Deux randonneuses coincées sur un volcan en 2025 : ce qu’elles ont vécu dans le froid et l’obscurité

Sur les pentes escarpées du Piton de la Fournaise, là où la lave récente dessine un paysage lunaire et où le vent s’engouffre sans pitié, deux femmes ont vécu une nuit qu’elles n’oublieront jamais. Leur randonnée, partie sous un ciel clément, s’est transformée en course contre la montre face au froid, à l’obscurité et à un terrain traître. Cette mésaventure, loin d’être isolée, résonne comme un avertissement : la montagne ne distingue pas les intentions, elle ne pardonne que rarement. Ce récit, nourri par les faits, les témoignages et l’expérience des secours, explore les erreurs, les réactions, et surtout, les leçons à tirer pour quiconque souhaite s’aventurer sur un volcan aussi beau que redoutable.

Que s’est-il passé cette nuit-là sur le Piton de la Fournaise ?

Le 18 août, un lundi ordinaire sur l’île de La Réunion, deux randonneuses, Clémence Laroche et Léa Béranger, ont entrepris l’ascension du Piton de la Fournaise, l’un des volcans les plus actifs au monde. Elles espéraient atteindre le cratère principal avant la tombée de la nuit, attirées par la promesse d’un coucher de soleil sur les coulées de lave figées. Mais leur départ, fixé à 16 heures, les plaçait déjà en situation de retard. À cette altitude — 2 632 mètres —, le jour file plus vite qu’en plaine, et la lumière, plus rare, accentue la sensation de dépaysement.

Elles ont été repérées pour la dernière fois aux abords du dôme central, dans l’enclos Fouqué, une dépression volcanique de treize kilomètres sur neuf, où les repères visuels s’effacent rapidement. Sans lampe frontale, sans vêtements adaptés au froid, elles ont été surprises par une température qui a chuté à 2 °C, amplifiée par un vent glacial. Leur équipement ? L’une portait des claquettes, l’autre des chaussures à talons. Une erreur fatale sur un terrain parsemé de scories tranchantes, instables et glissantes.

« Quand j’ai vu leurs chaussures, j’ai compris que c’était grave », raconte Yann Kervelec, gendarme réserviste en poste ce jour-là. « Sur cette zone, une simple entorse peut immobiliser quelqu’un. Et sans lumière, chaque mètre devient un pari. »

Comment les secours ont-ils été mobilisés ?

L’alerte a été donnée par un autre groupe de randonneurs, qui a remarqué l’absence inhabituelle des deux femmes sur le sentier du retour. Le centre de secours de La Réunion a immédiatement activé le peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM), connu pour son expertise dans les environnements extrêmes. En quelques minutes, une coordination serrée s’est mise en place : secteurs de recherche définis, équipes au sol déployées, et la section aérienne alertée.

Un hélicoptère Dragon 57 a décollé de Saint-Denis, équipé de caméras thermiques. « Le brouillard commençait à monter, et la visibilité tombait à moins de cinquante mètres », explique le pilote, Thomas Favier. « Mais les capteurs ont repéré deux sources de chaleur à 2 400 mètres d’altitude, coincées entre deux coulées de lave. »

L’évacuation a été réalisée par héliportage, technique risquée en haute montagne, surtout de nuit. Les deux femmes, affaiblies par le froid et la fatigue, ont été hissées à bord grâce à un treuil. « Elles étaient en hypothermie légère, mais conscientes », confie le médecin du PGHM, le docteur Émilie Tala. « Si elles avaient passé une heure de plus là-bas, l’issue aurait pu être tragique. »

Pourquoi une telle erreur d’équipement est-elle si dangereuse ?

Le choix de chaussures inadaptées n’est pas une simple négligence : c’est une rupture fondamentale avec les règles de sécurité en milieu montagneux. Sur le Piton de la Fournaise, le sol est composé de basalte fracturé, de scories volcaniques et de plaques instables. Une semelle souple, comme celle d’une claquette, ne protège ni des coupures, ni des torsions. Un talon, quant à lui, accentue le déséquilibre sur un terrain en pente.

« J’ai vu des gens partir en tongs pour faire le sentier des Caps », témoigne Julien Marceau, guide local depuis quinze ans. « Ils pensent que c’est une promenade. Mais ici, le terrain peut changer en dix mètres : du plat, tu passes à une pente à 45 degrés, avec du vent à 60 km/h. Et s’il pleut, les roches deviennent glissantes comme du savon. »

Le froid, souvent sous-estimé, est un ennemi insidieux. À cette altitude, même par temps clair, la température peut chuter de 10 °C en une heure. Sans isolation thermique, le corps perd rapidement sa chaleur. « L’hypothermie ne te frappe pas d’un coup, elle t’endort », précise Yann Kervelec. « Tu deviens lent, confus, tu ne sens plus tes doigts. Et là, tu ne peux plus réagir. »

Quelles sont les règles fondamentales pour une randonnée sécurisée sur un volcan ?

