Un tournant crucial pour Carmat en 2025 avec une reprise à 1 million d’euros qui pourrait sauver le cœur artificiel français

Alors que Carmat, fleuron de la technologie médicale française, vacille au bord du précipice, l’avenir d’un rêve médical de plus de quinze ans tient désormais à un fil. Créée en 2008 avec l’ambition de révolutionner la prise en charge de l’insuffisance cardiaque terminale, l’entreprise a porté l’espoir de milliers de patients et incarné l’excellence de l’innovation tricolore. Mais aujourd’hui, confrontée à une situation financière critique, elle attend une décision qui pourrait tout changer. Une seule offre de reprise, inattendue et symbolique, est sur la table. Derrière un montant dérisoire de 1 million d’euros, se cache un enjeu colossal : sauver un programme médical stratégique, préserver des emplois de haute technicité et maintenir la France dans le peloton de tête de la biomédecine. Ce n’est pas seulement une entreprise qui se joue, mais un pan entier de la souveraineté sanitaire et industrielle.

Quel avenir pour Carmat après son placement en redressement judiciaire ?

Le 13 août 2024, un communiqué bref mais lourd de sens a été publié : la cotation de Carmat en Bourse était suspendue à compter du lendemain. Cette mesure, préventive, vise à éviter toute spéculation avant l’audience cruciale du tribunal de commerce de Versailles, prévue le 19 août. Depuis le début de l’été, l’entreprise est en redressement judiciaire, conséquence directe d’un défaut de paiement. Un parcours semé d’embûches qui a conduit à cette situation inédite : une seule offre de reprise déposée, celle d’un consortium mené par une société familiale belge, alors que les espoirs reposaient sur une pluralité d’acteurs.

Le destin de Carmat semble désormais suspendu à cette proposition. Si elle est validée, elle permettrait de relancer la production du cœur artificiel Aeson, actuellement au point mort. En cas d’échec, la liquidation pourrait survenir dans les semaines qui suivent, mettant un terme brutal à un programme clinique suivi par des équipes médicales du monde entier. Pour Élise Renard, cardiologue au CHU de Lille et membre du comité d’évaluation des nouvelles technologies, « perdre Carmat, ce serait perdre une chance unique de proposer une alternative viable aux patients en attente de greffe. Le cœur artificiel n’est pas encore un remède miracle, mais il est une bouée de sauvetage pour des vies que rien d’autre ne peut sauver. »

Pourquoi une offre à 1 million d’euros soulève-t-elle autant d’espoirs ?

Le montant du rachat, symbolique, ne reflète en rien la valeur réelle de l’entreprise. Ce chiffre de 1 million d’euros cache en réalité un engagement bien plus conséquent : un apport de 150 millions d’euros sur cinq ans, dont 40 millions doivent être débloqués d’ici janvier 2025. Ce financement est conditionné à plusieurs étapes clés : la validation du tribunal, puis l’approbation du ministère de l’Économie. Ce dernier point est crucial, car l’acquéreur est étranger, et le secteur des dispositifs médicaux implantables est considéré comme stratégique.

Derrière cette offre, on trouve Pierre Bastid, figure emblématique du monde industriel français. Ancien dirigeant de grands groupes comme Schneider, Valeo ou Thomson, il préside le conseil de Carmat depuis juin 2024 et détient 20 % du capital. Depuis 2017, il a injecté 60 millions d’euros dans l’entreprise, preuve d’un engagement personnel sans faille. Pour soutenir le plan de reprise, il a également mis en vente un actif immobilier à New York, estimé à 76 millions de dollars. « Bastid n’est pas un financier de passage, souligne Thomas Lefebvre, analyste spécialisé dans les biotechs. C’est un industriel qui croit dans le projet médical. Son implication dépasse largement l’aspect financier. »

Quelles sont les conditions de reprise des emplois et des activités ?

Le plan de reprise prévoit la sauvegarde de 138 contrats, essentiels à la continuité de l’activité. Ces emplois, hautement qualifiés, sont concentrés à Vélizy-Villacoublay, dans les Yvelines, où se trouve le siège de Carmat. Les équipes techniques, médicales et de production ont longtemps travaillé dans des conditions de pression extrême, conscients que chaque composant du cœur artificiel pouvait faire la différence entre la vie et la mort.

Léa Brossard, ingénieure biomédicale chez Carmat depuis 2016, témoigne : « On sait que chaque cœur que l’on assemble, c’est une chance pour un patient. On ne parle pas de machines, on parle de vies. Même dans les moments les plus sombres, on a continué à croire en ce projet. » La reprise des emplois n’est donc pas seulement une question sociale, mais un pilier de la crédibilité du programme. Sans ces compétences rares, aucune relance industrielle ne serait possible.

Quel est l’état actuel du développement clinique du cœur Aeson ?

Depuis la première implantation en 2014, 120 patients ont reçu le cœur artificiel Aeson. Si ces chiffres peuvent sembler modestes, ils représentent une avancée considérable dans un domaine où chaque essai est long, coûteux et soumis à des normes rigoureuses. En 2023, seuls 42 cœurs ont été transplantés, bien loin des 500 par an nécessaires à l’équilibre économique de l’entreprise. Le premier trimestre 2025 n’en compte que 16, ce qui illustre la fragilité de la chaîne de production.

