La Cour des comptes sonne l’alerte sur le Cese : économies, temps de travail et participation en jeu dès 2025

Un signal clair traverse les couloirs du Conseil économique, social et environnemental (Cese), résonnant dans un moment de tension budgétaire et d’exigence accrue en matière de transparence. La Cour des comptes, garde-fou des finances publiques, a pointé du doigt plusieurs dysfonctionnements dans le fonctionnement de cette institution consultative, révélant un décalage entre ses ambitions démocratiques et ses pratiques concrètes. Ce n’est pas une attaque, mais un appel à responsabilité, lancé à une institution qui se veut le porte-voix de la société civile. Alors que l’État cherche à économiser 40 milliards d’euros, chaque structure doit justifier sa place, son coût, et son impact. Le Cese, en tant que troisième assemblée de la République, ne fait pas exception. Entre temps de travail non conforme, conventions citoyennes coûteuses et gouvernance floue, les recommandations de la Cour des comptes ouvrent un chantier de transformation que l’institution ne peut plus ignorer.

Le Cese est-il encore en phase avec ses missions publiques ?

Créé en 1946, le Cese incarne une promesse : donner la parole aux acteurs de la société civile dans les débats de politique publique. Aujourd’hui, avec 175 conseillers représentant salariés, entreprises, associations et environnement, il s’affirme comme un espace de dialogue pluraliste. Pourtant, la Cour des comptes souligne une contradiction fondamentale : malgré une réduction de 25 % de ses effectifs depuis la réforme de 2021, le budget du Cese n’a pas suivi la même trajectoire d’austérité. Cette stagnation budgétaire, dans un contexte national de compression des dépenses, interroge.

Éléonore Vasseur, économiste et ancienne consultante auprès des institutions publiques, observe : « Une réduction d’effectifs sans gains de productivité ni baisse de coûts, c’est un signal d’alerte. Le Cese a perdu un quart de ses membres, mais son empreinte financière reste importante. Cela pose la question de son modèle opérationnel. »

En effet, le Cese continue de produire majoritairement en auto-saisine – 79 % de ses travaux – ce qui limite son influence sur les décisions politiques. Les saisines officielles, par le gouvernement ou le Parlement, restent rares : seulement 34 entre 2019 et 2024. Ce déséquilibre fragilise son rôle d’instance consultative. « On peut avoir des avis brillants, mais s’ils ne sont pas sollicités par les pouvoirs publics, ils restent dans les tiroirs », note Julien Mercier, journaliste politique spécialisé dans les institutions.

Le manque de visibilité de ses travaux nuit aussi à sa légitimité. Les rapports, parfois très techniques, peinent à entrer dans le débat public. Le Cese parle, mais qui l’écoute ? Sa redevabilité démocratique en pâtit.

Le temps de travail des conseillers est-il conforme à la loi ?

Un autre sujet fâcheux remonte à la surface : le régime de temps de travail des conseillers. En vertu de la loi de transformation de la fonction publique, la durée légale annuelle est fixée à 1607 heures. Or, selon la Cour des comptes, le Cese ne respecte pas cette norme. En pratique, les conseillers bénéficient d’un régime dérogatoire qui leur accorde huit jours de congé supplémentaires par rapport à la règle en vigueur.

Cette situation, non corrigée depuis des années, alimente un sentiment d’immunité. « C’est un symbole fort », explique Clément Royer, spécialiste des réformes institutionnelles. « Quand on demande à des fonctionnaires de s’adapter à de nouvelles normes, il est difficile de justifier qu’une assemblée consultative en soit dispensée. »

Le Cese argue que son fonctionnement repose sur des mandats à temps partiel, avec des responsabilités spécifiques. Mais la Cour des comptes insiste : la conformité à la loi est une question de principe, pas de circonstances. Supprimer ces huit jours de congé serait un geste fort de sobriété et de cohérence.

Le débat dépasse le simple cadre administratif. Il touche à la crédibilité de l’institution. « Si on veut que les citoyens croient en la parole du Cese, il faut que celle-ci soit irréprochable sur le plan du fonctionnement », ajoute Éléonore Vasseur.

Les conventions citoyennes sont-elles vraiment inclusives ?

Les conventions citoyennes sont l’un des fleurons du Cese. Initiées sur des sujets sensibles comme le climat, la fin de vie ou le temps de l’enfant, elles visent à associer des citoyens ordinaires aux débats de société. Mais là encore, la Cour des comptes relève des failles.

Le coût de la sélection des participants est élevé, et les méthodes manquent de transparence. Le recours au volontariat, bien que nécessaire, peut introduire des biais : les profils mobilisés sont souvent ceux déjà engagés, mieux informés, ou plus disponibles. « On risque de capter une minorité active, pas la diversité réelle de la population », alerte Lina Benamara, sociologue spécialisée dans la participation citoyenne.

Entre 2020 et 2023, trois conventions citoyennes ont été menées. La dernière, sur le temps de l’enfant, a mobilisé 150 citoyens tirés au sort. Mais selon des témoignages recueillis, certains participants ont exprimé un sentiment de fatigue : « On nous a demandé beaucoup d’heures de travail, parfois en dehors des horaires prévus, sans réelle compensation », confie Thomas, père de deux enfants, ayant participé à la convention.

