plus au nord, à Phetchaburi, la vendeuse de fruits Kanya Sinsuwan confie un réflexe similaire vividement ingéré dans la mémoire depuis 2020. « Je sentis une brûlure sur la cuisse, puis l’adrénaline me fit bondir debout. Je n’ai pas encore compris ce qui se passait, je roulais déjà par terre en me voyant déjà sur TikTok. » Son cri effrayé réveilla toute la famille. Quelqu’un donna un coup de bâton, la vipère s’enfuit, et la morsure se solda par des points de suture, trois jours d’hospitalisation et six semaines de peur chaque fois qu’elle utilisait les toilettes.
Quelle suite immédiate pour les victimes ?
Un voisin entend les gémissements de Surasak et appelle les secours. Dix minutes plus tard, les ambulanciers embarquent le trentenaire encore en sueur froide. Au centre hospitalier de Rayong, le diagnostic est sans appel : morsure non perforante sans trace de venin. Le médecin prescrit une injection antitétanique et un antibiotique préventif. Les tests sanguins confirment la chance : piton réticulé = pas de venin. Dans le couloir, on entend déjà les rires gênés du personnel quand ils échangent entre eux l’anecdote de la « journée mémorable ». Cette légèreté cache surtout la chance réelle d’être tombé sur une espèce inoffensive autrement que sur une vipère à sonnette ou une cobra monocoque, capables d’envoyer un patient en réanimation.
Avant d’être relâché, Surasak reçoit deux conseils qui lui paraissent alors ridiculement simples : vérifier avant l’usage, installer une grille en acier inoxydable à chaque sortie d’égout. Humble, il acquiesce, promettant à la médecin : « Je regarderai deux fois, peut-être trois. »
Comment ces accidents se multiplient-ils en Thaïlande ?
Si la presse locale est friande de faits divers spectaculaires, les éléments récurrents sont la chaleur extrême qui pousse les reptiles vers la fraîcheur humide et la présence d’égouts ouverts non entretenus. L’urbanisation galopante transforme les anciennes rizières en lotissements sans revoir toujours les réseaux d’assainissement. Le Bangkok Post a calculé que 40 % des branchements domestiques dans les banlieues sont toujours équipés d’anciens puits septiques non protégés : des cuvettes idéales, littéralement.
De plus, la croissance démographique du rat – le déjeuner préféré du python – fait grimper la menace. En 2021, les services municipaux de Rayong ont dressé 21 000 pièges à rats dans les égouts de la province, un bond de 38 % par rapport à 2018. Plus il y a de rats, plus on attire les serpents écailles.
Du côté des victimes, tous racontent le même sentiment de sidération : on n’attend pas le danger dans un lieu aussi intime. Pornchai Maneesuk, directeur provincial de la lutte contre les animaux nuisibles, l’admet : « Un serpent dans une toilette, c’est comme du Jaws dans la baignoire pour occidentaux. »
Pourquoi la simple prudence suffit-elle si peu ?
Le rituel de pêche à la torche, hérité des grands-parents, perdure dans les villages : allumer son smartphone pour éclairer la cuvette. Mais la fatigue du réveil, l’habitude ou l’obscurité font souvent défaut. Krit Thanaporn, étudiant en génie sanitaire, l’a compris : il a créé un détecteur sonore en open source, collé sous la lunette, qui émet un bip doux si un corps en mouvement est détecté sous la cuvette. Coût : 2 dollars de composants. Son plan ? « Distribuer gratuitement des kits dans les écoles pour que les enfants contre-attaquent en apprenant les bases de l’électronique. »
Pour les plus âgés, les solutions restent basiques. Lursak Saiwichian, maire adjoint de Chumphon, a installé des grilles en acier galvanisé sur le système de tout le marché couvert de la ville. Coût global : 38 000 bahts, équivalent à cent générations de paniques évitées.
Pourquoi le courage de Surasak résume-t-il un héros malgré lui ?
Lors du retour chez lui, Surasak reste en arrière devant la salle de bain. Les affiches de nettoyage sanglant ont été retirées, mais l’odeur désinfectante réveille encore la peur. Pourtant, il accepte de raconter son histoire sur une chaîne locale, devenant le symbole involontaire de la résilience. Ses voisins l’appellent maintenant « Nai Ngu », littéralement « Monsieur Serpent ». Souriant nerveusement, il se rappelle le moment exact où il a eu peur de mourir. « Mon fils m’avait appelé pour dire bonjour depuis la cour. J’ai eu juste le temps de penser : “S’il ouvre la porte maintenant…” » Roulant la tête comme pour chasser l’image, il pousse cependant un léger rire : « Je me sens fort. J’ai surmonté la chose que la plupart des gens seulement regardent aux infos. » Même critique, les toubibs louent son calme : attraper à mains nues un python enragé n’est pas un geste à copier, mais son sang-froid a limité les lésions. À ce titre, il devient bénévole pour des ateliers sur la faune locale, histoire de transformer sa mésaventure en leçon.
Conclusion : la prochaine visite aux toilettes sera-t-elle la sérénité ou la peur ?
Sortez une brosse à dents, yourtez la tête de vos enfants pour le brossage ensemble : petit rituel du quotidien. Mais au fond de vous, une voix vous murmure peut-être désormais : « Et si le monstre patiente juste en dessous ? » La réponse tient en trois gestes presque anodins : allumer la lumière, inspecter visuellement et, pourquoi pas, installer un garde-corps d’acier. Dans les contrées tropicales, on ne plaisante pas avec la nuit, mais on continue quand même d’aller aux toilettes. Surasak reviendra bien sûr s’asseoir un jour sur cette fameuse cuvette. Lors de notre dernière interview, il nous a glissé : « Monte la musique, ouvre grand les rideaux, et souviens-toi que c’est juste un coin pour se reposer. » Un coin de repos, oui, tant que la grille est bien en place et que la lumière de l’aube dissipe les ombres de la peur.
A retenir
Quels serpents peuvent monter dans une cuvette ?
Principalement les pitons réticulés et, plus rarement, les cobras ou vipères qui chassent les rats dans les égouts.
Comment reconnaître une morsure de piton ?
Une rangée de marques en U sans trace de venin saignant abondamment mais sans enflure progressive.
Que faire en cas de morsure ?
Rester calme, retirer l’animal sans tirer vers l’arrière, laver avec de l’eau claire et se rendre aux urgences pour antitétanique et surveillance.
Quelles protections simples installer ?
Grille en acier inoxydable chaque côté de la selle, fermeture hermétique du couvercle, lampe de poche fixée près de la porte.
La peur post-traumatique est-elle fréquente ?
Oui, même un an plus tard, trois quarts des victimes évitaient de fermer la porte des toilettes ou inspiraient deux fois avant de s’asseoir.