Alors que la réforme des retraites continue de peser sur l’avenir financier des Français, une anxiété diffuse s’installe, particulièrement parmi les catégories les plus vulnérables. Selon une étude Ipsos récente, plus de six Français sur dix redoutent de ne pas disposer de revenus suffisants une fois leur activité professionnelle terminée. Cette inquiétude touche davantage les ouvriers, les employés, les femmes et les personnes dépourvues de patrimoine. Face à cette réalité, il devient essentiel de s’emparer de leviers concrets pour sécuriser ses droits et anticiper sereinement la fin de carrière. Des démarches simples, mais souvent ignorées, peuvent faire la différence entre une retraite contrainte et une retraite apaisée. À travers des témoignages réels et des stratégies accessibles, cet article explore comment chaque travailleur peut, dès aujourd’hui, agir pour optimiser sa future pension.
Comment vérifier que tous vos trimestres sont bien comptabilisés ?
L’un des piliers de la retraite par répartition en France repose sur le nombre de trimestres cotisés. Pour bénéficier du taux plein, il faut en général 172 trimestres, selon l’âge de départ. Pourtant, de nombreuses personnes découvrent, trop tard, que certaines périodes de leur vie professionnelle n’ont pas été prises en compte. Le relevé de carrière, disponible en ligne sur le site de l’Assurance retraite, est l’outil indispensable pour y remédier.
Élodie Vasseur, 58 ans, assistante administrative dans une mairie de l’Essonne, a fait cette découverte il y a deux ans. Après avoir consulté son relevé, elle s’est aperçue que trois trimestres correspondant à un CDD de six mois en 1998 n’étaient pas enregistrés. « J’ai cru à une erreur informatique, mais non : mon employeur n’avait pas déclaré mes cotisations. J’ai dû fournir mes bulletins de salaire et contacter la Carsat. Cela m’a pris trois mois, mais aujourd’hui, ma pension sera de 48 euros supérieure chaque mois », explique-t-elle. Une somme qui, sur vingt ans de retraite, représente près de 11 500 euros récupérés.
Les erreurs les plus fréquentes concernent les premières années d’activité, les périodes de travail à l’étranger, les contrats courts ou les stages rémunérés. Il est donc crucial de vérifier régulièrement son relevé, notamment après chaque changement d’employeur ou période de chômage. Les anomalies peuvent être signalées en ligne, et un dossier est alors instruit par les services de retraite.
Le rachat de trimestres : une opportunité ou une illusion ?
Le rachat de trimestres est une option méconnue, souvent perçue comme réservée aux cadres ou aux profils aisés. Pourtant, il s’agit d’un levier puissant, surtout pour ceux qui ont interrompu leur carrière pour des raisons personnelles, ou qui ont effectué des études longues avant d’entrer sur le marché du travail.
Le dispositif permet de racheter jusqu’à 12 trimestres pour des périodes d’études supérieures, ou des années incomplètes de cotisation. Le coût varie selon l’âge, le salaire et le régime de base, mais il est en moyenne de 5 000 à 15 000 euros pour 4 trimestres. Ce montant peut être payé en une fois ou en plusieurs versements, et surtout, il est intégralement déductible des impôts sur le revenu.
Thibault Mercier, ingénieur en transition énergétique à Grenoble, a racheté 8 trimestres correspondant à ses années de master et de thèse. « J’avais 39 ans, je venais de changer d’entreprise, et je me suis rendu compte que je n’atteindrais pas le taux plein avant 67 ans. J’ai fait une simulation : en rachetant ces trimestres, je pouvais partir à 62 ans sans décote. Le coût était de 11 000 euros, mais avec la déduction fiscale, cela m’a coûté environ 7 000 euros nets. Sur le long terme, c’est rentable », affirme-t-il.
Les femmes, en particulier, sont souvent éligibles à des rachats pour les années d’éducation. Chaque enfant donne droit à 8 trimestres, mais il est possible de racheter des périodes non couvertes, comme les congés non indemnisés ou les interruptions de carrière. Pour Camille Dufresne, professeure de lettres retraitée, ce dispositif a été décisif : « J’ai eu deux enfants, j’ai pris deux congés sans solde de 18 mois chacun. Sans rachat, j’aurais perdu 4 trimestres. J’ai payé 3 200 euros, mais ma pension a augmenté de 110 euros par mois. En quatre ans, j’avais déjà amorti l’investissement. »
Qui peut racheter des trimestres ?
Tout assuré du régime général peut racheter des trimestres s’il remplit certaines conditions d’âge et de durée d’assurance. Les fonctionnaires, les travailleurs indépendants et les salariés du privé ont des règles spécifiques, mais l’accès au dispositif est largement ouvert. Les périodes éligibles incluent les études supérieures, les années d’apprentissage, les périodes d’invalidité, ou encore les absences pour cause de maladie ou d’accident du travail non indemnisées.
Quel est l’impact réel sur la pension ?
Chaque trimestre racheté peut augmenter la pension de 2 à 5 %, selon la carrière et le salaire de référence. Pour une personne dont le salaire moyen est de 2 500 euros, 4 trimestres supplémentaires peuvent représenter une hausse de 80 à 120 euros par mois. Sur une retraite de 25 ans, cela équivaut à un gain de 24 000 à 36 000 euros. Le retour sur investissement est donc souvent rapide, surtout si l’on tient compte de la déductibilité fiscale.
