Un matin, en sortant prendre son café sur la terrasse, Camille Lefebvre découvre, stupéfaite, que son jardin, si soigneusement entretenu, est criblé de trous. Rien de dramatique à première vue, mais ces petites cavités, apparues comme par magie, la troublent. Elle n’est pas seule : des milliers de jardiniers, chaque saison, constatent ce phénomène inquiétant. Pourtant, loin d’être une simple nuisance, ces marques dans la terre sont souvent des indices précieux, des messages laissés par des hôtes discrets. Comprendre leur origine, c’est éviter des interventions inutiles, préserver l’équilibre du jardin et, parfois, cohabiter intelligemment avec la faune locale. L’essentiel n’est pas de combler les trous, mais d’en comprendre la signature.
Où sont les trous ? L’emplacement parle avant même l’animal
Le premier indice ne se trouve ni dans la taille ni dans la profondeur, mais dans la localisation. Chaque espèce a ses habitudes, ses territoires de prédilection. Lorsque des trous apparaissent au cœur d’une pelouse bien tondue, comme chez Camille, la piste de la taupe devient évidente. Ces mammifères souterrains affectionnent les sols meubles, riches en vers de terre, et creusent leurs galeries là où la terre est facile à traverser. Leurs monticules en forme de cône sont souvent isolés, mais alignés selon un tracé sinueux qui suit les racines ou les zones humides.
En revanche, si les trous sont groupés près d’un vieux mur de pierre ou au pied d’un arbre, comme c’est le cas pour Thomas Rivelin, propriétaire d’un verger en Ardèche, la marmotte devient un suspect sérieux. Ces rongeurs creusent des terriers profonds et durables, souvent entourés de terre tassée, avec plusieurs entrées secondaires. Ils aiment les zones où ils peuvent surveiller les alentours tout en restant à l’abri. Un trou solitaire, au milieu d’un massif, peut quant à lui indiquer la présence d’un tamia ou d’un écureuil, en quête d’un endroit sûr pour enterrer ses graines.
Les alignements le long d’une clôture, souvent observés par les habitants des zones périurbaines, sont généralement l’œuvre de campagnols. Ces petits rongeurs creusent des galeries peu profondes, sans laisser de monticules, et circulent sous les herbes hautes ou les buissons. Leur passage est discret, mais leurs dégâts peuvent être redoutables : en rongeant les racines des plantes, ils affaiblissent les massifs et fragilisent la pelouse.
Quelle forme ? Chaque espèce laisse une empreinte unique
Petits trous sans monticules : qui creuse sans laisser de traces ?
Les campagnols sont des artistes de l’invisibilité. Leurs trous, souvent multiples et d’un diamètre inférieur à 5 cm, sont peu profonds et dispersés. On les repère surtout par les zones de pelouse qui s’affaissent ou jaunissent, signe que les racines ont été sectionnées. Comme l’explique Élodie Vasseur, maraîchère bio dans la Drôme, « j’ai perdu un tiers de mes salades l’année dernière à cause d’eux. Je ne voyais rien, jusqu’au jour où j’ai soulevé un morceau de gazon : un réseau de galeries fines, comme des fils de soie, courait sous mes pieds ».
Monticules en cône : la signature de la taupe
La taupe, elle, ne se cache pas. Son travail de terrassement est spectaculaire : de petits amas de terre en forme de volcan surgissent parfois du jour au lendemain. Ces monticules indiquent la présence de galeries principales, creusées à 20-30 cm de profondeur. La taupe ne mange pas les racines, contrairement à une idée reçue, mais chasse les vers et les insectes. Son passage peut fragiliser la pelouse, mais elle est aussi un régulateur naturel des populations de larves.
Plaques de gazon retournées : le travail de nuit des ratons laveurs
Un autre type de dégât, plus brutal, est celui des ratons laveurs. Ceux-ci ne creusent pas de galeries, mais soulèvent de larges portions de pelouse, comme s’ils retournaient un tapis. Leur but ? Trouver des larves de hannetons ou des vers. Le phénomène est fréquent en automne, quand la nourriture se fait rare. « J’ai cru à un vandalisme, au début », raconte Marc Tézier, jardinier à Bordeaux. « Puis j’ai installé une caméra. À 2 heures du matin, deux ratons laveurs s’activaient dans mon gazon. Ils étaient méthodiques, presque polis ».
Traces nocturnes et galeries peu profondes : et si c’était un tatou ?
Dans les régions plus chaudes, comme le sud de l’Europe ou certaines zones côtières, le tatou peut être en cause. Son activité nocturne, ses petites cavités circulaires et son comportement furtif en font un hôte difficile à identifier. Il creuse pour trouver des insectes, mais ne s’installe jamais longtemps au même endroit. Sa présence est souvent ponctuelle, liée à des conditions climatiques ou alimentaires spécifiques.
Quand les dégâts apparaissent-ils ? Le rythme révèle l’identité
Le moment de l’observation est un indice clé. Les taupes et les campagnols sont actifs toute la journée, mais leurs dégâts deviennent visibles après de fortes pluies, lorsque les galeries s’effondent. En revanche, les ratons laveurs, les mouffettes et les tatous sont strictement nocturnes. Si les trous apparaissent entre le coucher du soleil et l’aube, la piste animale se précise.
