À l’âge où beaucoup s’installent dans la douceur d’un rythme ralenti, certains choisissent de réinventer leur quotidien. C’est le cas de Lucie Berthier, 77 ans, qui, après deux années passées dans une maison de retraite du sud de la Californie, a pris une décision radicale : quitter les repères terrestres pour s’embarquer sur un paquebot, non pas pour une croisière de quelques semaines, mais pour quinze ans. Ce n’est pas un caprice de dernière minute, mais un projet mûri, chiffré, pensé comme une forme d’émancipation. Elle ne fuit pas la vieillesse, elle la traverse autrement. Son nouveau toit ? L’océan. Son horizon ? Le monde. Son credo ? Vivre, plutôt que subir.
Qu’est-ce qui pousse une personne âgée à quitter une maison de retraite pour vivre en mer ?
Lucie Berthier ne cache pas ses raisons. “Je me sentais en transit”, confie-t-elle un matin, assise sur le pont de l’Odyssey, un thé à la main, le regard perdu sur l’horizon. “Dans la maison de retraite, tout était prévu, sécurisé, mais je n’avais plus l’impression d’exister vraiment. J’étais une résidente parmi d’autres, pas une voyageuse.” Ce sentiment d’enfermement, malgré des soins de qualité, l’a poussée à chercher une alternative. Elle voulait retrouver le contrôle de son temps, de ses choix, de son espace.
Elle a alors découvert Villa Vie Residences, une société qui propose un concept inédit : vivre à bord d’un paquebot en tant que résident permanent. Le modèle est simple. Pour 110 000 euros, Lucie a acquis un droit d’occupation d’une cabine privée sur l’Odyssey, un navire de 30 ans récemment rénové. Ce n’est pas un achat immobilier, mais un engagement sur le long terme, comparable à un bail viager. Chaque mois, elle paie environ 1 700 euros, une somme qui inclut son logement, les repas, les soins médicaux, l’entretien, et même des activités encadrées.
“Sur papier, ça paraît fou, reconnaît-elle. Mais quand on compare aux loyers du sud de la Californie, ou aux frais mensuels d’une maison de retraite haut de gamme, c’est presque raisonnable. Et puis, ici, je ne paie pas pour être enfermée. Je paie pour bouger, pour voir du monde, pour respirer.”
Comment fonctionne ce “village flottant” ?
L’Odyssey n’est pas un bateau de croisière classique. À son bord, 500 résidents maximum peuvent s’installer pour des durées allant de quelques mois à plusieurs années. Le navire, opéré par Villa Vie Residences, a été repensé comme un habitat durable. Cabines spacieuses, espaces communs lumineux, clinique à bord, bibliothèque, salle de sport, restaurant ouvert toute la journée : tout est conçu pour offrir un cadre de vie stable, même en mouvement.
Lucie a embarqué en juin dernier depuis San Diego. Elle avait visité le bateau à l’automne 2024, séduite par son ambiance feutrée et ses promesses de liberté. “J’ai tout de suite senti que c’était possible. Pas un rêve, mais un choix réaliste.” Depuis, elle suit une routine douce. Le matin, elle prend son petit-déjeuner en terrasse, puis marche sur le pont. L’après-midi, elle participe à des ateliers d’écriture ou assiste à des conférences sur les pays qu’ils s’apprêtent à visiter. Le soir, elle dîne avec d’autres résidents, souvent des anciens cadres, des professeurs, des artistes, tous unis par une même envie : ne pas s’arrêter.
“Ce n’est pas une fuite, insiste-t-elle. C’est une forme de résistance. Résister à l’idée qu’à un certain âge, on doit se sédentariser, se réduire, disparaître doucement. Ici, je suis encore moi.”
Quels sont les avantages financiers et logistiques de ce mode de vie ?
Le coût mensuel de 1 700 euros peut sembler élevé, mais il faut le comparer à la réalité des alternatives. Dans une grande ville américaine, un appartement adapté aux personnes âgées peut coûter entre 3 000 et 5 000 dollars par mois, sans compter les frais de santé, de ménage, ou de transport. Dans une maison de retraite médicalisée, les tarifs dépassent souvent les 6 000 dollars mensuels.
À bord de l’Odyssey, tout est inclus. Les repas sont préparés par des chefs, les visites médicales assurées par un personnel qualifié, et les escales programmées avec soin. “Je n’ai plus à m’occuper de rien, sourit Lucie. Pas de factures d’eau, d’électricité, de jardin. Pas de réparations. Je vis, c’est tout.”
Autre avantage : la flexibilité. Les résidents peuvent sous-louer leur cabine pour une période limitée, si jamais ils souhaitent revenir à terre quelques semaines. Ce système, rare dans les formules de résidence longue durée, permet de garder un lien avec le monde fixe, sans y être prisonnier. “C’est une sécurité psychologique, explique Marc Téboul, 71 ans, ancien ingénieur embarqué avec sa femme. On sait qu’on peut revenir, mais on n’en a pas envie.”
Comment la mer influence-t-elle le bien-être des résidents ?
Le roulis du bateau, loin d’être un inconvénient, devient pour certains une forme de thérapie. “Le mouvement régulier, le bruit des vagues, l’air salin… c’est apaisant”, décrit Lucie. Elle note une amélioration de son sommeil, de sa digestion, et même de son humeur. “Je n’ai plus d’angoisses de l’immobilité. Ici, on avance, même quand on est assis.”
Des études en psychologie environnementale montrent que l’exposition à la nature, et particulièrement à l’eau, réduit le stress et améliore la cognition chez les personnes âgées. Sur l’Odyssey, cette immersion est permanente. Chaque jour, les résidents voient un nouveau paysage. Le lever de soleil sur l’Atlantique, les côtes du Portugal, les ports méditerranéens : chaque escale est une petite renaissance.
