Dans un contexte national marqué par la hausse des coûts énergétiques et la pression croissante pour une transition écologique, un petit village des Landes incarne une alternative audacieuse, ancrée dans le réel et portée par ses habitants. Escource, niché au cœur de la Haute Lande, ne se contente pas de subir les mutations du monde énergétique : il les façonne. Avec à peine 800 âmes, cette commune a mis en place un système local d’électricité verte qui allie sobriété, solidarité et innovation. Ce n’est pas seulement une réussite technique ou économique — c’est une transformation sociale, portée par des citoyens engagés, des entrepreneurs motivés et des élus visionnaires. Ce modèle, à la fois simple et ambitieux, mérite d’être exploré dans ses fondements, ses effets concrets et ses répercussions humaines.
Comment un village de 800 habitants a-t-il réussi à diviser par deux ses coûts d’électricité ?
La réponse réside dans une stratégie à la fois pragmatique et collective. Escource a choisi de ne pas attendre les décisions nationales ou les subventions incertaines. Dès 2022, la municipalité, sous l’impulsion du maire Étienne Laroche, a lancé un projet pilote d’énergie solaire sur les toits des bâtiments publics. L’idée était claire : produire localement, consommer localement, et redistribuer les bénéfices aux habitants.
Le résultat est frappant : un tarif moyen de 0,10 € le kilowattheure, contre environ 0,20 € en moyenne nationale. Une différence qui se traduit par des économies tangibles. Pour Camille Veyret, qui tient le bar-tabac-épicerie du village depuis dix ans, cette baisse représente près de 1000 euros d’économie annuelle. “Avant, la facture d’électricité était un poids, surtout en été avec la climatisation. Aujourd’hui, je respire. Et je sais que chaque watt consommé vient de chez nous, du toit de la mairie ou de l’école. C’est rassurant”, confie-t-elle, tout en servant un café à un habitué.
Ce modèle n’a pas été mis en place du jour au lendemain. Il repose sur une coopérative citoyenne, « Énergie Citoyenne Haute Lande », créée en 2021. Elle rassemble aujourd’hui 200 membres — des particuliers, des artisans, des agriculteurs — qui ont investi collectivement dans des panneaux solaires installés sur des bâtiments publics et privés. Chaque membre reçoit une part de l’énergie produite, proportionnellement à son engagement. Le principe est simple : plus on produit localement, plus on consomme moins cher.
Pourquoi ce système a-t-il d’abord concerné les entreprises ?
La stratégie de déploiement a été pensée comme une boucle vertueuse. En 2023, le dispositif a été ouvert en priorité aux entreprises du village. L’objectif ? Stimuler l’économie locale en réduisant l’un des postes de dépense les plus lourds : l’énergie.
“On voulait créer un effet d’entraînement”, explique Étienne Laroche. “En aidant les entreprises à réduire leurs coûts, on leur permettait de mieux rémunérer leurs salariés, d’investir, ou de baisser leurs prix. Et ça a marché.”
L’exemple de la menuiserie artisanale de Romain Delage est parlant. Installé à Escource depuis 2018, il a vu sa facture d’électricité chuter de 60 % après son adhésion à la coopérative. “Mon atelier fonctionne à plein régime toute l’année. L’énergie, c’est 15 % de mes charges. Cette économie, je l’ai réinvestie dans du matériel plus performant, mais aussi dans l’embauche d’un apprenti. C’est une forme de développement durable, mais aussi humain.”
Le succès auprès des entreprises a rassuré les habitants. Beaucoup hésitaient au départ, craignant un système trop complexe ou réservé aux plus aisés. Mais la transparence de la coopérative, les réunions publiques régulières et les retours concrets ont convaincu. Depuis janvier 2025, tout résident peut adhérer, sans condition de revenu ni de surface habitée.
Quel est le rôle des toitures solaires dans cette réussite ?
La clé du modèle d’Escource réside dans sa capacité à produire de l’énergie là où elle est consommée. Aujourd’hui, 1300 m² de panneaux solaires couvrent les toits de l’école, de la mairie, de la salle des fêtes et du gymnase. Ces installations, financées à 70 % par des subventions régionales et à 30 % par les fonds de la coopérative, produisent annuellement près de 250 000 kWh.
En parallèle, la collaboration avec l’intercommunalité de Cœur Haute Lande a permis d’étendre le réseau à 32 toitures supplémentaires, situées sur des bâtiments publics des communes voisines. “Nous ne voulions pas rester isolés”, précise Étienne Laroche. “En mutualisant les infrastructures, on crée une véritable filière solaire locale, qui bénéficie à plusieurs villages.”
Cette production locale permet à la municipalité de couvrir environ 40 % de sa consommation énergétique. Le surplus est injecté dans le réseau Enedis, mais avec une particularité : il est prioritairement attribué aux membres de la coopérative. “Ce n’est pas de l’autoconsommation totale, mais d’un circuit court intelligent”, souligne Léa Bonnard, ingénieure en transition énergétique et conseillère technique du projet. “L’énergie circule localement, même si elle passe par le réseau national. Chaque kWh produit est tracé, chaque bénéfice est réparti équitablement.”
Et l’éclairage public, comment est-il devenu 100 % autonome ?