Partir tôt est la première règle, souvent ignorée. « On recommande un départ avant 8 heures, surtout en hiver », insiste Julien Marceau. « Cela donne au moins huit heures de lumière, et tu évites les vents de l’après-midi. »

Le sac à dos idéal doit contenir :

  • Une veste imperméable et coupe-vent
  • Un pull ou une couche polaire
  • Un bonnet et des gants
  • Deux litres d’eau minimum
  • Des barres énergétiques ou des repas légers
  • Une lampe frontale avec piles de rechange
  • Un téléphone chargé, avec batterie externe
  • Des cartes hors ligne ou une application GPS dédiée

« J’ai vu des touristes partir avec juste un short et un t-shirt », raconte Clémence Laroche, après son sauvetage. « On pensait que le soleil suffirait. On ne savait pas que le vent ici, c’est comme une lame. »

Le balisage, bien qu’utile, ne doit jamais remplacer la vigilance. « Les sentiers sont marqués, mais les bifurcations existent », alerte Thomas Favier. « Un mauvais virage, et tu te retrouves dans une zone interdite, sans réseau, sans repères. »

Quel rôle joue la coordination des secours en montagne ?

L’intervention réussie du 18 août illustre l’efficacité d’un système bien rodé. Le PGHM, appuyé par la gendarmerie réserviste et les moyens aériens, fonctionne comme une chaîne de réaction rapide. Du premier appel à l’extraction, chaque maillon est entraîné à agir sous pression.

« Ce qui sauve, c’est la procédure », affirme le commandant Delphine Roche, responsable opérationnelle. « On ne improvise rien. On a des scénarios pour chaque type de situation : perte de repères, blessure, hypothermie. Et on s’entraîne toute l’année, par tous les temps. »

Le réseau de communication, bien que fragile en haute altitude, est renforcé par des radios VHF et des relais satellite. « Quand le portable ne passe plus, on a d’autres moyens », précise Yann Kervelec. « Mais encore faut-il que les randonneurs aient pensé à en informer quelqu’un avant de partir. »

Comment éviter de se retrouver dans une situation similaire ?

La préparation commence bien avant le départ. Elle passe par la vérification météo, la lecture des consignes du parc national, et la communication de son itinéraire à un proche. « On appelle ça le “fiche de course” », explique Julien Marceau. « Tu laisses un message avec ton heure de départ, ton parcours, et ton heure prévue de retour. Si tu ne rentres pas, ça déclenche l’alerte. »

Le respect du groupe est crucial. « On ne se sépare jamais », insiste Émilie Tala. « Même si l’un veut aller plus vite, on reste ensemble. La montagne n’est pas une compétition. »

Et surtout, il faut savoir rebrousser chemin. « Le plus dur, c’est d’admettre qu’on ne fera pas le sommet », confie Léa Béranger. « On avait marché deux heures, on voulait y croire. Mais aujourd’hui, je dis : mieux vaut une déception que la mort. »

Quelle leçon tirer de cette mésaventure ?

Le Piton de la Fournaise n’est pas un décor, c’est un environnement vivant, instable, et parfois hostile. Son attrait, légitime, ne doit pas occulter ses dangers. Comme le rappelle le docteur Tala : « La beauté du lieu ne protège pas du froid, ni de la chute, ni de la panne d’énergie. »

La randonnée, surtout en haute montagne, exige humilité. Elle n’est pas une simple promenade, mais une confrontation à des éléments que l’on ne contrôle pas. Les deux randonneuses ont eu de la chance : elles ont été repérées à temps, secourues par des professionnels rodés, et n’ont pas subi de séquelles graves.

Leur histoire doit servir de signal d’alarme. Chaque année, des dizaines d’interventions sont menées pour des imprudences évitables. « On ne veut pas interdire l’accès, on veut que les gens viennent en sécurité », conclut le commandant Roche. « La montagne est généreuse. Mais elle exige du respect. »

A retenir

Quelle température fait-il au sommet du Piton de la Fournaise ?

La température moyenne varie entre 5 et 10 °C, mais peut chuter à 0 °C ou moins la nuit, surtout en hiver. Le vent accentue la sensation de froid, rendant indispensable une tenue adaptée même par temps clair.

Pourquoi ne faut-il jamais partir sans lampe frontale ?

La lampe frontale libère les mains, permet de garder l’équilibre et de repérer les obstacles. En cas de retard ou de brouillard, elle devient un outil de survie. Une simple torche n’offre pas la même stabilité ni le même faisceau.

Peut-on s’éloigner des sentiers balisés ?

Non. Les sentiers sont balisés pour des raisons de sécurité et de protection de l’écosystème. S’éloigner augmente le risque de chute, de perte de repères, et peut endommager des zones fragiles encore en régénération après une éruption.

Que faire en cas de doute pendant une randonnée ?

Il faut s’arrêter, évaluer la situation, et si nécessaire, rebrousser chemin. Un doute est un signal d’alerte. Mieux vaut interrompre son parcours que de risquer l’accident. Informer les secours dès que la situation semble compromise.

Combien de temps faut-il prévoir pour une randonnée classique sur le Piton ?

Un itinéraire aller-retour jusqu’au cratère principal prend généralement entre 4 et 6 heures, selon le rythme. Il est fortement conseillé de commencer tôt, avant 8 heures, pour bénéficier de toute la lumière du jour.