“La mer, c’est une promesse de recommencement”, glisse Élodie Renard, 68 ans, ancienne psychologue embarquée depuis six mois. “Quand tu regardes l’horizon, tu te dis que la vie continue. Elle ne s’arrête pas parce que tu as fêté ton 70e anniversaire.”
Est-ce une tendance durable ou un phénomène marginal ?
Le succès de l’Odyssey n’est pas isolé. Plusieurs compagnies maritimes s’intéressent désormais à ce modèle de “résidence flottante”. Le concept séduit particulièrement les baby-boomers éduqués, autonomes, et désireux de prolonger une vie active. “Ce n’est pas pour tout le monde, reconnaît Olivia Dubreuil, directrice de projet chez Villa Vie Residences. Il faut être ouvert, mobile, et accepter un certain niveau d’incertitude. Mais pour ceux qui le choisissent, c’est souvent une révélation.”
Le navire n’est pas encore complet, mais les inscriptions affluent. Des couples, des veufs, des solitaires, tous attirés par l’idée d’un quotidien léger, sans contraintes matérielles. “On ne vend pas un voyage, on vend une manière de vivre”, précise Dubreuil. “Et cette manière de vivre, elle parle à une génération qui a toujours voulu repousser les limites.”
Le modèle pourrait inspirer d’autres formules : résidences flottantes en Méditerranée, bateaux spécialement conçus pour les seniors, ou même communautés maritimes fixes mais mobiles, capables de changer de port chaque saison.
Quels défis ce mode de vie pose-t-il ?
Malgré ses atouts, le projet n’est pas sans risques. La santé, d’abord. Bien que le bateau dispose d’un centre médical, il ne peut pas remplacer un hôpital terrestre en cas d’urgence grave. “Nous avons des protocoles stricts, explique le docteur Amir Khelifi, médecin à bord. En cas de problème sérieux, nous organisons une évacuation médicale. Mais il faut être conscient que l’on est parfois à plusieurs jours de la côte.”
La solitude peut aussi être un piège. Même si la communauté est soudée, certains résidents peinent à s’intégrer. “Il y a ceux qui viennent pour fuir, pas pour vivre”, observe Lucie. “Ils espèrent que la mer effacera leurs regrets. Mais la mer ne guérit pas tout. Elle ne fait que vous accompagner.”
Enfin, la question du retour à terre reste en suspens. “On ne sait pas comment ça finira”, admet-elle. “Peut-être que dans dix ans, je voudrai poser mes valises. Peut-être que je mourrai en mer. Mais ce qui compte, c’est que j’aurai choisi. Jusqu’au bout.”
Quelles alternatives ce choix ouvre-t-il pour le vieillissement ?
L’histoire de Lucie Berthier n’est pas seulement personnelle. Elle interroge notre rapport à l’âge, à la liberté, à la manière dont nous imaginons les dernières années de la vie. Pourquoi vieillir devrait-il rimer avec immobilisation, dépendance, renoncement ?
“On a longtemps pensé que vieillir, c’était se préparer à disparaître”, analyse le sociologue Henri Vasseur, spécialiste des transformations de la vieillesse. “Mais une nouvelle génération refuse ce scénario. Elle veut continuer à apprendre, à bouger, à décider. Le bateau, c’est un symbole. Un symbole de mouvement, de choix, de dignité.”
D’autres formules émergent : résidences intergénérationnelles, communautés écologiques, retraites nomades en van ou en roulotte. Mais le “village flottant” touche à quelque chose de plus profond : l’envie d’un horizon qui ne s’arrête jamais.
Comment imaginer une vieillesse libre et active ?
Lucie ne parle jamais de “fuite”. Elle parle de “choix”. Chaque matin, elle ouvre sa fenêtre sur une mer différente. Chaque semaine, elle découvre un nouveau port, une nouvelle langue, une nouvelle lumière. Elle ne sait pas ce que sera demain, mais elle sait qu’il aura une vue.
“On m’a dit : ‘Tu es folle.’ Peut-être. Mais je préfère être folle de liberté que sage dans une chambre.”
A retenir
Qui est Lucie Berthier ?
Lucie Berthier est une Française installée aux États-Unis depuis quarante ans. Ancienne professeure de littérature, elle a décidé à 77 ans de quitter sa maison de retraite californienne pour vivre à bord du paquebot Odyssey, dans le cadre d’un projet de résidence maritime longue durée.
Quel est le coût de cette vie en mer ?
Elle a investi 110 000 euros pour un droit d’occupation de cabine, avec un loyer mensuel de 1 700 euros incluant logement, repas, soins et services. Ce montant reste inférieur aux coûts d’une maison de retraite haut de gamme ou d’un appartement adapté dans une grande ville.
Le bateau propose-t-il des soins médicaux ?
Oui, l’Odyssey dispose d’un centre médical avec personnel qualifié. Des visites régulières sont assurées, et des protocoles d’évacuation existent en cas d’urgence.
Peut-on quitter le bateau temporairement ?
Oui, les résidents peuvent sous-louer leur cabine pour de courtes périodes, ce qui leur permet de revenir à terre sans perdre leur place à bord.
Est-ce un modèle viable pour d’autres personnes ?
Oui, bien que ce mode de vie demande une certaine autonomie et ouverture d’esprit, il attire une génération de seniors éduqués, mobiles, et désireux de repenser leur vieillesse. Plusieurs compagnies s’engagent désormais dans ce type de projet, annonçant une possible mutation des formes de retraite.