Un autre volet du projet a marqué les esprits : la transformation complète de l’éclairage public. En 2024, Escource a installé 340 lampadaires équipés de panneaux solaires individuels et de batteries de stockage. Résultat : plus aucune facture d’électricité pour l’éclairage du village.
“Avant, on payait près de 12 000 euros par an pour éclairer les rues”, se souvient Sophie Ménard, adjointe à l’environnement. “Aujourd’hui, c’est zéro. Et la qualité de l’éclairage est meilleure : les lampes s’ajustent selon la luminosité ambiante et la présence de piétons.”
Pour les habitants, ce changement a aussi un impact symbolique. “C’est la preuve que le village avance”, observe Marc Tissier, retraité et ancien instituteur. “On ne parle plus d’économies d’énergie en théorie. On la voit, chaque soir, en marchant dans la rue. Et on en profite sans rien payer.”
Comment les citoyens s’approprient-ils ce projet ?
Le succès d’Escource ne se mesure pas seulement en kilowattheures ou en euros économisés. Il se lit aussi dans l’engagement des habitants. La coopérative organise des ateliers mensuels sur les économies d’énergie, les gestes simples du quotidien, ou encore le fonctionnement des compteurs intelligents.
“Au début, je pensais que c’était juste une histoire de panneaux sur les toits”, raconte Aïcha Benali, arrivée au village il y a deux ans. “Mais en participant aux réunions, j’ai compris que c’était aussi une question de lien social. On décide ensemble, on partage les bénéfices, on apprend les uns des autres.”
Chaque membre reçoit un bilan annuel personnalisé : quantité d’énergie consommée, origine de la production, impact carbone évité. Un outil pédagogique puissant. “C’est comme un relevé bancaire, mais pour l’environnement”, sourit Romain Delage. “Et quand tu vois que tu as évité 2,5 tonnes de CO2 en un an, ça donne envie de faire encore plus.”
Quels sont les effets collatéraux de cette transition ?
Le projet a dépassé les attentes initiales. Au-delà des économies, il a renforcé la résilience du village. En cas de coupure nationale ou de crise énergétique, Escource dispose d’une marge de manœuvre grâce à ses batteries de stockage et à sa production décentralisée.
Il a aussi attiré de nouveaux habitants. “On a vu arriver trois jeunes familles l’an dernier, attirées par ce modèle”, note Étienne Laroche. “Des gens qui veulent vivre autrement, en lien avec leur territoire.”
Le tourisme local en profite également. Des visites guidées sont désormais organisées chaque mois, accueillant des délégations de communes voisines, des étudiants en écologie, ou des journalistes. “On ne se prend pas pour un modèle”, tempère Camille Veyret. “Mais si ce qu’on fait ici peut inspirer ailleurs, tant mieux.”
Peut-on généraliser ce modèle à d’autres territoires ?
La réponse est oui — à condition d’adapter le modèle. Escource bénéficie d’un fort ensoleillement, d’un tissu social soudé et d’un leadership municipal engagé. Mais les principes peuvent être transposés : production locale, coopération citoyenne, circuit court énergétique.
“Ce n’est pas une question de taille, mais de volonté”, affirme Léa Bonnard. “Même dans des villes plus grandes, on peut créer des micro-réseaux solaires, des coopératives de quartier, des partenariats avec les collectivités.”
Des expériences similaires émergent déjà en Bretagne, en Auvergne ou en Alsace. Mais Escource reste une référence, non seulement pour ses résultats, mais pour son approche humaine. “On n’a pas attendu les grands plans nationaux”, résume Étienne Laroche. “On a fait ce qu’on pouvait, avec ce qu’on avait. Et ça a marché.”
A retenir
Quel est le tarif de l’électricité à Escource ?
Le prix moyen de l’électricité pour les membres de la coopérative « Énergie Citoyenne Haute Lande » est d’environ 0,10 € le kilowattheure, soit près de la moitié du tarif national. Ce tarif avantageux est rendu possible grâce à la production locale d’énergie solaire et à la mutualisation des coûts au sein de la coopérative.
Qui peut bénéficier de cette électricité verte et bon marché ?
Depuis janvier 2025, tous les habitants d’Escource peuvent rejoindre la coopérative et bénéficier des tarifs préférentiels. Le dispositif, initialement réservé aux entreprises, s’est ouvert progressivement à l’ensemble de la population, sans condition de revenu ni de type de logement.
Comment l’éclairage public fonctionne-t-il ?
L’éclairage public d’Escource est entièrement autonome grâce à 340 lampadaires équipés de panneaux solaires et de batteries de stockage. Cette solution a permis d’éliminer complètement la facture d’électricité liée à l’éclairage tout en améliorant la qualité et l’efficacité du service.
Quel est l’impact environnemental du projet ?
Le modèle d’Escource permet de réduire significativement l’empreinte carbone de la commune. En produisant localement une énergie verte et en limitant les pertes liées au transport, le village évite des milliers de tonnes de CO2 chaque année. Les habitants reçoivent un bilan annuel de leur impact carbone évité, renforçant l’engagement individuel.
Le projet est-il reproductible ailleurs ?
Oui, le modèle d’Escource est reproductible, à condition d’adapter les solutions aux spécificités locales : ensoleillement, densité de population, structure des bâtiments. La clé du succès réside dans la mobilisation citoyenne, le partenariat avec les collectivités et une gouvernance transparente de la coopérative énergétique.