La Cour des comptes recommande de former des animateurs en interne et d’impliquer davantage les agents publics des trois versants de la fonction publique. Un appel à professionnaliser la médiation citoyenne, pour éviter de dépendre de prestataires externes coûteux.

Le budget alloué à la participation citoyenne s’élève à 4,2 millions d’euros par an, intégré à la dotation globale. Mais le suivi de ces dépenses manque de précision. « On ne sait pas exactement où va l’argent », reconnaît un haut fonctionnaire du ministère de la Transition écologique, sous couvert d’anonymat. « Il y a un risque d’opacité, et cela nuit à la confiance. »

Le Cese répond-il aux attentes de modernisation ?

Face aux critiques, le Cese ne reste pas inerte. Il revendique une transformation en cours, portée par une nouvelle gouvernance et des outils de pilotage renforcés. En 2025, son budget global devrait atteindre 4 millions d’euros, avec une réduction de 26 % des dépenses de fonctionnement par rapport à 2020.

« Nous avons engagé un chantier de modernisation sans précédent », affirme Camille Delorme, présidente du Cese depuis 2023. « Nous avons mis en place des indicateurs de performance, renforcé le contrôle interne, et recentré nos travaux sur les enjeux stratégiques. »

Sur le terrain, les agents perçoivent des changements. « Il y a une volonté réelle de transparence », témoigne Sophie Leroy, chargée de mission au sein du secrétariat général. « Les réunions sont mieux préparées, les rapports plus synthétiques, et on nous demande de justifier chaque dépense. »

Pourtant, le fossé entre les annonces et les impacts concrets reste à combler. La Cour des comptes appelle à des indicateurs partagés, mesurables, et publiés annuellement. « Il ne s’agit pas de faire de la communication, mais de la redevabilité », insiste Clément Royer.

Le Cese a également entamé des discussions avec les représentants du personnel pour réviser le contrat social des agents. Un processus progressif, mais nécessaire, pour aligner les pratiques sur les normes légales.

Cependant, certains observateurs restent prudents. « Les efforts sont visibles, mais ils doivent être durables », estime Julien Mercier. « Le risque, c’est de faire des ajustements superficiels pour calmer le jeu, sans remettre en cause les structures profondes. »

Quelles réformes concrètes peuvent redonner du sens au Cese ?

L’appel de la Cour des comptes n’est pas une condamnation, mais une opportunité. Pour retrouver une légitimité, le Cese doit clarifier ses priorités, mesurer ses effets, et rendre ses comptes de manière simple et accessible.

Une piste forte : instaurer un bilan annuel public, avec des indicateurs clairs sur la production des avis, leur taux de saisine officielle, leur diffusion dans les médias, et l’impact sur les politiques publiques. « Il faut sortir du flou », plaide Lina Benamara. « Montrer que chaque euro dépensé a servi à produire de la démocratie, pas juste des rapports. »

Sur le plan budgétaire, une rationalisation des coûts liés aux conventions citoyennes est urgente. Former des animateurs internes, mutualiser les ressources avec d’autres institutions, et mieux évaluer la diversité des participants : autant de leviers concrets.

Enfin, la question du temps de travail doit être tranchée. Supprimer les huit jours de congé excédentaires ne serait pas une punition, mais un acte de responsabilité. « Ce n’est pas une question de confort, mais de symbole », résume Éléonore Vasseur. « Le Cese doit montrer qu’il est capable de se réformer, sans attendre qu’on le lui impose. »

A retenir

La Cour des comptes critique-t-elle l’existence même du Cese ?

Non. La Cour des comptes ne remet pas en cause le rôle du Cese, mais son efficacité et sa gouvernance. Elle appelle à une modernisation, non à une suppression. L’objectif est d’aligner l’institution sur les exigences budgétaires et démocratiques de l’heure.

Le Cese a-t-il fait des économies depuis la réforme de 2021 ?

Oui, selon ses propres chiffres, le Cese affirme avoir réduit ses dépenses de fonctionnement de 26 %. Toutefois, la Cour des comptes souligne un manque de clarté dans les indicateurs, ce qui rend difficile une évaluation indépendante de ces gains.

Les conventions citoyennes sont-elles efficaces ?

Elles remplissent une fonction importante en associant les citoyens aux débats. Cependant, leur coût élevé, leurs biais de sélection et leur faible restitution limitent leur impact. Des améliorations méthodologiques sont nécessaires pour renforcer leur légitimité.

Le Cese produit-il des avis influents ?

La majorité de ses travaux sont auto-saisis, ce qui limite leur portée. Moins de 35 saisines officielles entre 2019 et 2024 montrent un faible engagement des pouvoirs publics. Pour être influent, le Cese doit mieux aligner ses travaux sur les priorités nationales.

Le temps de travail des conseillers est-il un problème majeur ?

C’est un symptôme plus qu’un problème isolé. Le fait que le Cese ne respecte pas la durée légale de travail révèle un décalage entre ses obligations et ses pratiques. Corriger ce point serait un signal fort de sobriété et de conformité.