Dans un contexte énergétique tendu, marqué par les fluctuations des marchés internationaux et la volonté de souveraineté stratégique, une découverte ancienne refait surface dans les Landes. Un gisement de pétrole brut, longtemps oublié, réapparaît comme une opportunité inédite pour la France. Bien qu’il ait été identifié dès les années 1980, il avait alors été écarté faute de rentabilité. Aujourd’hui, grâce à des technologies plus fines et des méthodes d’extraction optimisées, il pourrait couvrir près d’un quart de la consommation nationale de pétrole. Pourtant, malgré ce potentiel considérable, six mois après sa redécouverte, aucune opération n’a commencé. Des freins environnementaux, des lourdeurs administratives et des tensions locales paralysent le projet. Entre espoirs économiques et craintes écologiques, ce gisement devient le théâtre d’un débat national sur l’équilibre entre développement et préservation.
Quel est le potentiel réel de ce gisement landais ?
Une ressource stratégique redécouverte
Le gisement, localisé à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Mont-de-Marsan, s’étend sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés sous une couche géologique complexe. À l’époque de sa première identification, les technologies d’extraction ne permettaient pas d’envisager une exploitation rentable. Les coûts auraient dépassé les bénéfices, et les forages exploratoires avaient été abandonnés. Mais les progrès des techniques de forage horizontal et de fracturation contrôlée, combinés à des outils de modélisation sismique de pointe, ont changé la donne.
Les études menées en 2023 par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) estiment que le site pourrait produire jusqu’à 12 millions de barils par an, soit environ 22 % de la consommation annuelle de pétrole en France. Un chiffre qui, selon Étienne Rouvier, géologue et ancien conseiller au ministère de la Transition écologique, « pourrait réduire de manière significative notre dépendance aux importations, notamment en période de crise géopolitique ».
La France importe encore aujourd’hui plus de 90 % de son pétrole, principalement du Moyen-Orient, de Russie et d’Afrique. Un tel gisement, exploité durablement, pourrait donc offrir une marge de manœuvre stratégique non négligeable. « Ce n’est pas une solution miracle, mais c’est une sécurité supplémentaire », précise Rouvier. « Et surtout, cela pourrait renforcer notre indépendance énergétique dans un contexte d’instabilité mondiale. »
Pourquoi ce gisement reste-t-il inexploité ?
Un environnement fragile en jeu
Les Landes, avec leurs forêts de pins immenses, leurs zones humides protégées et leurs réserves naturelles, constituent un écosystème particulièrement sensible. Le massif forestier, l’un des plus grands d’Europe, abrite des espèces rares comme la couleuvre d’Esculape ou le héron pourpré. La nappe phréatique, essentielle à l’agriculture locale, traverse la région sur des dizaines de kilomètres.
« On parle ici d’un territoire vivant, pas d’un terrain vague », souligne Camille Fournier, biologiste spécialisée en écologie des écosystèmes forestiers. « Tout forage, même profond, peut avoir des effets en cascade : contamination des sols, perturbation des nappes, fragmentation des habitats. »
Plusieurs associations, dont Nature et Territoires, ont lancé des pétitions et des campagnes de sensibilisation. « Nous ne sommes pas contre le progrès, mais contre une exploitation aveugle », explique la coordinatrice de l’association, Léa Chambon. « Un accident, même mineur, pourrait avoir des conséquences irréversibles sur la faune, la flore et les populations locales. »
Une réglementation contraignante
En France, l’exploitation des hydrocarbures est strictement encadrée. Depuis la loi de 2017 interdisant toute nouvelle exploration d’hydrocarbures fossiles, seules les exploitations déjà autorisées peuvent se poursuivre. Ce gisement, bien qu’il ait été exploré dans les années 80, ne bénéficiait pas d’un permis d’exploitation validé. Il doit donc repasser par toutes les étapes de la procédure actuelle.
Les entreprises intéressées, dont une filiale du groupe TotalEnergies et un consortium franco-allemand, ont déposé leurs demandes de permis d’exploration complémentaire. Mais celles-ci sont bloquées depuis des mois entre l’Inspection générale des carrières, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), et le ministère de la Transition écologique. Chaque administration exige des études d’impact environnemental, des consultations publiques, des évaluations sanitaires.
« Le processus est long, mais nécessaire », reconnaît Marc Lenoir, ancien directeur des affaires réglementaires dans une compagnie pétrolière. « En France, on ne peut pas se permettre de sauter des étapes. Mais cette rigueur, bien qu’admirable, peut parfois paralyser des projets viables. »
Quels sont les impacts économiques attendus ?
Un espoir pour l’économie locale
Pour beaucoup d’habitants, ce gisement représente une chance de relance. Les Landes, bien que dynamiques dans l’agriculture et le tourisme, souffrent d’un certain isolement économique. L’exploitation du pétrole pourrait créer des centaines d’emplois directs : techniciens, ingénieurs, transporteurs, personnel de maintenance. Des emplois qualifiés, souvent bien rémunérés, qui pourraient attirer une jeunesse formée mais contrainte de partir vers les grandes villes.
