Dans une région reculée de Bretagne, là où les collines verdoyantes succèdent aux champs de blé et aux fermes familiales, un secret ancien vient d’être mis au jour. Sous les pieds des habitants d’un petit village niché entre Morbihan et Côtes-d’Armor, une richesse insoupçonnée dort depuis des millénaires : un gisement de thorium estimé à 85 millions d’euros. Cette découverte, fortuite, a fait l’effet d’une onde de choc dans une communauté habituée à vivre du rythme lent de l’agriculture et de la pêche. Mais loin de célébrer une manne providentielle, les villageois se retrouvent pris au piège d’un paradoxe : un trésor inaccessible, scellé par une décision administrative qui les condamne à l’attente jusqu’en 2067.
Qu’est-ce que le thorium et pourquoi cette découverte est-elle si significative ?
Le thorium est un élément chimique, un métal radioactif naturellement présent dans certaines roches. Moins médiatisé que l’uranium, il suscite pourtant un intérêt croissant dans les cercles scientifiques comme alternative à l’énergie nucléaire classique. Contrairement à l’uranium, il ne peut pas alimenter directement une réaction en chaîne, mais il peut être transformé en uranium-233, un combustible fissile, dans des réacteurs spécifiques. Ce processus présente des avantages majeurs : moins de déchets radioactifs à longue durée de vie, une sécurité accrue face aux risques de fusion du cœur, et une quasi-impossibilité d’être détourné à des fins militaires.
La découverte du gisement breton a été faite par l’équipe du géologue Lucien Bréhier, mandatée pour une étude de cartographie du sous-sol dans le cadre d’un projet de réhabilitation agricole. « Nous analysions la composition du sol pour évaluer la fertilité des terres », raconte-t-il. « En creusant à 120 mètres, les capteurs ont détecté une concentration anormale de thorium-232. On a cru à une erreur. Trois mois de vérifications plus tard, les résultats étaient formels : nous étions face à un gisement d’une ampleur rare en Europe. »
Pourquoi le thorium intéresse-t-il autant les énergéticiens ?
Le thorium est souvent présenté comme l’avenir de l’énergie nucléaire propre. Des pays comme l’Inde ou la Chine investissent massivement dans la recherche sur les réacteurs à thorium. En France, pourtant pionnière du nucléaire, le sujet reste en retrait, freiné par des choix historiques en faveur de l’uranium et des infrastructures existantes. Mais avec la pression croissante sur la transition énergétique, la question se pose : pourquoi laisser dormir une ressource capable de réduire notre dépendance aux énergies fossiles ?
Quelles sont les conséquences économiques pour la commune ?
Le village de Kerlaz, où se situe le gisement, compte moins de 1 200 habitants. Depuis des décennies, la jeunesse s’exile vers les grandes villes, les commerces ferment les uns après les autres, et les perspectives d’avenir semblent se rétrécir. La découverte du thorium a réveillé un espoir longtemps éteint.
Un potentiel de développement local énorme
Les estimations montrent qu’une exploitation à petite échelle pourrait créer entre 150 et 200 emplois directs : techniciens, ingénieurs, personnel de sécurité, transporteurs. Sans compter les retombées indirectes — restauration, logement, services — qui pourraient revitaliser l’économie locale. Le maire de Kerlaz, Yvon Le Goff, a tenté de mobiliser les pouvoirs publics : « Ce n’est pas une mine d’or qu’on nous promet, c’est une chance de redonner vie à un territoire oublié. On parle de développement durable, mais quand une opportunité comme celle-ci se présente, on la met sous cloche pendant quarante ans ? »
Le témoignage de Maëlle, enseignante au collège du village
Maëlle Le Floc’h, professeure de sciences physiques, voit dans cette situation une injustice pour les jeunes générations. « Mes élèves me demandent souvent ce qu’ils peuvent faire ici après le bac. Je leur parle d’avenir, mais en réalité, il n’y en a pas. Et maintenant, on apprend qu’on a sous nos pieds une technologie qui pourrait faire de Kerlaz un pôle d’innovation énergétique. Et on nous dit : attendez 2067. Mais qui sera encore là ? »
Pourquoi une telle interdiction d’exploitation jusqu’en 2067 ?
Le ministère de la Transition écologique a justifié son moratoire par « la nécessité d’évaluer rigoureusement les impacts environnementaux à long terme ». Une réponse technique, mais qui laisse perplexe. Car si le thorium est moins polluant que l’uranium, son extraction soulève tout de même des risques : contamination des nappes phréatiques, perturbation des écosystèmes locaux, gestion des déchets miniers.
Un blocage politique ou une précaution légitime ?
Plusieurs experts s’interrogent sur la pertinence d’un blocage aussi long. « Quarante ans, c’est énorme », souligne Camille Vasseur, chercheuse en énergie au CNRS. « Il y a des procédures d’urgence en matière d’études d’impact. Si la volonté politique était là, on pourrait avoir des résultats en cinq ans maximum. Cette date de 2067 sent plus l’immobilisme que la précaution. »
D’autres, comme le député régional Arnaud Kerloc’h, défendent la prudence : « Nous ne pouvons pas sacrifier la santé de nos citoyens sur l’autel du développement économique. Le thorium n’est pas encore maîtrisé à grande échelle. Mieux vaut prendre le temps que regretter demain. »
Quels sont les impacts environnementaux réels du thorium ?
Le débat scientifique autour du thorium est loin d’être tranché. D’un côté, ses partisans insistent sur son faible risque de prolifération nucléaire et sa durée de demi-vie plus courte. De l’autre, les écologistes rappellent que toute extraction minière a un coût écologique, surtout dans une région comme la Bretagne, riche en biodiversité et en zones humides.
