La retraite, souvent perçue comme le couronnement d’une vie de travail, s’inscrit aussi comme une étape cruciale en matière de gestion financière. Ce n’est pas seulement une question de budget ou d’épargne, mais bien d’anticipation, de stratégie et de transmission. Pour beaucoup, cette période soulève des interrogations légitimes : comment préserver son patrimoine ? Quels placements choisir à 70 ans ou plus ? Comment assurer une succession apaisée pour ses proches ? Autant de questions auxquelles les seniors, parfois isolés dans leurs décisions, doivent répondre avec lucidité. À travers des choix judicieux et des erreurs à éviter, il est possible de construire une fin de vie financièrement sereine. Voici une analyse approfondie, enrichie de témoignages concrets, pour accompagner cette réflexion essentielle.
Comment adapter ses investissements à l’âge de la retraite ?
À l’aube de la soixantaine ou au-delà, les priorités en matière de placements changent radicalement. Ce n’est plus tant la recherche de rendement qui prime, mais la préservation du capital. Les marchés actions, bien que séduisants par leurs performances passées, deviennent un terrain dangereux pour ceux qui n’ont plus le temps de se remettre d’un krach boursier. C’est ce que rappelle Élodie Renard, conseillère patrimoniale à Lyon : « À 70 ans, un portefeuille trop exposé aux unités de compte peut devenir une source d’anxiété. Beaucoup de mes clients ont vu leur assurance-vie perdre 30 % de sa valeur en 2008, alors qu’ils en avaient besoin pour financer leur quotidien. »
Un exemple parlant est celui de Thomas Lefebvre, 74 ans, ancien ingénieur en informatique. Après une carrière bien remplie, il a conservé un portefeuille d’actions à 60 %, pensant que la croissance du secteur technologique continuerait. En 2022, lors du recul des marchés, il a perdu 22 % de sa valeur nette en quelques mois. « J’ai dû vendre à perte pour payer des frais médicaux imprévus, raconte-t-il. Aujourd’hui, je suis passé à 80 % en fonds en euros. C’est moins excitant, mais je dors mieux. »
L’assurance-vie, lorsqu’elle est bien utilisée, devient un pilier de la gestion patrimoniale à la retraite. En particulier, la part investie en fonds en euros offre une garantie du capital et une rémunération stable. Même si les rendements sont modestes (autour de 2,5 % en 2023), ils restent supérieurs à ceux du livret A, et surtout, ils sont sécurisés. Les seniors doivent donc réévaluer régulièrement la composition de leurs contrats, en réduisant progressivement les supports risqués au profit d’options plus stables.
Pourquoi le démembrement de propriété est-il une stratégie intelligente ?
L’immobilier constitue souvent la part la plus importante du patrimoine des seniors. Pourtant, trop peu en tirent parti fiscalement avant leur décès. Le démembrement de propriété — qui consiste à séparer la nue-propriété de l’usufruit — permet de transmettre un bien tout en en conservant l’usage. Cette technique, bien connue des notaires, est encore sous-utilisée.
Comment fonctionne le démembrement en pratique ?
Imaginons le cas de Sophie et Marc Berthier, un couple de retraités de 71 et 69 ans, propriétaires d’un appartement à Bordeaux estimé à 500 000 euros. En cédant la nue-propriété à leurs deux enfants (soit 60 % de la valeur totale, conformément aux barèmes fiscaux), ils réduisent la valeur taxable de leur succession. Ils conservent l’usufruit, ce qui leur permet de continuer à vivre dans le logement ou d’en percevoir les loyers s’ils le louent.
« C’est une solution win-win, explique Élodie Renard. Les enfants acquièrent un bien à moindre coût, avec un abattement fiscal, et les parents sécurisent leur transmission tout en gardant le contrôle. »
Le calcul est précis : en cédant 60 % de la nue-propriété à 70 ans, la valeur fiscale transmise est évaluée à environ 300 000 euros, mais après abattement de 30 % pour la nue-propriété, le montant imposable tombe à 210 000 euros. Réparti entre deux enfants, cela représente 105 000 euros chacun — bien en dessous du seuil de 100 000 euros de donation exonérée tous les 15 ans.
Cette stratégie permet aussi de désengorger l’actif imposable au moment du décès, limitant ainsi les droits de succession. Elle est particulièrement pertinente pour les biens locatifs ou les résidences secondaires, où les loyers peuvent continuer à alimenter le revenu des seniors.
Quels placements privilégier pour sécuriser son épargne ?
La sécurité prime sur la performance à la retraite. Les placements à long terme, comme les actions ou certains OPCVM, deviennent moins adaptés à un horizon de vie raccourci. En revanche, les supports à court ou moyen terme offrent une meilleure visibilité.
Quelles alternatives concrètes ?
Le livret d’épargne populaire (LEP), le livret A ou encore le PEL peuvent jouer un rôle de « trésorerie sécurisée », mais leurs rendements limités ne permettent pas une croissance significative. Le Plan d’Épargne Retraite (PER) individuel, quant à lui, reste un outil pertinent, surtout s’il est converti en rente viagère. Il permet non seulement de se constituer un complément de revenu, mais aussi de bénéficier d’une exonération totale d’impôt sur le capital en cas de rente.
Le cas de Nadia Kessler, 68 ans, ancienne enseignante, illustre bien cette approche. Elle a converti une partie de son PER en rente annuelle de 800 euros. « C’est modeste, mais c’est du cash-flow certain. Je n’ai plus à me soucier de la bourse ou des taux d’intérêt. C’est un revenu fixe, comme ma retraite. »
Par ailleurs, les obligations d’État ou les fonds structurés à capital garanti peuvent être envisagés pour les épargnants souhaitant un peu plus de rendement sans prendre de risque excessif. L’essentiel est de ne pas chercher à « rattraper le temps perdu » par des investissements spéculatifs, une erreur fréquente chez les seniors qui regrettent de ne pas avoir assez épargné.