Thibault Berthier, maire du village de Saint-Léon, voit dans ce projet une opportunité de revitalisation. « On a des atouts : des terres, des infrastructures routières, une population travailleuse. Si on peut créer des emplois ici, sans détruire notre cadre de vie, pourquoi dire non ? »
Des entreprises locales, comme l’entreprise de matériel agricole dirigée par Clara Ménard, anticipent déjà des retombées. « Si les forages commencent, on aura besoin de services : entretien, logistique, hébergement. Ce serait une bouffée d’oxygène pour les petites structures comme la mienne. »
Une communauté partagée
Pourtant, l’enthousiasme n’est pas général. À quelques kilomètres de là, Sophie Delmas, éleveuse de brebis laitières, voit les choses autrement. « Mon troupeau, mes puits, mes champs, c’est tout ce que j’ai. Et si l’eau est contaminée, si les sols deviennent impropres à l’élevage, qu’est-ce qu’il me restera ? »
Sa ferme, située à 15 kilomètres du site supposé de forage, produit du fromage AOP Ossau-Iraty. « Le cahier des charges est très strict. Une seule analyse d’eau anormale, et je perds mon label. » Pour elle, le risque est trop élevé. « Je comprends l’importance du projet pour la France, mais pas au prix de notre santé et de notre terre. »
Cette division traverse la région. Certains y voient une renaissance économique, d’autres une menace invisible mais réelle. Entre les agriculteurs, les élus, les écologistes et les industriels, le dialogue est tendu mais nécessaire.
Comment concilier énergie, environnement et développement local ?
Vers une exploitation responsable ?
Face à ces tensions, des experts proposent une voie médiane : une exploitation encadrée, utilisant des technologies propres et intégrant des compensations écologiques. L’idée serait de forer en profondeur, sans toucher aux nappes phréatiques, en utilisant des fluides de forage biodégradables, et en s’engageant à restaurer les sites après exploitation.
Des simulations d’impact environnemental sont en cours, menées par un consortium indépendant d’ingénieurs et de scientifiques. Les premiers résultats, attendus dans les prochains mois, devraient préciser les risques réels et les mesures de mitigation possibles.
« On ne peut pas se contenter de promesses », insiste Camille Fournier. « Il faut des garanties scientifiques, des audits indépendants, et surtout une transparence totale. »
Un dialogue en cours
Des réunions de concertation ont été organisées depuis le début de l’année entre les entreprises, les collectivités locales, les associations et les riverains. Un comité de suivi, composé de citoyens tirés au sort, a été mis en place pour suivre l’évolution du projet.
« Ce qu’on veut, c’est être entendus, pas manipulés », affirme Sophie Delmas, qui participe aux réunions. « On ne demande pas l’arrêt du projet, mais des garanties. Et si exploitation il y a, qu’elle profite à la région, pas seulement aux actionnaires. »
Des pistes sont explorées : création d’un fonds local pour le développement durable, formation des jeunes aux métiers de l’énergie, compensation financière pour les agriculteurs exposés à des risques. « L’enjeu n’est pas seulement technique ou économique, il est aussi éthique », résume Thibault Berthier. « On doit répondre à la question : à quel prix ? »
Quelle signification pour la France et l’Europe ?
Un cas d’école pour la transition énergétique
Ce gisement landais incarne un paradoxe contemporain : comment assurer sa sécurité énergétique tout en respectant les objectifs climatiques ? La France s’est engagée à réduire drastiquement sa consommation d’énergies fossiles d’ici 2050. Pourtant, la transition prend du temps, et les besoins restent élevés.
« On ne peut pas sortir du pétrole du jour au lendemain », rappelle Étienne Rouvier. « Tant qu’on n’a pas de solutions alternatives à grande échelle, il faut gérer intelligemment les ressources dont on dispose. »
Ce projet pourrait devenir un modèle : une exploitation à faible impact, associant innovation, régulation stricte et participation citoyenne. « Si on arrive à le faire ici, dans un territoire aussi sensible, on pourra l’exporter ailleurs », estime Marc Lenoir.
En Europe, d’autres pays font face à des dilemmes similaires. L’Italie exploite des champs offshore en Méditerranée, l’Allemagne a récemment réexaminé ses réserves de pétrole en Bavière. Le cas des Landes pourrait inspirer une nouvelle approche : ni refus catégorique, ni développement sauvage, mais une voie du juste milieu.
A retenir
Le gisement des Landes peut-il vraiment couvrir un quart des besoins français ?
Oui, selon les estimations du BRGM, il pourrait produire jusqu’à 22 % de la consommation annuelle de pétrole en France. Ce chiffre dépend toutefois de la durée d’exploitation, de la rentabilité des forages et de l’évolution de la demande énergétique.
Pourquoi l’exploitation n’a-t-elle pas encore commencé ?
Le projet est bloqué par un ensemble de freins : absence de permis d’exploitation validé, exigences réglementaires strictes, études d’impact environnemental en cours, et opposition partielle des populations locales.
Quels sont les risques pour l’environnement ?
Les principaux risques concernent la contamination des nappes phréatiques, la pollution des sols, et la perturbation des écosystèmes forestiers et humides. Des mesures techniques et de surveillance sont envisagées pour minimiser ces dangers.
Qui pourrait bénéficier économiquement de ce projet ?
Les retombées pourraient profiter aux entreprises pétrolières, aux collectivités locales, aux PME régionales et aux travailleurs qualifiés. Un fonds de compensation et des projets de développement durable sont également à l’étude pour équilibrer les bénéfices.
Est-ce que ce projet va à l’encontre de la transition écologique ?
C’est un débat central. Certains y voient une étape transitoire nécessaire, d’autres une régression. L’enjeu est de déterminer si cette exploitation peut se faire dans un cadre strictement contrôlé, sans compromettre les objectifs climatiques à long terme.