À l’heure où le soleil du matin caresse les façades des immeubles de Saint-Étienne, Martine Lavigne entame sa journée comme elle l’a fait des milliers de fois : debout, les mains sur un chariot, les yeux rivés sur une liste de courses. Sa retraite, elle l’a attendue comme une promesse : celle d’un repos mérité après près de quarante ans passés à encaisser des produits, à sourire aux clients, à supporter la fatigue des journées interminables. Mais cette promesse, le système l’a rompue. Aujourd’hui, à 62 ans, elle vit avec 700 euros par mois, un montant qui peine à couvrir les besoins essentiels. Son récit, loin d’être isolé, résonne comme un cri d’alarme dans un secteur souvent invisible : celui des travailleurs du service, dont la vie entière a été consacrée à l’efficacité, mais dont la reconnaissance tarde cruellement.
Comment une carrière entière peut-elle mener à une retraite si modeste ?
Martine Lavigne a commencé à travailler comme caissière en 1985, dans un supermarché de quartier. À l’époque, elle rêvait d’un avenir stable. « C’était mon premier vrai boulot, et je voulais bien le faire », confie-t-elle, assise dans sa cuisine aux murs jaunis par le temps. Pendant près de quatre décennies, elle a enchaîné les postes, les horaires décalés, les périodes de fêtes où l’on oublie la famille pour servir les autres. Elle a vu ses collègues partir, revenir, changer de poste, mais elle est restée. Par fidélité, par habitude, mais aussi parce qu’elle croyait en une forme de justice sociale : plus on travaille, plus on est reconnu.
Quel était le quotidien de Martine en tant que caissière ?
Son emploi, bien que central dans le fonctionnement du magasin, était souvent perçu comme routinier. Pourtant, le métier exigeait une attention constante : gestion des files, erreurs de scan, clients pressés, tensions parfois. « On ne fait pas que scanner des barres. On gère des humeurs, des urgences, des personnes âgées qui ne comprennent pas les nouveaux systèmes de paiement », raconte-t-elle. Elle se souvient d’un Noël où elle avait dû rester jusqu’à 23 heures, les pieds en feu, pour que les derniers clients puissent acheter leurs cadeaux. « Je pensais que ce genre de dévouement laisserait une trace. Pas seulement dans les chiffres de vente, mais dans le système de retraite. »
Pourquoi la retraite de Martine a-t-elle été si décevante ?
Le jour où elle a reçu sa notification de retraite, Martine a cru à une erreur. 700 euros par mois. Elle a relu plusieurs fois. Puis elle a appelé son ancien employeur, puis la Caisse de retraite. « Ils m’ont expliqué que, malgré mes 39 ans de travail, mes cotisations étaient basées sur un salaire proche du SMIC. Et que même avec un nombre complet de trimestres, le calcul ne permettait pas plus. »
Comment le système de retraite français calcule-t-il les pensions ?
Le système français repose sur deux piliers principaux : le nombre de trimestres cotisés et la moyenne des meilleurs salaires sur une période donnée. Pour les travailleurs à bas salaires, ce dernier critère devient un goulet d’étranglement. Même avec une carrière complète, si les revenus n’ont jamais dépassé le SMIC, la pension finale reste très faible. « C’est comme si on te disait : tu as bien travaillé, mais ton travail ne valait pas assez cher pour être bien récompensé », commente Amélie Renard, économiste spécialisée dans les politiques sociales.
Le paradoxe de la carrière longue
Le paradoxe est criant : plus on travaille longtemps dans un emploi mal rémunéré, plus on accumule des trimestres, mais moins on bénéficie d’un salaire élevé pour le calcul de la pension. Ainsi, des métiers essentiels comme caissier, agent d’entretien ou aide à domicile, souvent occupés par des femmes, aboutissent à des retraites insuffisantes. « Ces emplois sont indispensables au fonctionnement de la société, mais ils sont invisibilisés dans les calculs de valeur », souligne Amélie Renard.
Combien de travailleurs sont concernés par cette situation ?
Martine n’est pas seule. Selon une étude de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), près de 20 % des retraités perçoivent une pension inférieure à 1 000 euros par mois. La majorité d’entre eux ont travaillé dans des secteurs à faible revenu, souvent à temps partiel ou en contrat précaire. Parmi eux, beaucoup ont occupé des postes en grande distribution, en nettoyage, ou en services à la personne.
Le témoignage de Karim Benali, ancien agent de sécurité
Karim Benali, 65 ans, a passé 37 ans à surveiller des immeubles de bureaux à Lyon. « Je faisais des nuits entières, par tous les temps. J’étais là quand il y avait des cambriolages, des pannes électriques, des malaises. » Sa retraite ? 820 euros. « J’ai demandé une aide au RSA, mais j’ai honte. J’ai travaillé toute ma vie. Je n’ai jamais rien demandé. » Son histoire illustre une réalité partagée : le travail pénible et régulier ne garantit pas une fin de vie digne.
Quelles réformes pourraient corriger cette injustice ?
Face à ce constat, plusieurs voix s’élèvent pour proposer des ajustements structurels. L’idée principale : instaurer un minimum de pension garanti pour les carrières longues, indépendamment du niveau de salaire. « Il faut reconnaître la durée d’activité comme un critère à part entière, surtout dans les métiers pénibles », insiste Amélie Renard.
