Alors que l’été s’achève sur une note de tension sociale, un nouveau mot d’ordre fait surface dans les conversations numériques comme dans les rues : Tout bloquer. Ce slogan, né dans l’ombre des réseaux cryptés, gagne en visibilité et en puissance, porté par une colère sourde, diffusée, mais de plus en plus palpable. Entre inquiétude des pouvoirs publics, mobilisation syndicale timide et appel à l’action citoyenne, le 10 septembre s’impose comme une date-test, un moment charnière où la contestation pourrait basculer de l’abstraction à la réalité. Mais qui se cache derrière ce Tout bloquer ? D’où vient-il ? Et surtout, qu’est-ce que cela signifie concrètement pour les millions de Français qui, chaque jour, tentent de joindre les deux bouts ?
Quelle est l’origine du mot d’ordre « Tout bloquer » ?
Le phénomène Tout bloquer n’a pas surgi d’un vide. Il est né dans des espaces numériques peu fréquentés par le grand public : une chaîne Telegram confidentielle, un site aux allures de manifeste, « Les essentiels France ». Dès mai, des messages isolés commencent à circuler, sans lien évident avec un événement précis. Mais c’est en juillet, à l’annonce du plan d’économies du nouveau Premier ministre François Bayrou, que le slogan prend de l’élan. Les mesures de rigueur, perçues comme une attaque contre les plus vulnérables, réactivent des réflexes de résistance.
Le mot d’ordre, à la fois vague et puissant, devient un catalyseur. Il est relayé par un réseau de comptes sur TikTok, Facebook, X et Telegram, dont le canal central « Indignons-nous » réunit désormais plusieurs milliers d’abonnés. Ce n’est pas une organisation structurée, mais une nébuleuse : des citoyens, des activistes, des anonymes, qui s’emparent d’un slogan pour y insuffler leurs propres colères.
Camille, 34 ans, enseignante dans une banlieue sensible de Lyon, explique : « Je n’étais pas dans les gilets jaunes, mais je comprends ce qui se passe. On a l’impression d’être pris pour des vaches à lait. Quand j’ai vu passer “Tout bloquer” sur Telegram, ça m’a parlé. Pas pour casser, mais pour dire : stop, on ne veut plus être invisibles. »
Pourquoi ce mot d’ordre résonne-t-il aujourd’hui ?
Le succès de Tout bloquer ne repose pas sur un programme clair, mais sur une émotion partagée. Une fatigue, une injustice, un sentiment d’abandon. Pour Jérôme Fourquet, sociologue à l’Ifop, « les braises n’ont jamais cessé de couver ». Les milieux populaires, dit-il, vivent un déclassement durable : salaires stagnants, prix des biens de première nécessité en hausse, fiscalité pesante. Le plan de rigueur a mis de l’huile sur le feu, et la suppression de deux jours fériés, perçue comme une attaque symbolique, a servi d’allume-feu.
Stéphane Sirot, historien des mouvements sociaux, souligne un changement de paradigme : « On sort des logiques traditionnelles de mobilisation. Les gens ne veulent plus être représentés par les syndicats ou les partis. Ils veulent agir, directement, immédiatement. Les réseaux sociaux permettent cela : une coordination sans hiérarchie, une action sans leader. »
Le 10 septembre, choisi comme date de convergence, tombe un mercredi. Ce choix surprend : contrairement aux samedis des gilets jaunes, c’est un jour de travail pour la majorité. Mais c’est aussi une stratégie : perturber le quotidien, ralentir les flux, bloquer les chaînes d’approvisionnement. L’idée n’est pas forcément de descendre dans la rue, mais de paralyser l’ordinaire. « Ne plus utiliser la carte bancaire », « ne plus faire ses courses en supermarché », « rester chez soi » : autant de consignes simples, reproductibles, contagieuses.
Youssef, 47 ans, chauffeur poids lourd dans le Nord, témoigne : « On a déjà fait la grève, on connaît les syndicats. Mais là, c’est autre chose. Sur les groupes WhatsApp des transporteurs, on parle de ralentir les livraisons, de faire des “temps morts” sur les aires d’autoroute. Pas besoin d’un préavis, pas besoin d’un tract. Juste la solidarité entre collègues. »
Quelles revendications se cachent derrière ce slogan ?
Tout bloquer n’est pas un mouvement unifié. Il est un toit sous lequel s’abritent des colères diverses. Certains réclament le référendum d’initiative citoyenne (RIC), comme pendant le mouvement des gilets jaunes. D’autres exigent des hausses de salaires, des retraites décentes, une meilleure prise en charge des soins. Certains appellent même à une forme de « résistance civile », voire à un « confinement volontaire » pour paralyser l’économie.
Cette plasticité du mot d’ordre est aussi sa force. Elle permet d’agréger des mondes qui, normalement, ne se parlent pas : précaires du numérique, ouvriers en usine, fonctionnaires, retraités. « C’est comme un grand cri collectif », analyse Léa Dubois, sociologue à l’université de Lille. « Il n’y a pas de programme, mais il y a une douleur commune. Et cette douleur, elle se traduit par un désir de rupture. »
À Bordeaux, un collectif de jeunes travailleurs précaires a lancé une campagne intitulée « Le 10 septembre, on ne consomme pas ». « On veut montrer qu’on a un pouvoir, même sans argent », explique Manon, 28 ans, caissière intérimaire. « Si des millions de gens font un jour sans dépenser, les grandes surfaces, les banques, les entreprises le sentiront. Ce n’est pas une grève, c’est une désobéissance tranquille. »
Les syndicats sont-ils derrière ce mouvement ?
