À Compans, deux médecins déconventionnent et doublent leurs honoraires en 2025 : la commune en crise

Dans la petite commune de Compans, nichée au cœur d’un territoire rural où les services de santé sont déjà fragilisés, une onde de choc parcourt les rues depuis l’été dernier. Ce n’est pas une épidémie, ni une crise économique, mais une décision médicale qui a mis feu aux poudres : deux généralistes, figures emblématiques de la vie locale, ont changé de statut, de tarification, et bientôt d’adresse. Leur choix, assumé mais controversé, a révélé des tensions latentes entre accès aux soins, conditions de travail des médecins et responsabilités des collectivités. Entre affiches de protestation, pétitions, et témoignages poignants, Compans incarne aujourd’hui un microcosme des défis auxquels sont confrontés les territoires de santé en France.

Qu’est-ce qui a déclenché la crise à Compans ?

Le 14 juillet 2024, date symbolique en France, deux généralistes, la docteure Aurélie Devinante et sa consœur, ont officiellement basculé en secteur 3, c’est-à-dire en honoraires libres. D’un coup, la consultation est passée de 30 à 60 euros, tandis que le remboursement de l’Assurance maladie est tombé à 18 centimes. Un changement brutal pour les habitants, habitués à un système conventionné plus accessible. Mais derrière ce chiffre, une revendication forte : le temps. Les deux praticiennes affirment vouloir offrir une médecine plus humaine, où l’écoute prime sur la productivité. « On ne veut plus être des guichetiers de la santé », déclare Aurélie Devinante lors d’un entretien. « On veut pouvoir poser les bonnes questions, prendre le pouls, écouter l’histoire du patient. Cela ne se fait pas en dix minutes chrono. »

Cette décision a immédiatement provoqué une levée de boucliers. Des affiches jaunes, frappées du slogan « Santé en danger à Compans ! », ont envahi les murs du village. Le maire, Joël Marion, membre du Parti communiste, a lancé une pétition pour tenter de ramener les médecins à la convention. Mais face à la pression, les deux généralistes ont tenu bon. Leur message est clair : elles ne reviendront pas en arrière. « Nous avons fait ce choix en conscience, après des années de pression, de fatigue, de burn-out. Ce n’est pas une fuite, c’est une réorientation », insiste la docteure Devinante.

Pourquoi le loyer du cabinet a-t-il été multiplié par dix ?

Le bras de fer s’est intensifié autour du local médical. Installées depuis onze ans et demi, les deux médecins bénéficiaient d’un cabinet flambant neuf, mis à disposition par la municipalité. L’espace, d’environ 100 m², comprend trois bureaux, une salle d’attente, une cuisine, un ascenseur pour les personnes à mobilité réduite, et deux places de parking privées. Un équipement rare pour une commune de 820 habitants, et un atout majeur dans la construction de leur patientèle.

Le loyer, symbolique au départ (150 euros par mois), avait déjà été revu à la hausse : 800 euros après neuf ans, puis 940 euros récemment. Mais après la déconvention, le maire a décidé de revoir le contrat. Il a porté le loyer à 4 800 euros mensuels, alignant ainsi le tarif sur les standards du secteur libéral. « Ce n’est pas une sanction, c’est une logique », explique Joël Marion. « Quand on sort du conventionnement, on ne peut plus bénéficier de conditions ultra-favorisées financées par la collectivité. »

Pour les médecins, cette décision est perçue comme une rupture unilatérale. « On nous a fait venir ici, on a bâti une relation de confiance avec les patients, et aujourd’hui, on nous met dehors », déplore l’une des deux praticiennes, qui préfère rester anonyme. « Le maire dit qu’il nous a perdues. Mais c’est lui qui a changé les règles du jeu. »

Les habitants sont-ils abandonnés ?

La question taraude les habitants, surtout les plus vulnérables. Jeanine, 72 ans, diabétique depuis vingt ans, s’est exprimée lors d’une réunion publique en juin. « J’ai eu du mal à dormir après l’annonce. Qui va me suivre ? Et combien ça va me coûter ? » Ginette, voisine de Jeanine, ajoute : « À mon âge, marcher 10 km pour aller chez le médecin, c’est pas rien. Et puis, 60 euros, c’est presque une journée de repas pour moi. »

Serge, retraité d’un ancien poste d’ouvrier, partage cette inquiétude. « Avant, je pouvais venir quand j’avais un doute. Maintenant, je vais attendre que ça empire, parce que je ne peux pas me permettre de payer chaque fois. » Ces témoignages reflètent une réalité tangible : l’accès aux soins devient une question de pouvoir d’achat.

Pourtant, tous ne rejettent pas le nouveau modèle. Loïc, 41 ans, habitant de Saint-Soupplets, voisin de Compans, raconte une expérience positive. « J’avais une bronchite qui ne passait pas. Deux médecins m’avaient vu, traitement classique, rien n’y faisait. Là, la docteure m’a pris 40 minutes, a tout revu, et m’a orienté vers un pneumologue. Diagnostic : bronchopneumopathie chronique obstructive. Sans ce temps passé, je serais resté malade. » Pour lui, le prix, même doublé, est justifié. « C’est une question de qualité, pas de chiffre. »

Amir, suivi pour une affection de longue durée, consulte chaque mois. Il redoutait une visite express à 60 euros. « Je me suis préparé à cinq minutes et une facture salée. Mais non. On m’a examiné, on a parlé de mes angoisses, du traitement, de mon alimentation. Et pour les suivis mensuels, le tarif reste à 30 euros. » Il reconnaît que son budget est serré, mais juge le compromis « correct ».

