Carburants : pourquoi les prix baissent en 2025 mais restent élevés

En 2022, l’été a été marqué par une chaleur accablante, mais aussi par des prix à la pompe qui ont laissé de nombreux automobilistes sous le choc. Depuis, une légère amélioration s’est installée, presque imperceptiblement, comme un soulagement discret après une longue tension. Les conducteurs français constatent aujourd’hui une baisse des tarifs du carburant, une tendance qui fait plaisir aux portefeuilles, mais qui interroge tout autant. Qu’est-ce qui se cache derrière cette désinflation inattendue ? Les prix baissent-ils pour de bon ? Et surtout, que signifie cette évolution pour les consommateurs, les familles, les artisans, les routiers ?

Pourquoi les prix du carburant baissent-ils alors que la crise persiste ?

La réponse tient à un équilibre fragile entre offre, demande et tensions géopolitiques. En mars 2022, le baril de pétrole brut a grimpé jusqu’à 120 dollars, une conséquence directe de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais aussi de l’emballement des marchés face à une possible pénurie d’énergie. Les stations-service ont rapidement reflété cette hausse, poussant le diesel au-delà de 2 euros le litre. Mais depuis, le scénario a changé.

Le ralentissement de l’économie mondiale, notamment en Chine et dans certaines régions d’Europe, a réduit la consommation industrielle et transportée d’énergie. Moins de demande, c’est moins de pression sur les prix. En parallèle, l’Opep+ — le cartel des pays producteurs — a choisi d’ajuster sa production, non pas pour la réduire comme en 2020, mais au contraire pour la stabiliser, voire l’augmenter légèrement. Ce choix stratégique vise à éviter une nouvelle flambée des prix, tout en maintenant une rentabilité pour ses membres.

Le témoignage de Camille Lefebvre, transporteur routier depuis 15 ans dans la région de Lyon, illustre bien cette transition : « En 2022, je faisais des calculs sur chaque trajet. Un plein de 1 200 litres, c’était plus de 2 300 euros. Aujourd’hui, je gagne près de 200 euros par plein. Ce n’est pas la manne, mais ça me permet de respirer, de maintenir mes tarifs clients sans me ruiner. »

Les prix sont-ils vraiment moins chers aujourd’hui ?

La réponse est nuancée. Oui, ils sont en baisse. Non, ils ne sont pas revenus à leurs niveaux d’avant-crise. En juillet 2022, un plein de 60 litres de sans-plomb 95 E10 coûtait environ 112 euros. Aujourd’hui, il en coûte 101. Une économie de 11 euros, appréciable, mais qui ne compense pas les hausses cumulées des deux dernières années.

Et si l’on remonte plus loin, à 2019, l’écart devient encore plus parlant. À l’époque, un plein identique coûtait 90 euros. Même avec la baisse actuelle, les automobilistes paient encore 11 euros de plus. Pour les ménages à revenus modestes, cette différence reste un poids. C’est le cas de Nassim Bendjelloul, mécanicien à Marseille, père de deux enfants : « Je ne roule que le strict nécessaire. Ma voiture est ancienne, elle consomme. Même avec 10 centimes de moins au litre, je dois toujours choisir entre faire le plein et acheter des fournitures scolaires. »

Quant au diesel, longtemps considéré comme l’option économique par excellence, son avantage s’est fortement réduit. En 2009, il était 20 centimes moins cher que l’essence. En 2017, encore 13 centimes. Aujourd’hui, l’écart est de seulement 3 centimes. Un déséquilibre qui pousse certains professionnels à reconsidérer leur flotte.

Quel rôle joue l’Opep+ dans cette stabilisation ?

L’Opep+, alliance entre l’OPEP et dix autres pays producteurs dont la Russie, reste un acteur central du marché pétrolier. Malgré les tensions dans le Golfe Persique — notamment autour de l’Iran et du détroit d’Ormuz, par où passe un cinquième du pétrole mondial — l’organisation a opté pour une politique de production plus prévisible.

En 2023, plusieurs membres, dont l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, ont augmenté leur extraction pour compenser la baisse de la demande et éviter une chute brutale des cours. Cette stratégie vise à maintenir un prix plancher autour de 80 dollars le baril, suffisant pour financer leurs budgets nationaux, tout en évitant de pénaliser les économies consommatrices.

Le professeur Édouard Tixier, spécialiste des marchés énergétiques à Sciences Po, explique : « L’Opep+ joue aujourd’hui le rôle d’un régulateur global. Elle anticipe les crises, ajuste la production, et tente de limiter les excès. Ce n’est plus seulement une organisation politique, c’est un acteur économique de premier plan. »

La guerre en Ukraine a-t-elle encore un impact ?

Indirectement, oui. Bien que le conflit se soit enlisé, ses conséquences structurelles demeurent. L’Europe a dû reconfigurer ses approvisionnements énergétiques, abandonnant progressivement le pétrole russe. Cette transition a coûté cher : nouveaux pipelines, méthaniers, contrats d’approvisionnement à prix premium. Ces coûts, bien que partiellement absorbés par les États, se retrouvent en partie dans le prix final du carburant.

En outre, les sanctions internationales ont poussé la Russie à vendre son brut à des prix réduits, notamment vers l’Inde et la Chine. Ce marché parallèle exerce une pression à la baisse sur les cours mondiaux, mais il ne profite pas directement aux consommateurs européens, dont les chaînes d’approvisionnement restent coûteuses.