Des chercheurs au travail
Depuis 2023, une équipe pluridisciplinaire de l’université de Rennes, en collaboration avec l’INRAE et le CEA, étudie les spécificités du gisement. Leur objectif : modéliser l’impact d’un forage pilote, évaluer les risques de lixiviation, et proposer un cahier des charges pour une exploitation responsable. « On ne parle pas d’ouvrir une mine à ciel ouvert », précise la coordinatrice du projet, Élodie Mercier. « On explore des méthodes d’extraction in situ, moins invasives, qui pourraient limiter les perturbations du sol. »
Le point de vue de Gwenaël, responsable d’une association de protection de la nature
Gwenaël Kervella, fondateur de l’association « Terre et Mer », milite pour un moratoire prolongé. « Je comprends l’espoir économique, mais on ne peut pas tout sacrifier à la croissance. La Bretagne a déjà subi des dégâts environnementaux énormes avec l’agriculture intensive. Ce gisement, c’est une nouvelle frontière. Il faut qu’elle soit franchie avec des garde-fous, pas avec des promesses de richesse. »
Quelles perspectives pour l’avenir du gisement ?
Malgré le blocage administratif, l’affaire du thorium breton continue de faire parler. Des collectifs citoyens se forment, des pétitions circulent, et des élus locaux multiplient les demandes de réunions avec Paris. La pression monte, portée par un sentiment d’injustice partagé : pourquoi une ressource nationale serait-elle gelée alors que la France importe encore une partie de son énergie ?
Un scénario possible : l’exploitation pilote
Plusieurs experts proposent un compromis : autoriser un projet pilote d’extraction à très petite échelle, sous surveillance stricte. Ce serait l’occasion de tester les technologies, d’évaluer les impacts, et de former une main-d’œuvre locale. « Ce n’est pas un “oui” à l’exploitation, c’est un “testons pour décider” », résume Lucien Bréhier. « On ne peut pas gouverner par la peur. On doit gouverner par l’expérimentation. »
Et si le thorium devenait un levier de souveraineté énergétique ?
À l’heure où la France cherche à réduire ses émissions de CO₂ et à diversifier ses sources d’énergie, le thorium pourrait jouer un rôle clé. En combinant développement local, innovation technologique et respect de l’environnement, ce gisement breton pourrait devenir un modèle. Mais cela suppose une volonté politique forte, une concertation transparente, et une confiance retrouvée entre les citoyens et les institutions.
La patience est-elle la seule option ?
Pour les habitants de Kerlaz, quarante ans, c’est une génération perdue. C’est le temps que mettront les enfants d’aujourd’hui à devenir des adultes sans perspectives. C’est le temps que mettra le village à vieillir un peu plus, à perdre ses derniers commerces, à voir ses rues se vider.
Le récit de Jean-Michel, agriculteur et père de deux enfants
« J’ai passé ma vie à entretenir cette terre, à la soigner, à la respecter », confie Jean-Michel Le Bihan, 54 ans, éleveur de vaches laitières. « Quand j’ai appris pour le thorium, j’ai pensé : enfin, on va pouvoir rebâtir quelque chose ici. Mes fils pourraient rester, travailler, fonder une famille. Mais maintenant, on nous dit d’attendre. Attendre quoi ? Que la décision vienne de Paris, dans quarante ans, quand je serai mort et mes fils partis ? »
Sa ferme, comme beaucoup d’autres, est en difficulté. Les subventions sont insuffisantes, les prix du lait trop bas. « Si on avait un projet autour du thorium, même modeste, on pourrait créer un fonds local pour aider les agriculteurs. On pourrait mutualiser. Mais là, on reste les bras croisés. »
A retenir
Quel est le potentiel économique du gisement de thorium en Bretagne ?
Le gisement découvert sous la commune de Kerlaz est estimé à 85 millions d’euros de ressources exploitables. Son développement pourrait créer plusieurs centaines d’emplois directs et indirects, revitaliser une zone rurale en déclin, et positionner la France comme pionnière dans l’utilisation du thorium comme énergie nucléaire alternative.
Pourquoi l’exploitation est-elle bloquée jusqu’en 2067 ?
Le gouvernement a imposé un moratoire en raison de préoccupations environnementales et de la nécessité d’études d’impact approfondies. Toutefois, cette durée de quarante ans est critiquée par de nombreux experts et habitants, qui la jugent excessive et contraire à l’urgence énergétique et économique.
Le thorium est-il une énergie propre ?
Le thorium présente des avantages significatifs par rapport à l’uranium : moins de déchets radioactifs à long terme, une sécurité accrue des réacteurs, et une faible possibilité d’usage militaire. Toutefois, son extraction et son traitement nécessitent des technologies encore en développement et des garanties environnementales strictes.
Quelles alternatives s’offrent à la commune ?
La communauté locale milite pour un projet pilote d’extraction encadré, permettant de tester les impacts réels tout en lançant un développement économique local. D’autres envisagent la création d’un centre de recherche sur les énergies alternatives, attirant des scientifiques et des investissements sans forcément exploiter immédiatement le gisement.
Que signifie cette affaire pour l’avenir de l’énergie en France ?
Le cas breton illustre un dilemme national : comment concilier transition énergétique, souveraineté industrielle et protection de l’environnement ? Il pose aussi la question du rôle des territoires dans les décisions stratégiques. Une ressource nationale ne devrait-elle pas être gérée avec la voix des populations concernées ?
Le thorium de Kerlaz n’est pas qu’un métal rare. C’est un symbole. Celui d’un territoire qui rêve de renaître, d’un pays à la croisée des chemins, et d’un avenir qu’on ne peut plus repousser indéfiniment. La question n’est plus seulement scientifique ou économique. Elle est humaine.