Quelles sont les conséquences pour la commune ?

Le départ des deux généralistes, programmé pour le 1er septembre à Moussy-le-Neuf, à 11 km de Compans, marque un tournant. Pour la municipalité, c’est un échec. Joël Marion reconnaît : « On perd notre médecin traitant. On perd une ressource vitale. » Il dénonce un modèle « sans sens » pour une petite commune, où la solidarité et l’équité doivent primer.

Le problème s’aggrave par le contexte territorial. Autour de Compans, les cabinets sont saturés. À Claye, comme à Juilly, les généralistes ne prennent plus de nouveaux patients. « On est dans une zone de désert médical, mais on ne veut pas l’admettre », souligne un infirmier local, qui demande à ne pas être nommé. « Quand on perd deux médecins, même déconventionnés, c’est une catastrophe. »

Pour l’heure, la mairie n’a pas de solution concrète à proposer. Elle envisage de relancer un appel à candidatures, mais craint de ne pas trouver preneur. « Qui voudrait venir ici, avec un loyer de 4 800 euros, sans garantie de patientèle ? » s’interroge un conseiller municipal.

La médecine de qualité a-t-elle un prix trop élevé ?

Le cœur du débat réside dans cette question. Les deux généralistes ne cherchent pas à se faire passer pour des révolutionnaires, mais affirment défendre une éthique. « La Sécurité sociale nous pousse à faire de l’acte à la chaîne, à voir 30 patients par jour. On veut soigner, pas traiter », dit Aurélie Devinante. Elle pointe du doigt les contraintes administratives, les délais de remboursement, et l’absence de reconnaissance pour le temps passé.

Pour elle, le passage en secteur 3 n’est pas une fuite vers le profit, mais une reconquête de la dignité professionnelle. « On ne facture pas 60 euros pour une consultation standard. On facture pour du temps, de l’écoute, de l’analyse. Et on continue à adapter les tarifs selon les situations. » Elle insiste sur le fait que les patients suivis régulièrement, notamment en ALD, bénéficient toujours d’un tarif de 30 euros.

Ce modèle, de plus en plus adopté dans certaines zones rurales ou péri-urbaines, pose la question de la dualisation du système de santé. D’un côté, une médecine accessible mais pressée, de l’autre, une médecine de qualité mais coûteuse. « On risque de créer deux France : celle qui peut se payer du temps médical, et celle qui doit se contenter du minimum », alerte un sociologue de l’université de Créteil, spécialiste des politiques de santé.

Quel avenir pour les soins de proximité à Compans ?

Le 1er septembre marquera un nouveau départ. À Moussy-le-Neuf, les deux médecins s’installent dans des locaux rénovés, à côté de la poste. Leur patientèle les suivra-t-elle ? En partie, oui. « Je les suivrai où qu’ils aillent », affirme Loïc. « Ce n’est pas la distance qui compte, c’est la confiance. »

Mais pour les plus âgés, les plus précaires, le déplacement reste un obstacle. La mairie devra réfléchir à de nouvelles formes d’organisation : télémédecine, maison de santé pluriprofessionnelle, partenariats avec des infirmiers libéraux. « On ne peut pas rester les bras croisés », admet Joël Marion. Mais les solutions ne seront pas rapides.

En attendant, Compans vit un moment de tension. Un village qui se sent abandonné, des médecins qui se sentent incompris, des patients partagés entre loyauté et contraintes budgétaires. Ce conflit local résonne comme un cri d’alerte : la santé de proximité est en danger, non pas faute de volonté, mais faute d’un modèle viable, juste et durable.

A retenir

Quel est le nouveau statut des deux généralistes de Compans ?

Les deux médecins ont choisi de passer en secteur 3, c’est-à-dire en honoraires libres, ce qui leur permet de fixer librement leurs tarifs. Leur consultation est désormais facturée 60 euros, contre 30 auparavant, avec un remboursement minimal de l’Assurance maladie (18 centimes).

Pourquoi ont-elles quitté Compans ?

Leur départ est la conséquence d’un désaccord avec la municipalité, notamment sur le loyer du cabinet médical. Après leur déconvention, la mairie a augmenté le loyer à 4 800 euros par mois, les poussant à chercher de nouveaux locaux. Elles s’installeront à Moussy-le-Neuf le 1er septembre.

Les patients en affection de longue durée sont-ils pénalisés ?

Non. Pour les suivis réguliers liés à une affection de longue durée, le tarif reste fixé à 30 euros. Les médecins affirment adapter leurs pratiques pour ne pas pénaliser les patients les plus fragiles.

Quelles sont les alternatives pour les habitants de Compans ?

À ce jour, aucune solution n’est mise en place. Les cabinets des communes voisines sont saturés. La mairie envisage des solutions comme la télémédecine ou la création d’une maison de santé, mais aucun projet n’est abouti.

Le modèle de soins proposé par les médecins est-il durable ?

Il repose sur une patientèle capable de supporter des frais plus élevés en échange de temps médical accru. Ce modèle, bien que défendable sur le plan éthique, soulève des questions d’équité et de soutenabilité dans les zones rurales où les revenus sont modestes.