Le concept de « pension de dignité »
Ce que certains appellent une « pension de dignité » consisterait à assurer à tout travailleur ayant cotisé au moins 40 ans un revenu minimum à la retraite, par exemple 1 200 euros mensuels. Ce seuil, bien que modeste, permettrait d’éviter la précarité. « Ce n’est pas une faveur, c’est une reconnaissance », affirme le député Julien Mercier, qui porte un amendement en ce sens. « Nous avons besoin de réparer une injustice historique. »
Les obstacles politiques et financiers
La mise en place d’un tel dispositif soulève des questions de financement. Où trouver les fonds ? Certains évoquent une réaffectation des crédits ou une taxation accrue des hauts revenus. D’autres, comme le syndicaliste Thomas Lefebvre, préconisent une réforme plus globale : « Il faut revaloriser les bas salaires dès le départ. Moins de gens toucheront des pensions insuffisantes si on leur paie correctement leur travail en amont. »
Comment anticiper sa retraite dans un système incertain ?
En attendant les réformes, certains choisissent de prendre leur avenir en main. Martine, par exemple, a commencé à travailler à mi-temps dans une épicerie de quartier. « Ce n’est pas la retraite, mais ça me permet de boucler les fins de mois. » Elle a aussi appris à utiliser un simulateur de retraite en ligne, un outil qu’elle recommande vivement.
Les simulateurs de retraite : utiles ou trompeurs ?
Les simulateurs, comme ceux proposés par l’Assurance retraite, permettent d’estimer le montant futur de la pension en fonction des cotisations. Mais ils reposent sur des hypothèses parfois irréalistes. « Ils ne prennent pas en compte les carrières fragmentées, les périodes de chômage, ou les emplois précaires », prévient Élodie Marchand, conseillère en orientation professionnelle. Elle recommande de croiser les résultats avec un entretien personnalisé auprès d’un conseiller.
Les solutions individuelles : travail, épargne, formation
D’autres, comme Sophie Tran, ancienne vendeuse en prêt-à-porter, ont opté pour l’épargne retraite. « J’ai ouvert un PER il y a dix ans. Ce n’est pas énorme, mais ça me donne un peu de marge. » D’autres encore suivent des formations pour devenir accompagnateurs de personnes âgées ou animateurs en centres sociaux, prolongeant ainsi leur activité dans un cadre plus humain. « Je ne veux pas m’arrêter de bouger, mais je veux faire quelque chose qui a du sens », dit-elle.
Quel avenir pour les travailleurs du service ?
L’histoire de Martine Lavigne n’est pas seulement une histoire de chiffres. C’est une histoire de respect, de reconnaissance, de justice. Elle révèle les failles d’un système qui valorise la productivité mais oublie la dignité du travail. Alors que la France s’interroge sur l’avenir de sa retraite, les voix comme la sienne doivent être entendues.
Un changement culturel à opérer
Il ne s’agit pas seulement de réformer les calculs, mais de changer la perception de certains métiers. « Un caissier, un agent de propreté, un aide-soignant, ce ne sont pas des emplois de remplacement. Ce sont des piliers de notre société », affirme Amélie Renard. Reconnaître cela, c’est aussi accepter que la valeur d’un travail ne se mesure pas uniquement à son salaire.
L’espoir malgré tout
Martine, malgré tout, garde espoir. Elle participe à des groupes de retraités militants, échange avec d’autres dans sa situation. « On n’est pas invisibles. On a travaillé. On a donné. On mérite mieux. » Elle rêve d’un jour où les jeunes entrant dans la vie active pourront envisager leur retraite sans angoisse. « Ce n’est pas trop demander, non ? »
A retenir
Comment expliquer une pension si basse après une carrière complète ?
Le montant de la retraite dépend du salaire moyen des meilleures années et du nombre de trimestres cotisés. Pour les travailleurs à bas salaire, même une carrière longue ne permet pas d’accumuler des cotisations suffisantes pour une pension décente.
Le système de retraite français favorise-t-il les hauts salaires ?
Le système n’est pas conçu pour favoriser délibérément les hauts salaires, mais il en résulte un biais structurel : plus le salaire est élevé, plus la pension le sera. Les bas salaires, même sur des durées longues, sont pénalisés dans le calcul final.
Existe-t-il des solutions pour améliorer sa retraite à posteriori ?
Il est difficile d’agir après la liquidation de la retraite, mais des démarches peuvent être faites : vérifier l’intégralité des trimestres, demander une revalorisation pour carrière longue, ou cumuler emploi et retraite à temps partiel. L’épargne retraite (PER, etc.) reste la meilleure solution anticipée.
Les femmes sont-elles plus touchées par les faibles pensions ?
Oui. Les femmes sont surreprésentées dans les emplois à temps partiel, les interruptions de carrière pour élever des enfants, et les métiers mal rémunérés. Ces facteurs réduisent significativement le montant de leur future pension.
Une réforme du minimum de pension est-elle envisageable ?
Plusieurs propositions sont à l’étude, notamment un minimum garanti pour les carrières longues. Bien que le débat soit politiquement sensible, la pression sociale et les témoignages de retraités comme Martine pourraient accélérer les prises de décision.