Le 1er février 2029 marquera un tournant dans la mobilité du Grand Genève. Sur l’A40, entre Annemasse et Saint-Julien-en-Genevois, une portion de route qui a longtemps échappé aux péages va enfin en adopter un. Ce changement, attendu depuis des années, suscite à la fois des espoirs et des inquiétudes. Pour les milliers de navetteurs qui empruntent quotidiennement ce tronçon, c’est plus qu’une simple adaptation : c’est une redéfinition de leurs habitudes, de leurs budgets, et de leur rapport à l’espace. Ce dispositif, conçu comme un outil de modernisation et de financement, s’inscrit dans une logique de transition. Mais sa mise en œuvre soulève des questions cruciales sur l’équité, la fluidité, et la protection des territoires secondaires.
Quand le péage devient incontournable : pourquoi ce changement ?
Depuis près de quarante ans, les automobilistes circulent gratuitement sur ce tronçon stratégique de l’A40. Cette exception, dans un réseau routier majoritairement payant, s’expliquait par des accords historiques et des logiques transfrontalières. Mais aujourd’hui, l’infrastructure vieillit. La préfecture de Haute-Savoie rappelle que les ouvrages, notamment les ponts et les échangeurs, nécessitent des travaux de renforcement. Sans entretien accru, la sécurité et la performance du réseau seraient compromises.
Le choix du péage répond aussi à une nécessité financière. Les investissements prévus — modernisation des écrans anti-bruit, renforcement des revêtements, sécurisation des accès — s’élèvent à plusieurs dizaines de millions d’euros. « On ne peut plus reporter indéfiniment les travaux », affirme Élodie Renard, ingénieure au service des infrastructures routières. « Ce tronçon supporte 50 000 véhicules par jour, dont une part considérable de poids lourds. L’usure est rapide, et les coûts d’entretien grimpent. »
Le péage est donc présenté comme un levier de pérennité. Il doit permettre de financer des améliorations tangibles, sans alourdir la charge fiscale générale. Mais cette logique économique entre en collision avec une réalité sociale : pour beaucoup, ce tronçon n’est pas un choix, mais une obligation.
Comment fonctionnera le système de péage à flux libre ?
Le dispositif adopté est celui du péage à flux libre, une technologie déjà expérimentée sur d’autres axes comme l’A13 ou l’A14. Fini les barrières, les files d’attente, les arrêts brusques. Ici, des portiques équipés de caméras et de capteurs seront installés à chaque extrémité du tronçon. Le passage d’un véhicule sera automatiquement détecté, et le conducteur facturé selon son profil.
Le système repose sur l’identification de la plaque d’immatriculation, croisée avec une base de données des abonnés. Ceux qui auront souscrit un badge ATMB bénéficieront d’un tarif préférentiel. « C’est une incitation à s’organiser », explique Thomas Lacroix, porte-parole du concessionnaire. « Plus on est régulier, plus on paie moins cher. »
Mais cette fluidité technologique soulève des inquiétudes. « Et si la reconnaissance de plaque se trompe ? » s’interroge Camille, enseignante à Annemasse, qui traverse la frontière chaque matin. « Je ne veux pas me retrouver avec une amende parce que le système a mal lu ma plaque. » Les autorités promettent un système de recours rapide, avec un service client accessible 24/7. La protection des données est également mise en avant : les images captées seraient effacées sous 72 heures, et les données chiffrées.
Pour les usagers, l’enjeu est double : faire confiance à une machine, et intégrer une nouvelle procédure administrative sans laquelle le coût devient dissuasif.
Quels tarifs pour quels usagers ?