Deux décès survenus en 2021 ont marqué un tournant négatif. Les implantations ont été suspendues jusqu’en octobre 2022, le temps d’analyser les causes et de renforcer la sécurité du dispositif. Depuis, Carmat a amélioré Aeson, notamment au niveau de la durabilité et de la gestion énergétique. Une nouvelle version est en cours de développement, avec une implantation ciblée avant la fin de l’année. « On a appris de nos erreurs, affirme le Dr Antoine Mercier, coordinateur des essais cliniques. Chaque retour d’expérience est intégré. Le cœur de demain sera plus fiable, plus compact, et adapté à un plus grand nombre de patients. »

Quels sont les enjeux industriels et économiques à long terme ?

Pour atteindre la viabilité, Carmat doit produire 500 cœurs par an. À ce jour, la production est largement en dessous de ce seuil. L’un des leviers envisagés est une hausse de prix de 15 à 20 %, à partir d’un tarif moyen actuel de 167 000 euros. Cette augmentation, bien que sensible, s’inscrit dans une logique de pérennisation. « Le cœur artificiel n’est pas un produit de masse, explique Marc Tisserand, expert en santé publique. Il s’adresse à une population très spécifique, avec des coûts de R&D, de production et de suivi colossaux. Le prix doit refléter cette complexité. »

Le défi industriel est immense. Il s’agit non seulement de relancer la production, mais aussi de stabiliser la feuille de route clinique, de renouer avec les partenariats hospitaliers et de convaincre à nouveau les autorités de remboursement. Bpifrance et Airbus, anciens actionnaires, ont quitté le capital, laissant un vide financier et symbolique. La confiance doit être reconstruite, tant auprès des investisseurs que des patients et des médecins.

Quel impact cette décision aura-t-elle sur la filière médicale française ?

L’enjeu dépasse largement les frontières de Carmat. La France s’est imposée comme un leader mondial dans le domaine des prothèses cardiaques, et la disparition de Carmat fragiliserait toute une filière. Des chercheurs, des ingénieurs, des start-ups et des hôpitaux sont liés à ce projet. « Ce n’est pas qu’une entreprise qui est en jeu, insiste Sophie Vidal, directrice d’un laboratoire de biomatériaux à l’Inserm. C’est un écosystème entier. Si Carmat disparaît, des talents partiront, des financements se raréfieront, et d’autres projets innovants seront dissuadés. »

Le ministère de l’Économie, conscient de cette dimension stratégique, devra peser le pour et le contre d’une reprise par un acteur étranger. L’État français, qui a déjà soutenu Carmat par le passé, pourrait être amené à jouer un rôle plus direct, notamment via des garanties ou des participations publiques. La souveraineté sanitaire, devenue un enjeu central depuis la crise du Covid, ne peut pas être sacrifiée sur l’autel de la rentabilité à court terme.

Quelles sont les perspectives d’un avenir crédible pour Carmat ?

Le feu vert du tribunal et du ministère engagerait une relance, mais sous conditions strictes. Le plan de reprise est lourd, la trajectoire serrée, et les risques nombreux. Pourtant, les signaux sont encourageants : une gouvernance renforcée, des financements séquencés, une priorité clairement donnée à la sécurité des patients et à l’industrialisation. L’implication de Pierre Bastid, à la fois actionnaire, président et investisseur, apporte une forme de stabilité rare dans les situations de crise.

En cas de refus, la liquidation serait inévitable. Ce scénario mettrait fin à un programme médical majeur, mais aussi à des années de recherche, de sacrifices et d’espoirs. Pour les patients en attente, comme Julien Morel, 58 ans, insuffisant cardiaque en liste de greffe depuis 18 mois, « le cœur artificiel, c’est une chance de vivre plus longtemps, de voir ses enfants grandir. Si Carmat disparaît, on perd une option. Et dans notre situation, chaque option compte. »

A retenir

Qu’est-ce qui se joue lors de l’audience du 19 août ?

L’audience du tribunal de commerce de Versailles décidera si l’offre de reprise de Carmat est validée. Cette décision conditionne la survie de l’entreprise et du programme de cœur artificiel Aeson. En cas de refus, la liquidation serait probable à brève échéance.

Qui est derrière l’offre de reprise ?

L’offre est portée par une société familiale belge, soutenue par Pierre Bastid, ancien dirigeant de grands groupes industriels et actionnaire historique de Carmat. Il a investi 60 millions d’euros depuis 2017 et engage désormais un apport de 150 millions sur cinq ans.

Les emplois de Carmat sont-ils menacés ?

Le plan de reprise prévoit la sauvegarde des 138 contrats jugés indispensables à la continuité de l’activité. Ces emplois, hautement qualifiés, sont essentiels à la production, au développement clinique et à la maintenance du cœur artificiel.

Le cœur artificiel Aeson est-il encore en développement ?

Oui, une nouvelle version du cœur Aeson est en cours de développement, avec pour objectif une première implantation avant la fin de l’année 2024. Les améliorations portent sur la fiabilité, la durée de vie et l’adaptabilité aux patients.

Pourquoi l’État français doit-il donner son accord ?

Le secteur des dispositifs médicaux implantables est considéré comme stratégique. Comme l’acquéreur est une entité étrangère, le ministère de l’Économie doit valider l’opération pour des raisons de souveraineté sanitaire et industrielle.