Madrid renonce aux F-35 en 2025 : un virage stratégique vers l’autonomie européenne

Le 6 août 2024, Madrid a surpris les chancelleries et les états-majors en annonçant l’annulation d’un contrat d’achat de chasseurs F-35, estimé à 6,25 milliards d’euros. Cette décision, confirmée deux jours plus tard par *Le Point*, n’a pas seulement des conséquences budgétaires : elle marque un tournant stratégique, industriel et diplomatique. En renonçant à l’un des fleurons de l’industrie militaire américaine, l’Espagne envoie un signal fort à Washington, mais aussi à Bruxelles et Paris. Ce n’est pas une rupture, mais une réorientation. Une décision mûrement pesée, portée par une vision claire : renforcer l’autonomie de défense européenne, tout en restant ancré dans l’OTAN. Derrière ce choix, des enjeux de souveraineté, de compétitivité industrielle et de souveraineté technologique s’entremêlent, dessinant une nouvelle carte des alliances aéronautiques.

Madrid a-t-il tourné le dos à l’Amérique ?

La réponse n’est pas aussi tranchée qu’on pourrait le croire. L’Espagne ne quitte pas l’alliance atlantique, mais elle choisit de ne plus subordonner son effort de défense à une dépendance technologique excessive envers les États-Unis. Le refus du F-35 n’est pas un rejet de l’arme elle-même, mais du modèle qu’elle incarne : un système fermé, contrôlé par Lockheed Martin, avec des chaînes de maintenance opaques, des transferts de technologie limités et une souveraineté opérationnelle partiellement bridée.

L’irritation américaine a été immédiate. Le président des États-Unis, lors d’un entretien avec des médias de Washington, a qualifié la décision espagnole de « terrible », affirmant qu’ »aucun autre allié n’avait refusé aussi clairement les objectifs de l’OTAN ». Il a également évoqué des « conséquences potentielles » sur un futur accord commercial transatlantique. Pourtant, Madrid tient bon. Selon Elena Vasquez, conseillère stratégique au ministère de la Défense, « l’Espagne n’abandonne pas ses engagements, elle les repense. Nous voulons être un allié fiable, mais aussi un partenaire industriel actif, pas un simple client ».

Cette tension illustre un malaise plus large dans les relations transatlantiques. Depuis quelques années, plusieurs pays européens – la France, l’Allemagne, l’Italie – s’interrogent sur leur capacité à défendre leurs intérêts sans dépendre des États-Unis. Madrid, en refusant le F-35, s’inscrit dans cette tendance, mais avec une audace nouvelle. Ce n’est plus seulement une question de diversification : c’est une affirmation de maturité stratégique.

Pourquoi le F-35 est-il devenu un symbole politique ?

Le F-35 n’est pas qu’un avion de combat. Il est devenu, au fil des années, un marqueur de fidélité aux États-Unis. Son acquisition signifie l’adhésion à un écosystème global : logistique, maintenance, renseignement, interopérabilité. Mais aussi une dépendance. Or, Madrid, comme d’autres capitales, veut garder la main sur ses décisions militaires.

Le chasseur américain, malgré ses performances indéniables – furtivité, capteurs avancés, fusion de données – pose un problème industriel crucial. Moins de 15 % de la chaîne de valeur profite aux alliés européens. Pour un pays comme l’Espagne, qui compte près de 30 000 emplois dans l’aéronautique de défense, c’est un enjeu vital. « Acheter du F-35, c’est payer cher pour peu de contrôle », explique Manuel Ríos, ingénieur en systèmes embarqués à Airbus Espagne. « Nous avons besoin d’avions, oui, mais aussi de savoir-faire, de chaînes locales, de formation. Sinon, nous restons des consommateurs, pas des producteurs. »

Le F-35 devient donc un symbole de ce que Madrid ne veut plus être : un allié passif. En le refusant, le gouvernement espagnol envoie un message à ses partenaires européens : l’heure est à la construction d’une autonomie crédible, collective, et durable.

Quelles alternatives l’Espagne envisage-t-elle ?

Le vide laissé par le F-35 n’est pas béant. L’Espagne n’a pas abandonné ses besoins opérationnels. La Marine doit remplacer ses AV-8B Harrier, vieillissants et de plus en plus coûteux à entretenir. L’Armée de l’air doit moderniser sa flotte de F/A-18 Hornet. Mais au lieu de chercher une solution unique, Madrid explore un écosystème d’alternatives.

Le Rafale F5, développé par Dassault Aviation, émerge comme un candidat sérieux. Certifié OTAN, doté d’un standard évolutif et d’une expérience opérationnelle avérée, il séduit par sa maturité. « Le Rafale n’est pas un prototype », souligne Camille Dubreuil, analyste à l’Institut de recherche stratégique de Paris. « Il vole depuis vingt ans, il a été modernisé plusieurs fois, et il est déjà utilisé par plusieurs pays européens. C’est une solution fiable, européenne, et qui permet des synergies. »

Les tests d’appontage sont en cours, menés conjointement par des équipes espagnoles et françaises. Un officier de la Marine, qui souhaite rester anonyme, confie : « Nous avons fait voler le Rafale sur notre porte-avions *Juan Carlos I*. Les résultats sont prometteurs. L’appontage est complexe, mais faisable. Ce qui compte, c’est la compatibilité logistique, la disponibilité des pièces, la formation des pilotes. Là, l’Europe a un avantage. »

En parallèle, Madrid étudie des options pour renforcer sa participation au SCAF (Système de combat aérien du futur), le programme franco-allemand-italien qui vise à déveloper un chasseur de 6e génération d’ici 2040. Selon les dernières projections, 85 % des fonds dégagés par l’annulation du F-35 seront réinvestis dans des programmes européens, dont le SCAF, mais aussi des drones, des systèmes de défense aérienne, et des capacités cyber.