Le tarif annoncé est de 1,80 € par traversée. À première vue, une somme modeste. Mais pour un navetteur effectuant un aller-retour cinq jours par semaine, cela représente près de 900 € par an. « C’est l’équivalent d’un plein de carburant par mois », calcule Julien Mercier, technicien de maintenance à Saint-Julien. « Et ce n’est que pour 10 kilomètres. »
Pour atténuer le choc, un abonnement mensuel ou annuel sera proposé aux détenteurs du badge ATMB, ramenant le coût à 0,94 € par passage. Ce mécanisme favorise les usagers réguliers, mais pénalise les occasionnels. « Je ne passe que deux ou trois fois par semaine », témoigne Léa Dubois, artisan céramiste à Gaillard. « Je n’ai pas intérêt à prendre un abonnement, donc je paie le plein tarif. C’est injuste. »
Le dispositif creuse donc une fracture entre deux catégories d’usagers : ceux qui peuvent s’adapter, et ceux qui, par fréquence d’usage ou contrainte budgétaire, restent exposés au tarif plein. Les collectivités locales ont demandé des mesures d’accompagnement, notamment pour les travailleurs à bas revenus ou les indépendants dont les frais professionnels ne sont pas remboursés.
Le report de trafic : une menace pour les routes secondaires ?
Le risque majeur, selon les élus des communes riveraines, est le report de trafic vers les routes départementales. « On voit déjà des camions emprunter les routes de campagne pour éviter les bretelles », alerte Antoine Vercel, maire de Saint-Cergues. « Si le péage pousse encore plus de monde à contourner, nos rues deviendront invivables. »
Les axes secondaires, comme la D902 ou la D1204, sont déjà saturés aux heures de pointe. Plus de véhicules, c’est plus de bruit, plus de pollution, et une usure accélérée des voiries locales. « On paie nos impôts, on entretient nos routes, mais on n’a pas demandé à devenir une voie de contournement », ajoute Chloé Rambert, habitante de Nangy. « Le jour où un enfant sera renversé par un camion pressé, qui sera responsable ? »
Les autorités reconnaissent ce risque. Un plan de surveillance du trafic secondaire sera mis en place, avec des radars mobiles et des contrôles renforcés sur les itinéraires détournés. Des aménagements sécuritaires sont également prévus, mais leur calendrier reste flou. Pour beaucoup, cela ressemble à une réponse réactive plutôt qu’à une anticipation responsable.
Le péage est-il équitable au regard des autres métropoles ?
Le débat dépasse les frontières du département. Alors que des villes comme Lyon ou Marseille étudient des pistes de gratuité partielle pour désengorger leurs centres, le Grand Genève fait le choix inverse. « C’est paradoxal », souligne Samuel Kessler, urbaniste et chercheur à l’Université de Genève. « On taxe un territoire transfrontalier ultra-dépendant de la mobilité, alors que d’autres cherchent à la faciliter. »
Cette incohérence nourrit un sentiment d’injustice. Les habitants de la région estiment qu’ils subissent une double peine : contraintes de circulation et pression financière, sans bénéfices immédiats visibles. « On nous dit que c’est pour l’entretien, mais où sont les travaux ? » demande Émilie Zeller, fonctionnaire franco-suisse. « Depuis cinq ans, je vois les nids-de-poule se multiplier. Si le péage doit servir à ça, qu’on le prouve. »
Les associations de mobilité, comme Trans’Alpes, exigent une transparence totale sur l’affectation des recettes. « Qu’un comité indépendant suive chaque euro dépensé », plaide leur porte-parole. « Sinon, le péage deviendra une taxe invisible, mal acceptée, et source de défiance. »
Quels impacts environnementaux à anticiper ?
Le péage à flux libre réduit les arrêts, donc les rejets de CO₂ liés aux démarrages. C’est un gain. Mais si le report de trafic s’accentue, les émissions pourraient augmenter sur les routes secondaires, plus sinueuses et moins adaptées à la vitesse. De plus, la pollution sonore menace les villages traversés.