Le cas de la station-service de Karim Zerrouki, à Strasbourg, est éloquent. « Je vois les prix baisser, mais lentement. Mes fournisseurs me disent qu’ils paient encore cher l’acheminement, les assurances, les marges intermédiaires. Le baril à 80 dollars, c’est bien, mais ça ne veut pas dire que je le vends à 1,50. »

Et les taxes, où en sont-elles ?

En France, les taxes représentent environ 54 % du prix à la pompe. Ce poids fiscal, parmi les plus élevés d’Europe, est composé de la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), de la TVA, et de contributions locales. Même lorsque le prix du brut baisse, ce pan du coût final reste fixe — voire augmente, en raison de l’inflation.

Le gouvernement a ponctuellement baissé la TICPE pendant la crise de 2022, via le bouclier carburant. Mais cette mesure a été progressivement levée. Aujourd’hui, les aides sont ciblées, limitées aux professions les plus exposées : agriculteurs, pêcheurs, transporteurs. Pour le grand public, la fiscalité reste un frein à une baisse plus marquée des prix.

Clémence Rambert, enseignante et cycliste urbaine à Bordeaux, témoigne : « Je me suis mise au vélo électrique l’année dernière. Entre l’assurance, l’entretien et le carburant, ma voiture me coûtait plus de 4 000 euros par an. Maintenant, je roule, je me déplace, et j’économise. La fiscalité pousse à changer de comportement, même si ce n’est pas toujours facile. »

Peut-on s’attendre à une nouvelle baisse avant la fin de l’été ?

Les prévisions sont prudentes. Philippe Chalmin, historien économique et analyste reconnu des marchés pétroliers, estime qu’un retour du sans-plomb 95 E10 à 1,50 euro le litre avant septembre est peu probable. « Le baril pourrait descendre à 75 dollars, mais les coûts de raffinage, de distribution, et la pression inflationniste sur les salaires et les matériaux limitent la marge de manœuvre. On n’est plus dans une logique de correction brutale, mais de stabilisation progressive. »

En outre, la saison estivale, avec son pic de mobilité, exerce une pression à la hausse. Les stations profitent souvent de cette période pour maintenir des marges, même en cas de baisse du brut. Les automobilistes ne doivent donc pas s’attendre à des baisses spectaculaires dans les semaines à venir.

Le diesel reste-t-il une option pertinente ?

Pour les professionnels, oui. Pour les particuliers, de moins en moins. Le diesel, longtemps favorisé pour sa consommation maîtrisée et sa longévité, perd de son attrait. En plus de l’écart de prix qui se réduit, il fait face à une désaffection politique et urbaine : restrictions de circulation, bonus écologique orienté vers l’électrique, image polluante.

Malgré cela, certains artisans, comme Jérémie Cottet, plombier dans l’Allier, continuent de jurer par leur utilitaire diesel : « J’ai 200 kilomètres par jour en moyenne, souvent en zone rurale. L’électrique ? Trop long à recharger, trop cher à l’achat. Mon diesel, je l’ai amorti, il consomme peu, et même si le prix du gazole baisse moins vite, c’est encore l’option la plus viable pour mon métier. »

Quel avenir pour le prix du carburant en France ?

Le scénario le plus probable est celui d’une stabilisation autour des niveaux actuels, avec des fluctuations saisonnières. Une chute brutale à 1,40 euro le litre semble exclue, tant les coûts structurels — taxes, inflation, logistique — restent élevés. À l’inverse, une remontée vers 2 euros n’est pas non plus inéluctable, sauf en cas de crise majeure au Moyen-Orient ou d’emballement de la demande mondiale.

L’évolution la plus significative pourrait venir de la transition énergétique. À mesure que les véhicules électriques se démocratisent, la pression sur le marché du carburant pourrait s’atténuer. Mais ce processus est lent, inégal, et dépendant des politiques publiques, des infrastructures, et du pouvoir d’achat des ménages.

Conclusion

La baisse des prix du carburant, bien réelle, n’est ni un retour au passé ni une victoire durable. Elle s’inscrit dans un contexte complexe, où géopolitique, économie mondiale et politiques nationales s’entremêlent. Pour les consommateurs, elle offre un répit, mais pas une solution. Pour les professionnels, elle allège un fardeau, sans le supprimer. Et pour l’avenir, elle rappelle que notre dépendance à l’énergie fossile reste coûteuse, fragile, et de plus en plus insoutenable.

A retenir

La baisse des prix du carburant est-elle durable ?

Elle semble s’inscrire dans une tendance de stabilisation plutôt que dans une chute prolongée. Les facteurs économiques et géopolitiques restent volatils, rendant improbable une baisse continue sur le long terme sans nouvelle crise ou changement structurel.

Les taxes pèsent-elles plus que le prix du brut ?

Oui, en France, les taxes représentent plus de la moitié du prix à la pompe. Même si le brut baisse, cette part reste fixe, ce qui limite la réduction du coût final pour le consommateur.

Le diesel est-il encore rentable ?

Pour les professionnels et les usages intensifs, oui. Mais pour les particuliers, son avantage économique s’amenuise face à l’essence, aux politiques environnementales, et à l’émergence des alternatives électriques.

L’Opep+ contrôle-t-elle réellement les prix ?

L’Opep+ influence fortement les marchés par ses décisions de production. Toutefois, elle ne peut pas tout contrôler : la demande mondiale, les tensions géopolitiques, et les politiques énergétiques locales limitent son pouvoir d’action.

Peut-on espérer un retour à 1,50 €/litre ?

Avant la fin de l’été, cela paraît peu probable. Selon les experts, les coûts annexes et la pression inflationniste empêchent une baisse aussi marquée, même si une légère correction reste possible.