Est-il pertinent de transmettre son patrimoine avant son décès ?
Beaucoup de seniors hésitent à donner de l’argent ou des biens à leurs enfants, par peur de se retrouver démunis ou de perdre le contrôle. Pourtant, la transmission anticipée, quand elle est bien encadrée, peut être une décision gagnante sur tous les plans.
Quels sont les avantages fiscaux ?
La loi permet de donner jusqu’à 100 000 euros à chaque enfant tous les quinze ans, sans payer de droits de mutation. Cela signifie qu’un couple avec deux enfants peut transmettre 400 000 euros tous les 15 ans sans aucun coût fiscal. Pour des biens immobiliers ou des comptes-titres, cela représente une économie substantielle.
Le cas des époux Dubreuil, 72 et 70 ans, est éloquent. Ils ont fait une donation-partage entre leurs trois enfants en 2012, puis une nouvelle en 2027. Chaque enfant a reçu 100 000 euros en espèces et une part de nue-propriété d’un bien immobilier. « On voulait éviter les conflits après notre départ, explique Jacques Dubreuil. Et puis, on a vu que nos enfants avaient des besoins — un qui voulait agrandir sa maison, une autre qui lançait une entreprise. On a préféré leur donner de notre vivant, plutôt que de laisser l’administration s’en charger. »
La donation-partage, en particulier, permet de fixer dès maintenant la répartition des biens, ce qui évite les tensions familiales. Elle est souvent accompagnée d’un testament pour préciser les souhaits non couverts par la donation.
Pourquoi l’assurance-vie reste-t-elle un outil incontournable ?
Même à un âge avancé, l’assurance-vie conserve une place centrale dans la stratégie patrimoniale. Elle combine souplesse, fiscalité avantageuse et transmission efficace.
Quels sont les seuils fiscaux à connaître ?
Les versements effectués avant 70 ans bénéficient d’un régime très favorable : chaque bénéficiaire (y compris les enfants) peut recevoir jusqu’à 152 500 euros sans payer de droits de succession. Au-delà, un abattement de 30 500 euros s’applique, puis les sommes sont imposées à 20 ou 31,8 %. En revanche, les versements après 70 ans sont intégrés dans la succession et taxés selon les droits classiques, sauf s’ils sont justifiés par des revenus récents.
C’est ce qu’a découvert, un peu tard, Bernard Cazin, 78 ans. Il avait versé 200 000 euros sur son assurance-vie à 75 ans, pensant que cela resterait hors succession. « Mon notaire m’a expliqué que ces sommes seraient réintégrées dans mon patrimoine imposable. J’aurais dû agir plus tôt. »
Cependant, même après 70 ans, l’assurance-vie reste utile. Elle permet des retraits programmés, des avances en cas de besoin, et surtout, elle évite la liquidation immédiate des actifs. Les fonds en euros continuent de rapporter, même modestement, et offrent une alternative aux comptes bancaires classiques.
Comment construire une stratégie patrimoniale globale ?
La gestion du patrimoine à la retraite ne se résume pas à un seul outil ou une seule décision. Elle exige une vision d’ensemble, intégrant épargne, immobilier, fiscalité et transmission. Un bilan patrimonial annuel, réalisé avec un conseiller indépendant, peut aider à ajuster la trajectoire.
Comme le souligne Élodie Renard : « Beaucoup de seniors pensent que leur situation est figée. Or, ils ont encore 15 ou 20 ans devant eux. Ce n’est pas le moment de s’arrêter, mais de s’adapter. »
Un bon plan inclut : une réduction progressive des risques financiers, une transmission anticipée et encadrée, l’utilisation optimale de l’assurance-vie, et une stratégie immobilière réfléchie. Le tout, bien sûr, en tenant compte de la santé, de la famille et des projets personnels.
A retenir
Peut-on encore investir après 70 ans ?
Oui, mais en privilégiant la sécurité. Les placements risqués doivent être réduits au profit d’options garanties comme les fonds en euros d’assurance-vie ou les obligations sécurisées.
Quel est l’avantage fiscal de la donation ?
Chaque parent peut donner 100 000 euros à chaque enfant tous les 15 ans sans frais. Cela permet de réduire la base taxable de la succession et d’aider les générations futures.
Le démembrement de propriété est-il risqué ?
Non, il est même sécurisant. Le donateur conserve l’usufruit, donc l’usage du bien. La nue-propriété transmise aux héritiers est valorisée à un taux minoré, ce qui réduit l’impact fiscal.
L’assurance-vie après 70 ans est-elle utile ?
Oui, bien qu’elle perde une partie de ses avantages fiscaux. Elle reste un outil flexible pour générer des revenus et retirer des fonds en cas de besoin, tout en facilitant la transmission.
Faut-il attendre son décès pour transmettre son patrimoine ?
Non. La transmission anticipée permet d’éviter les conflits familiaux, de soutenir ses proches vivants, et de réduire la pression fiscale sur la succession.
Conclusion
La retraite n’est pas la fin de la gestion financière, mais bien le début d’une nouvelle phase, plus stratégique, plus humaine. Les décisions prises à 70 ans ou plus ont un impact durable, tant sur le bien-être personnel que sur l’harmonie familiale. En évitant les pièges classiques — surexposition au risque, procrastination sur la transmission, méconnaissance des outils fiscaux —, les seniors peuvent transformer cette étape en une période de sérénité et de don. La clé ? Anticiper, s’entourer de professionnels de confiance, et agir avant qu’il ne soit trop tard.