Les marmottes, elles, sont diurnes et particulièrement actives au printemps et en été. Leurs terriers sont souvent agrandis ou réaménagés à cette période. Quant aux écureuils, ils creusent surtout en automne, quand ils enterrent des noix et des graines pour l’hiver. Leurs trous sont ronds, petits, et souvent rebouchés aussitôt après usage.
Les empreintes, les déjections et les restes alimentaires complètent le tableau. Des crottes cylindriques sous un buisson ? Probablement un campagnol. Des griffures sur le bois d’une cabane ? Signe de raton laveur. Des plumes ou des plumes de dindon sauvage près d’un trou ? Une piste méconnue, mais réelle : ces oiseaux grattent le sol pour trouver des insectes ou des graines.
Comment agir sans nuire à l’équilibre du jardin ?
Une fois l’intrus identifié, la tentation est grande de réagir vite. Mais, comme le souligne Zoé Maréchal, consultante en écologie urbaine, « chaque intervention brutale peut déséquilibrer un écosystème fragile. Agir sans savoir, c’est risquer de nuire à des espèces utiles, voire protégées ».
Pour les taupes, par exemple, il existe des solutions douces : l’arrosage ciblé des zones infestées peut repousser les vers, réduisant l’intérêt du terrain. Des répulsifs à ultrasons, bien placés, peuvent aussi les inciter à changer de secteur. Mais combler les galeries sans traiter la cause est inutile : elles reviendront tant que la nourriture sera présente.
Pour les campagnols, des pièges à tunnel ou des filets de protection autour des massifs sensibles peuvent suffire. Certains jardiniers installent même des nichoirs pour les rapaces, encourageant la présence de hulottes ou de chouettes, prédateurs naturels des petits rongeurs.
Les ratons laveurs, souvent protégés par la loi, ne doivent pas être chassés. En revanche, sécuriser les poubelles, retirer les gamelles dehors la nuit et boucher les accès sous les cabanes peut suffire à les dissuader. « Depuis que j’ai mis une grille sous mon compost, je n’ai plus de visiteurs nocturnes », confie Thomas Rivelin.
Et si ce n’était pas l’animal que l’on croit ?
Attention aux faux suspects. Un terrier abandonné par une marmotte peut être réutilisé par un serpent, un renard ou même un blaireau. Ces animaux ne creusent pas eux-mêmes, mais s’installent dans des galeries existantes. Leur présence ne signifie pas qu’ils sont responsables des trous initiaux.
De même, les trous occasionnels peuvent être liés à des phénomènes naturels : le gel, le dégel, ou le travail des vers de terre peuvent créer des cavités superficielles. Il est donc essentiel de chercher des signes frais : terre meuble, traces de griffes, déjections récentes. Un trou ancien, envahi par les herbes, n’est peut-être qu’un vestige du passé.
Quand faire appel à un professionnel ?
Si les dégâts persistent, si les trous se multiplient ou si l’identification reste incertaine, consulter un spécialiste est la meilleure option. Un écologue ou un technicien en gestion de faune urbaine peut effectuer un diagnostic précis, parfois avec des caméras thermiques ou des pièges photographiques.
Comme le rappelle Zoé Maréchal, « ces professionnels ne cherchent pas à éliminer les animaux, mais à rétablir un équilibre. Leur intervention peut éviter des travaux coûteux, des traitements chimiques inutiles, et parfois même des conflits de voisinage ».
A retenir
Comment distinguer un trou de taupe d’un trou de campagnol ?
Un trou de taupe est accompagné d’un monticule conique de terre fraîche, souvent isolé, avec des galeries visibles sous la pelouse. Un trou de campagnol est petit, sans amas de terre, et fait partie d’un réseau de tunnels peu profonds, souvent dissimulé sous les herbes.
Les ratons laveurs creusent-ils des galeries ?
Non, les ratons laveurs ne creusent pas de galeries. Ils soulèvent de larges plaques de gazon pour accéder aux larves et aux insectes. Leur passage est brutal mais superficiel, et ils ne s’installent jamais dans le sol.
Peut-on vivre en harmonie avec les animaux fouisseurs ?
Oui, à condition de comprendre leurs besoins. Beaucoup de ces animaux jouent un rôle écologique utile : aération du sol, régulation des insectes, nourriture pour les prédateurs. L’objectif n’est pas de les éliminer, mais de limiter leurs intrusions dans les zones sensibles.
Quelles précautions prendre avant de combler un trou ?
Avant de combler, vérifiez qu’il n’est pas occupé. Un terrier actif peut abriter des jeunes ou des œufs. Combler un trou sans diagnostic risque aussi de voir l’animal creuser ailleurs, parfois sous une terrasse ou un mur. Mieux vaut identifier la cause, éliminer les attractants (nourriture, abris), puis reboucher avec du terreau tassé.
Les trous dans le jardin sont-ils toujours un problème ?
Non. Certains trous, isolés et peu profonds, peuvent être liés à des animaux bénéfiques, comme les abeilles solitaires ou les guêpes creuseuses. Ces insectes pollinisent et régulent les nuisibles. Il est important de ne pas généraliser : chaque trou mérite une observation attentive, pas une réaction immédiate.
En fin de compte, les trous dans le jardin ne sont pas seulement des dégâts à réparer. Ce sont des indices, des messages du vivant qui partage notre espace. Comme le dit Camille Lefebvre, après avoir appris à observer, « j’ai commencé à voir mon jardin autrement. Ce n’est plus un décor parfait, c’est un lieu vivant. Et parfois, les trous, c’est la preuve qu’il respire ».