Les écologistes pointent aussi l’absence d’alternative robuste. « On taxe la voiture, mais on ne développe pas assez le covoiturage, ni les lignes de bus rapides », regrette Lucien Moreau, militant de Terre Ensemble. « Le vélo-route entre Annemasse et Saint-Julien ? Il manque des tronçons, des éclairages, des protections. »
Le projet prévoit bien des améliorations en matière de transports en commun, mais elles seront mises en œuvre progressivement. Pour l’instant, les usagers n’ont guère le choix : payer ou contourner. Ni l’une ni l’autre de ces options ne constitue une vraie transition écologique.
Comment accompagner les usagers dans ce changement ?
L’acceptabilité du péage dépendra de la qualité de l’accompagnement. Les démarches d’abonnement doivent être simples, accessibles en ligne et en mairie. Les interfaces doivent être claires, les messages explicites. « Pas de jargon, pas de pièges », insiste Camille, qui a testé le simulateur de coût. « Je veux savoir exactement combien je vais payer, et comment l’éviter si je le souhaite. »
Les collectivités locales ont demandé des campagnes d’information ciblées, des permanences mobiles, et un numéro vert dédié. Le concessionnaire prévoit également des périodes de test, avec des messages d’alerte envoyés aux usagers avant la facturation réelle. « L’objectif n’est pas de punir, mais d’accompagner », assure Thomas Lacroix.
Mais pour beaucoup, l’accompagnement passe aussi par des alternatives concrètes. Des parkings relais, des lignes de bus express, des incitations au télétravail. Sans cela, le péage risque d’être perçu comme une contrainte supplémentaire, sans contrepartie.
Conclusion : un changement inéluctable, mais pas inacceptable
Le péage sur l’A40 entre Annemasse et Saint-Julien-en-Genevois est une réalité désormais programmée. Il répond à des impératifs techniques et financiers légitimes. Mais sa réussite ne dépendra pas seulement de son efficacité technologique. Elle tiendra à la manière dont il sera vécu par les usagers : comme une injustice ou comme un investissement partagé.
La confiance se gagnera par la transparence, l’équité, et la protection des territoires secondaires. Si les recettes servent bien à moderniser l’infrastructure, si les alternatives sont développées, et si les plus vulnérables sont accompagnés, alors ce changement pourra être accepté. Sinon, il deviendra un symbole de rupture, entre les décideurs et ceux qui vivent chaque jour les contraintes de la mobilité transfrontalière.
A retenir
Quand le péage sera-t-il mis en place ?
Le péage sur le tronçon Annemasse–Saint-Julien-en-Genevois entrera en vigueur le 1er février 2029. Une période de transition avec messages d’alerte est prévue avant la facturation effective.
Comment sera-t-il facturé ?
Le système sera à flux libre : aucune barrière ni cabine. Des portiques équipés de capteurs et caméras enregistreront les passages. Le paiement se fera automatiquement via la plaque d’immatriculation, avec possibilité d’abonnement pour un tarif réduit.
Quel sera le coût pour les usagers ?
Le tarif plein est fixé à 1,80 € par traversée. Les abonnés munis d’un badge ATMB bénéficieront d’un tarif préférentiel de 0,94 € par passage. Le coût annuel pour un navetteur quotidien pourrait donc varier de 470 € à près de 900 € selon le profil.
Y aura-t-il des risques de report de trafic ?
Oui, les autorités redoutent un report vers les routes secondaires, déjà saturées. Des mesures de surveillance et de contrôle seront mises en place, ainsi que des aménagements sécuritaires, mais leur efficacité reste à prouver.
Les données personnelles seront-elles protégées ?
Les images des caméras seront effacées sous 72 heures. Les données de circulation seront chiffrées et utilisées uniquement à des fins de facturation et de gestion du trafic. Un système de recours est prévu en cas d’erreur de facturation.
Le péage finance-t-il vraiment l’entretien de la route ?
Les autorités affirment que les recettes seront intégralement réinvesties dans la modernisation, la sécurité et l’entretien du tronçon. Des garanties de transparence sont exigées par les associations, qui demandent un suivi indépendant des dépenses.