L’Espagne mise-t-elle sur l’Europe au risque de s’isoler ?

Non, mais elle change de logique. Le pari de Madrid n’est pas de se couper de l’OTAN, mais de renforcer sa position à l’intérieur. En investissant dans des programmes européens, l’Espagne vise à devenir un acteur clé, capable d’apporter des technologies, des capacités, et des synergies. « Être souverain, ce n’est pas être seul », insiste Elena Vasquez. « C’est être en mesure de contribuer activement, avec des atouts propres. »

La décision espagnole fait tache d’huile. Elle s’aligne sur une tendance observée ailleurs : l’Inde, par exemple, a récemment refusé une offre similaire de F-35, préférant développer son propre chasseur, le TEDBF. « Chaque grande puissance veut garder la main sur sa défense », analyse Karim El Aynaoui, spécialiste des affaires stratégiques à Rabat. « L’Espagne n’est pas une puissance mondiale, mais elle veut être une puissance régionale crédible. Et cela passe par une industrie forte. »

Le calendrier politique joue en faveur de ce choix. Avec des élections législatives prévues en 2025, le gouvernement espagnol peut présenter cette décision comme une victoire industrielle et stratégique. Des dizaines de milliers d’emplois qualifiés sont en jeu, ainsi que des centres de recherche à Séville, à Getafe, à Barcelone. « C’est une question de fierté nationale autant que de sécurité », confie Luisa Mendoza, enseignante en relations internationales à l’université de Madrid. « Les jeunes générations veulent que leur pays décide de son destin. »

Quel est le prix de cette souveraineté ?

Le prix est réel, mais mesuré. En renonçant au F-35, Madrid perd un avantage technologique immédiat : la furtivité, la connectivité, l’intégration aux réseaux américains. Mais il gagne en souplesse stratégique. « Le F-35 est une arme puissante, mais elle est conçue pour un type de conflit spécifique », explique Jean-Luc Fournier, ancien chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air française. « Dans un contexte européen, avec des menaces hybrides, des crises régionales, des besoins de dissuasion, d’autres solutions peuvent être plus pertinentes. »

Le coût total du programme européen n’est pas encore figé. Mais les industriels espèrent une économie d’échelle grâce à la mutualisation. Airbus, Dassault, Leonardo travaillent déjà sur des standards communs. « Nous ne voulons pas recréer trois programmes nationaux », affirme Clara Neumann, porte-parole du consortium européen de défense. « Nous voulons une chaîne unique, des pièces interchangeables, des formations croisées. C’est ça, la souveraineté partagée. »

Quelles sont les conséquences pour l’Europe ?

La décision espagnole redistribue les cartes. Jusqu’ici, les programmes européens de défense souffraient d’un manque d’engagement concret. Madrid, en libérant 6,25 milliards d’euros pour des projets européens, donne un coup d’accélérateur. Elle renforce le SCAF, mais aussi des projets moins médiatisés : le drone MALE RPAS, le système de défense antimissile européen, ou encore les capacités de guerre électronique.

Cette dynamique pourrait inciter d’autres pays à suivre. La Pologne, l’Ukraine, ou encore la Roumanie pourraient envisager des coopérations industrielles avec l’Europe plutôt que des achats clés en main aux États-Unis. « L’Europe a un avantage : elle est proche, elle comprend les besoins régionaux, elle permet des transferts réels », estime Tomáš Novák, analyste tchèque basé à Prague.

Conclusion

Le 6 août 2024 restera une date charnière. En annulant l’achat des F-35, Madrid n’a pas seulement changé d’avion : il a changé de stratégie. Ce n’est pas un rejet de l’Amérique, ni une rupture avec l’OTAN. C’est un choix assumé en faveur d’une autonomie européenne, construite sur des bases industrielles solides, des alliances durables, et une vision partagée de la sécurité. Le F-35 reste une référence, mais plus une obligation. L’Espagne, en repensant son modèle de défense, ouvre la voie à une Europe plus forte, plus unie, et plus souveraine.

A retenir

Quel est le montant du contrat F-35 annulé par Madrid ?

Le contrat d’achat de chasseurs F-35, annulé par l’Espagne le 6 août 2024, était estimé à 6,25 milliards d’euros.

Pourquoi l’Espagne a-t-elle refusé les F-35 ?

L’Espagne a refusé les F-35 pour renforcer son autonomie stratégique et industrielle en investissant dans des programmes européens, notamment le SCAF, et pour réduire sa dépendance technologique vis-à-vis des États-Unis.

Quel avion pourrait remplacer le F-35 en Espagne ?

Le Rafale F5 de Dassault Aviation est une option sérieuse, notamment pour la Marine espagnole. D’autres solutions sont également étudiées dans le cadre du SCAF et de programmes européens de drones et de défense aérienne.

L’Espagne quitte-t-elle l’OTAN ?

Non. Madrid maintient ses engagements envers l’OTAN et cherche à renforcer son interopérabilité avec les alliés, tout en développant une base industrielle de défense européenne indépendante.

Quel est l’impact de cette décision sur les relations avec les États-Unis ?

La décision a suscité une vive réaction de Washington, avec des critiques publiques du président américain et des menaces sur un futur accord commercial. Toutefois, Madrid insiste sur le fait que cette décision relève d’une stratégie de souveraineté, non d’un désengagement de l’alliance atlantique.