Quelle est la meilleure date pour partir en retraite ?
Beaucoup pensent que partir dès l’âge légal suffit. Pourtant, la date de départ peut avoir un impact majeur sur le montant de la pension. En effet, la retraite de base est calculée sur les 25 meilleures années de salaire. Une année de revenu élevé, même si elle est courte, peut être intégrée au calcul si elle est bien positionnée dans la carrière.
Julien Lefebvre, cadre commercial dans une entreprise de logistique, a choisi de retarder son départ de six mois pour inclure une année complète de bonus exceptionnel. « En 2022, j’ai touché un intéressement de 18 000 euros. En partant en juillet 2023 au lieu de janvier, j’ai pu intégrer cette année dans mes 25 meilleures. Ma pension a augmenté de 92 euros par mois. C’était une décision difficile, mais financièrement, c’était la bonne », raconte-t-il.
Il est également stratégique de partir en début d’année civile, car les revenus de l’année en cours sont pris en compte au prorata du temps travaillé. Partir en janvier permet d’inscrire une année complète de salaire, même si elle est partiellement fictive. À l’inverse, partir en décembre peut faire perdre une année entière de valorisation.
Comment simuler l’impact de sa date de départ ?
L’Assurance retraite propose un simulateur en ligne qui permet d’anticiper le montant de la pension selon plusieurs scénarios de départ. Ce simulateur prend en compte les trimestres accumulés, les salaires perçus, et les éventuels rachats. Il est conseillé de l’utiliser plusieurs fois, en variant la date de départ, pour identifier le point optimal. Certains conseillers en retraite offrent également des accompagnements personnalisés, notamment dans les grandes entreprises ou via les caisses de retraite complémentaires.
Quelles sont les erreurs fréquentes à éviter ?
Malgré la disponibilité des outils, de nombreuses personnes commettent des erreurs qui pénalisent leur retraite. La première est de ne pas consulter son relevé de carrière avant 60 ans. « Beaucoup attendent l’envoi du dossier de retraite pour regarder leurs droits. À ce stade, il est souvent trop tard pour corriger les anomalies », souligne Karim Bensaid, conseiller en gestion de carrière à Lyon.
Une autre erreur courante est de sous-estimer l’impact des petites périodes non cotisées. Un stage de six mois non déclaré, un CDD oublié, ou un trimestre perdu à l’étranger peuvent coûter cher. « Une seule année incomplète peut entraîner une décote de 5 % si elle fait chuter le nombre de trimestres en dessous du taux plein », précise-t-il.
Enfin, beaucoup hésitent à investir dans un rachat de trimestres par crainte du coût immédiat, sans mesurer le gain sur le long terme. « C’est un peu comme refuser de payer une assurance santé pour économiser 100 euros par mois, alors qu’on risque une facture de 10 000 euros plus tard », compare Karim Bensaid.
A retenir
Dois-je vérifier mon relevé de carrière même si je suis encore loin de la retraite ?
Oui, il est recommandé de consulter son relevé de carrière tous les cinq ans, ou après chaque changement professionnel majeur. Cela permet de détecter rapidement les anomalies et d’éviter des complications administratives en fin de carrière. Plus tôt on agit, plus les corrections sont simples à mettre en œuvre.
Le rachat de trimestres est-il accessible aux personnes modestes ?
Oui, le rachat est accessible à tous, indépendamment du niveau de revenu. Le coût peut être étalé sur plusieurs années, et la déductibilité fiscale en réduit le poids. De plus, certaines aides existent pour les personnes à faible revenu ou ayant eu des carrières fragmentées. Il est conseillé de demander une estimation personnalisée à son régime de retraite.
Est-il utile de consulter un conseiller en retraite ?
Un conseiller en retraite peut apporter une vision globale et personnalisée, surtout dans les cas complexes : carrières multiples, travail à l’étranger, périodes de chômage, ou professions libérales. Il peut aider à simuler différents scénarios, optimiser les rachats, et anticiper les impacts des réformes. Cette démarche, bien que facultative, est fortement recommandée pour ceux qui souhaitent maximiser leurs droits.
Les réformes futures peuvent-elles annuler les efforts d’aujourd’hui ?
Bien que les règles puissent évoluer, les droits acquis sont protégés par la Constitution. Les trimestres validés, les rachats effectués, et les salaires déclarés restent comptabilisés. Cependant, les conditions d’âge ou de durée de cotisation peuvent être modifiées. C’est pourquoi il est important d’agir maintenant, tout en restant informé des évolutions législatives.
Conclusion
La retraite n’est pas un horizon lointain qu’on peut ignorer. Elle se construit pas à pas, tout au long de la carrière. Les inquiétudes suscitées par les réformes sont légitimes, mais elles ne doivent pas paralyser. Au contraire, elles doivent inciter à l’action. Vérifier son relevé de carrière, envisager un rachat de trimestres, et planifier intelligemment sa date de départ sont des gestes simples, mais déterminants. Chaque euro investi aujourd’hui peut rapporter plusieurs fois sa valeur demain. Comme le dit Élodie Vasseur : « Je ne contrôle pas les réformes, mais je contrôle mes choix. Et ça, c’est déjà beaucoup. »