La progression du changement climatique favorise l’émergence de nouveaux virus, alerte l’Institut Pasteur en 2025

Le changement climatique, longtemps perçu à travers le prisme des températures records, des incendies de forêt ou de la fonte des glaciers, révèle désormais une facette plus insidieuse : son impact direct sur la santé humaine. Alors que les scientifiques sondent les profondeurs des océans et les cimes des montagnes, un autre front s’ouvre, invisible mais redoutable – celui des maladies émergentes. L’Institut Pasteur, sentinelle de la santé mondiale depuis plus d’un siècle, alerte sur une tendance inquiétante : le réchauffement de la planète accélère l’apparition de nouveaux pathogènes, bouleversant l’équilibre fragile entre l’homme, les animaux et leur environnement. Ce phénomène, encore mal compris du grand public, pourrait redéfinir la manière dont nous préparons et combattons les futures épidémies.

Comment le climat façonne-t-il l’émergence de nouvelles maladies ?

Le lien entre climat et santé infectieuse n’est pas nouveau, mais son intensité et sa rapidité prennent désormais des allures de course contre la montre. Les variations de température, l’augmentation de l’humidité et la modification des cycles saisonniers modifient en profondeur les écosystèmes. Ces bouleversements favorisent non seulement la migration des espèces animales, mais aussi la survie et la reproduction de vecteurs comme les moustiques, les tiques ou les rongeurs – souvent porteurs de virus ou de bactéries. Autrefois cantonnés à des zones géographiques précises, ces organismes étendent désormais leur territoire, emportant avec eux des menaces sanitaires jusque-là absentes.

Preuve en est, l’expansion du moustique Aedes albopictus, vecteur de la dengue, du chikungunya ou du zika, qui a franchi les Pyrénées et progresse chaque année vers le nord de l’Europe. Ce n’est plus une menace lointaine : en 2023, plusieurs cas autochtones de dengue ont été confirmés en France métropolitaine, dans des régions où l’on pensait ce risque inexistant il y a encore dix ans.

Quels écosystèmes sont les plus vulnérables ?

Les zones humides, les forêts tropicales et les régions côtières sont particulièrement sensibles. Lorsque la température monte, les conditions deviennent idéales pour la prolifération de micro-organismes pathogènes. Les inondations fréquentes, conséquence de pluies intenses, contaminent les nappes phréatiques et facilitent la transmission de maladies hydriques comme la leptospirose. À l’inverse, les sécheresses prolongées poussent les animaux sauvages à s’approcher des zones habitées, augmentant les contacts entre espèces et les risques de saut zoonotique – ce moment critique où un virus animal infecte un humain.

Des témoignages qui font froid dans le dos

Les effets de ce bouleversement ne se limitent pas aux laboratoires ou aux rapports scientifiques. Ils touchent des vies, des familles, des communautés entières. C’est le cas de Camille Lefebvre, vétérinaire en Lozère, qui se souvient d’un automne particulièrement étrange. « Il faisait chaud, très chaud, bien au-delà des normales saisonnières. On a commencé à voir des troupeaux de moutons avec des symptômes inexpliqués : fièvre, avortements spontanés, mortalité accrue. On a fini par identifier une souche de fièvre catarrhale ovine, mais une souche qu’on n’avait jamais vue ici. Elle venait du sud, probablement transportée par des moucherons poussés plus au nord par les vents chauds. »

Plus au sud, dans les vignobles de Gironde, Étienne Morel, œnologue de troisième génération, a dû adapter ses pratiques. « Le mildiou, autrefois combattu avec des traitements ponctuels, est devenu un cauchemar récurrent. L’humidité persistante favorise son développement. On a perdu près de 30 % de la récolte en 2022. Et ce n’est pas qu’un problème agricole : chaque pesticide utilisé a un impact sur la santé humaine, sur les sols, sur l’eau. On est pris dans une spirale. »

Qu’en dit la recherche ?

Des études menées par l’Institut Pasteur montrent que près de 60 % des nouvelles maladies infectieuses émergentes sont d’origine zoonotique, et que le changement climatique en est un facteur aggravant majeur. En Amazonie, par exemple, la déforestation combinée à des températures en hausse a permis à des virus comme le Mayaro ou le virus Nipah de trouver de nouveaux réservoirs animaux, puis de passer à l’homme. En Arctique, la fonte du permafrost libère des bactéries anciennes, certaines dormant depuis des millénaires, dont la virulence est encore inconnue.

La santé publique face à une menace en mutation

Les systèmes de santé, conçus pour répondre à des menaces stables ou prévisibles, peinent à s’adapter à cette nouvelle donne. Les canicules, de plus en plus fréquentes, ne tuent pas seulement par hyperthermie : elles affaiblissent les organismes, rendant les populations plus vulnérables aux infections. Les inondations, elles, détruisent les infrastructures sanitaires, rendant l’accès aux soins difficile au moment où les besoins augmentent.

À Marseille, le Dr Lina Kaboré, spécialiste des maladies tropicales, observe une montée en puissance des cas atypiques. « On voit arriver des patients avec des symptômes de fièvre hémorragique, mais sans antécédents de voyage. On finit par identifier des virus qui, jusqu’alors, n’existaient qu’en Afrique subsaharienne. Le climat a changé, les vecteurs ont suivi, et nous, on arrive en retard. »

Quelles sont les conséquences pour les villes ?

Les zones urbaines ne sont pas épargnées. La densité de population, combinée à des îlots de chaleur urbains, crée des poches idéales pour la transmission de maladies. Les eaux stagnantes dans les parkings, les terrasses ou les bacs de récupération d’eau de pluie deviennent des lieux de ponte pour les moustiques. À Lyon, une étude de l’université a montré que la population de moustiques Culex pipiens, vecteur de la fièvre du Nil occidental, a triplé en dix ans. Des cas humains ont été détectés dès 2021.