Pas directement. Tout bloquer échappe aux structures traditionnelles. Pourtant, certaines unions syndicales s’alignent sur la date du 10 septembre. La CGT, notamment ses fédérations chimie et commerce, a déjà annoncé son intention de mobiliser. La fédération Mines-Énergies a déposé un préavis de grève à compter du 2 septembre, préfigurant une action prolongée. Force ouvrière, quant à elle, a déposé un préavis national contre les mesures budgétaires, sans forcément adhérer au mot d’ordre Tout bloquer.
« On n’est pas contre l’idée de blocage, mais on veut que ça serve à quelque chose », précise Patrick Lemaire, délégué syndical à la CGT dans une usine de Normandie. « On ne peut pas laisser le mouvement aux seuls réseaux. Il faut des objectifs, des négociations, des résultats. Sinon, on finit par brûler de l’énergie pour rien. »
Les hôpitaux parisiens pourraient aussi entrer en grève, amplifiant la pression. Mais l’essentiel reste incertain : l’industrie, les transports, l’énergie, vont-ils suivre ? Pour l’instant, le maillage est inégal. Certains secteurs se préparent, d’autres attendent de voir.
Quel est le soutien politique à ce mouvement ?
Le 10 septembre ne fait pas l’unanimité à gauche. Clémentine Autain et Alexis Corbière, anciens de La France Insoumise, ont signé une tribune dans *Regards* pour saluer « le début de la lutte » et appeler à « une vie digne et heureuse ». Jean-Luc Mélenchon, bien qu’il partage les motifs de colère, insiste sur l’indépendance des mobilisations. « On ne veut pas récupérer, on veut accompagner », dit-il dans un entretien récent.
Du côté du Rassemblement national, la prudence domine. Arthur Delaporte, député RN, juge l’appel « imprévisible ». Edwige Diaz, elle, estime que « la colère populaire est légitime, mais qu’elle ne doit pas tomber dans le chaos ». Le parti d’extrême droite observe, sans s’engager.
En revanche, de nombreux élus locaux, surtout dans les zones populaires, se disent attentifs. « On sent que quelque chose est en train de basculer », confie Élodie Ferrand, conseillère municipale à Saint-Denis. « Les gens ne croient plus aux promesses. Ils veulent agir. Et si on ne les écoute pas, ils le feront sans nous. »
Le 10 septembre sera-t-il une journée décisive ?
Tout dépendra de la capacité du mouvement à passer du virtuel au réel. Les réseaux sociaux peuvent mobiliser, mais ils ne remplacent pas la rue, les piquets de grève, les blocages d’usines ou de dépôts. Le pari du 10 septembre est risqué : un mercredi, beaucoup travaillent. Mais c’est aussi une force : en ciblant un jour habituel, on perturbe l’ordinaire, on rend visible l’invisible.
Le succès ne se mesurera pas seulement au nombre de manifestants, mais à l’ampleur des perturbations : livraisons annulées, caisses bloquées, transports ralentis. Un effet cumulatif, lent mais puissant. « Ce n’est pas une journée, c’est un début », lance un message partagé sur Telegram. « Si on bloque un jour, on peut bloquer une semaine. Si on bloque une semaine, on peut changer les choses. »
Les pouvoirs publics, pour l’instant, observent. Pas de déclaration officielle, pas de plan de sécurisation massive. Mais derrière cette apparente sérénité, une vigilance accrue. Les préfets ont été alertés, les renseignements surveillent les groupes en ligne. Le gouvernement sait que le 10 septembre pourrait marquer le début d’un bras de fer social dont l’issue est incertaine.
Quelles sont les perspectives après le 10 septembre ?
Le mot d’ordre Tout bloquer ne promet pas une fin, mais un commencement. S’il échoue, il risque de s’éteindre comme un feu de paille. S’il réussit, même partiellement, il pourrait ouvrir une nouvelle séquence : des mobilisations autonomes, décentralisées, mais capables de peser sur le rapport de force social.
Le défi sera de transformer la colère en propositions, la viralité en stratégie. Car derrière chaque appel à bloquer, il y a une demande de justice, de dignité, de reconnaissance. « On ne veut pas casser la France », dit Camille, l’enseignante lyonnaise. « On veut qu’elle nous voie. Qu’elle nous entende. Qu’elle change. »
A retenir
Qu’est-ce que « Tout bloquer » ?
« Tout bloquer » est un mot d’ordre émergent, né sur les réseaux sociaux, qui appelle à une paralysie du quotidien économique et social, notamment le 10 septembre. Il rassemble des colères dispersées sans être porté par une organisation centrale.
Qui est derrière ce mouvement ?
Il n’y a pas de leadership clair. Le mouvement émane de citoyens, de groupes Telegram, de collectifs locaux, et s’appuie sur la viralité des réseaux. Il échappe en grande partie aux syndicats et aux partis politiques.
Quelles actions sont prévues le 10 septembre ?
Les appels vont de la grève classique aux actions symboliques : refus d’utiliser la carte bancaire, boycott des supermarchés, blocages d’entreprises ou de dépôts. L’objectif est de ralentir les flux économiques et de rendre visible la colère populaire.
Les syndicats soutiennent-ils l’initiative ?
Plusieurs fédérations syndicales, notamment à la CGT et à FO, ont déposé des préavis de grève autour de cette date, mais sans nécessairement adhérer au mot d’ordre « Tout bloquer ». Ils cherchent à canaliser la mobilisation vers des objectifs négociés.
Le 10 septembre risque-t-il de dégénérer ?
Pour l’instant, les appels se concentrent sur des actions non violentes. Mais l’ampleur et la dispersion du mouvement rendent difficile toute anticipation. Les autorités restent en alerte, sans mesures de répression annoncées.