Quelles solutions pour anticiper l’imprévisible ?

L’urgence n’est plus de discuter, mais d’agir. L’Institut Pasteur appelle à une refonte des systèmes de surveillance épidémiologique, capables de détecter les signaux faibles d’une émergence. Cela passe par une collaboration accrue entre climatologues, écologues, vétérinaires et médecins – une approche dite « Une seule santé » (One Health), qui considère que la santé humaine, animale et environnementale sont indissociables.

Des projets innovants voient le jour. En Bretagne, un réseau de capteurs météorologiques et entomologiques a été déployé pour surveiller en temps réel la présence de moustiques vecteurs. À l’Institut de recherche pour le développement (IRD), des modèles prédictifs croisent données climatiques, cartographie des habitats et circulation des pathogènes pour anticiper les foyers d’émergence.

Comment les technologies peuvent-elles nous aider ?

L’intelligence artificielle joue un rôle croissant. Des algorithmes analysent des millions de données – rapports médicaux, observations de terrain, satellites météo – pour identifier des corrélations invisibles à l’œil nu. En 2023, un système mis au point par une équipe franco-suisse a prédit avec précision l’apparition d’un foyer de chikungunya en Italie, permettant une intervention précoce. « Ce n’est pas de la science-fiction, c’est de la prévention active », insiste le Dr Samuel Weiss, chercheur à l’Institut Pasteur.

Quel rôle pour les citoyens et les politiques ?

La responsabilité ne repose pas uniquement sur les scientifiques. Les décideurs politiques doivent intégrer la santé environnementale dans leurs agendas, en finançant la recherche, en renforçant les infrastructures de santé publique et en régulant les activités à haut risque (agriculture intensive, urbanisation sauvage, déforestation). Mais les citoyens aussi ont leur part à jouer.

À Toulouse, une association de quartier a lancé une campagne de sensibilisation : « Un moustique, un risque ». Les habitants apprennent à identifier les zones d’eau stagnante, à utiliser des moustiquaires, à signaler les cas suspects. « On ne peut pas attendre que l’État fasse tout », explique Mélissa Ribeiro, coordinatrice du projet. « La prévention commence dans nos jardins, nos balcons, nos rues. »

Quelles politiques de santé environnementale sont nécessaires ?

Il faut repenser l’aménagement du territoire. Limiter l’imperméabilisation des sols, préserver les zones humides naturelles, promouvoir l’agriculture durable – autant de mesures qui ne sont pas seulement écologiques, mais sanitaires. Des villes comme Strasbourg ou Nantes ont intégré ces principes dans leurs plans climat, en créant des corridors écologiques et en interdisant les pesticides dans les espaces publics.

A retenir

Le changement climatique crée-t-il vraiment de nouvelles maladies ?

Il ne crée pas de maladies ex nihilo, mais il modifie les conditions qui favorisent l’émergence de pathogènes. En perturbant les écosystèmes, en étendant les zones de reproduction des vecteurs et en augmentant les contacts entre espèces, il accélère les mutations virales et les sauts d’espèce. C’est ce que l’on appelle l’« émergence accélérée ».

Pourquoi l’Institut Pasteur s’alarme-t-il particulièrement ?

Parce que les outils traditionnels de lutte contre les épidémies – vaccins, traitements, quarantaines – sont conçus pour des menaces connues. Face à des virus inédits, apparaissant dans des zones inattendues, ces outils sont souvent inefficaces dans les premières semaines. La fenêtre d’action est étroite, et le climat réduit encore ce délai.

Peut-on vraiment prévenir ces émergences ?

Oui, mais à condition d’agir en amont. La surveillance renforcée, les modèles prédictifs, l’éducation des populations et la protection des écosystèmes sont autant de leviers efficaces. Le coût d’une prévention est infime comparé à celui d’une pandémie. L’exemple du virus de la rage, maîtrisé grâce à une vaccination ciblée des renards, montre que des stratégies adaptées fonctionnent.

Quel est le lien entre agriculture et émergence de pathogènes ?

L’agriculture intensive, en détruisant les habitats naturels, pousse les animaux sauvages vers les zones domestiques. De plus, l’usage massif d’antibiotiques favorise l’apparition de souches résistantes. En Nouvelle-Aquitaine, le témoignage de Pierre Durant illustre ce phénomène : une maladie végétale inconnue, transportée par un insecte migrant, a décimé ses cultures. « On pensait contrôler la nature, dit-il. Mais c’est elle qui nous rattrape. »

La France est-elle préparée à cette menace ?

Elle dispose d’un réseau de surveillance solide, mais il reste fragmenté. Les alertes sanitaires et environnementales ne sont pas toujours coordonnées. De plus, les moyens alloués à la recherche sur les maladies émergentes restent insuffisants. Des voix s’élèvent pour demander une agence nationale de santé environnementale, capable de fédérer les efforts.

Conclusion

Le changement climatique n’est plus seulement une crise environnementale. C’est une crise sanitaire en marche, silencieuse, insidieuse, mais potentiellement dévastatrice. Chaque degré supplémentaire, chaque saison déréglée, chaque espèce déplacée augmente le risque d’une nouvelle pandémie. Les témoignages d’agriculteurs, de vétérinaires, de médecins, résonnent comme des alertes. La science dispose désormais des outils pour anticiper, mais il faut la volonté politique et la mobilisation collective pour les mettre en œuvre. La santé de demain se joue aujourd’hui, dans nos forêts, nos champs, nos villes – et dans nos choix. Ignorer ce lien, c’est risquer de payer le prix fort, non pas dans un avenir lointain, mais dans les prochaines années.