Alors qu’elles promettent une mobilité plus propre, silencieuse et technologiquement avancée, les voitures électriques s’imposent comme l’avenir des déplacements urbains. Pourtant, derrière cette révolution verte se cache un phénomène inattendu : une forme de malaise qui touche de plus en plus de passagers. Leur confort, justement, serait-il trop parfait pour être supportable ?
Pourquoi certaines voitures électriques provoquent-elles des nausées ?
Prenez le cas de Phil Bellamy, ingénieur en télécommunications et père de deux filles, Léa et Chloé. Depuis qu’il a remplacé sa vieille berline thermique par une voiture électrique, ses trajets domicile-école se sont transformés en véritable parcours du combattant. « Au départ, c’était juste Léa qui se plaignait, raconte-t-il. Elle disait avoir mal au cœur après cinq minutes. Puis Chloé a commencé à vomir. Maintenant, elles prennent un comprimé avant chaque trajet. Pour dix minutes de route. »
Phil ne conduit pas de manière brutale. Pas de virages à couper le souffle, pas de freinages intempestifs. Pourtant, ses filles souffrent. Le coupable ? La douceur même de la voiture électrique. Son silence absolu, son absence de vibrations, son accélération linéaire. Ce qui devait être un progrès devient un piège sensoriel pour certaines personnes.
L’explication réside dans un décalage entre les informations que reçoit le cerveau. L’oreille interne, chargée de l’équilibre, détecte les mouvements du véhicule. Mais l’œil, surtout à l’arrière, ne perçoit pas les accélérations ou les changements de direction avec la même intensité. Dans une voiture thermique, les vibrations du moteur, le ronronnement du moteur, les changements de régime fournissent des indices sensoriels constants. En voiture électrique, tout cela disparaît. Le cerveau, privé de ces signaux, entre en confusion. C’est ce qu’on appelle la désynchronisation sensorielle — la racine du mal des transports.
Le rôle du silence dans le malaise
Le silence, souvent vanté comme l’un des atouts majeurs des véhicules électriques, devient ici un facteur aggravant. « On croit que le silence, c’est le luxe, explique le Dr Agnès Rivel, neurologue spécialisée dans les troubles de l’équilibre. Mais pour le système vestibulaire, c’est une perte de repères. Le corps a besoin de sons, de vibrations, de feedbacks. Sans cela, il doute de ce qu’il vit. »
Ce phénomène est particulièrement marqué chez les enfants. Leurs systèmes sensoriels sont encore en développement, et leur cerveau est plus sensible aux contradictions entre ce que voient les yeux et ce que perçoit l’oreille interne. Léa Bellamy, 12 ans, confirme : « J’ai l’impression de flotter. Comme si on avançait sans bouger. Et quand je regarde mon téléphone, ça empire. »
Les accélérations et le freinage régénératif : des alliés ou des ennemis ?
Si le silence est un facteur, les performances des voitures électriques en amplifient les effets. L’accélération instantanée, typique des moteurs électriques, surprend le corps. « Il n’y a pas de montée en puissance progressive, souligne Thomas Lenoir, ingénieur en dynamique des véhicules. On passe de 0 à 50 km/h en un clin d’œil. Le corps est projeté en arrière, mais l’absence de bruit rend le mouvement irréel. »
Le freinage régénératif, qui récupère l’énergie au ralenti, ajoute une autre couche de complexité. Plutôt que de freiner brusquement, la voiture ralentit progressivement dès qu’on lâche l’accélérateur. Pour un conducteur, c’est pratique. Pour un passager, c’est un piège. « C’est comme si la voiture décélérait sans raison, dit Chloé Bellamy, 10 ans. On ne voit rien venir. Et on a l’impression que le sol bouge sous nous. »
Quand la technologie dérègle le corps
Le paradoxe est frappant : une technologie conçue pour améliorer le confort génère parfois du malaise. Et ce malaise pourrait s’accentuer avec l’essor des voitures autonomes. « Dans un véhicule autonome, personne ne regarde la route, personne n’anticipe les mouvements, prévient le Dr Rivel. Le passager est passif, isolé de tout contrôle. C’est le scénario idéal pour le mal des transports. »
Des études menées par des laboratoires suisses et japonais montrent que jusqu’à 30 % des passagers en voiture électrique déclarent des symptômes de nausée modérée à sévère sur des trajets de moins de 30 minutes. Ce chiffre grimpe à 45 % chez les enfants et les adolescents.
Comment les constructeurs tentent de corriger le tir
Face à ce défi inattendu, les constructeurs automobiles ne restent pas inactifs. Plusieurs grands groupes, dont BMW, Tesla et Renault, ont lancé des programmes de recherche pour adapter leurs véhicules aux limites biologiques des passagers.
Renault, par exemple, teste des sièges équipés de micro-vibrations programmées pour simuler les pulsations d’un moteur thermique. « On ne veut pas revenir en arrière, mais on veut offrir des repères », explique Camille Vasseur, responsable de l’expérience utilisateur chez Renault. « Ces vibrations ne sont pas perceptibles comme un bruit, mais elles activent le système proprioceptif, celui qui sent les mouvements du corps. »
Tesla, quant à lui, explore des sons artificiels diffusés dans l’habitacle. Ces sons, calibrés à des fréquences spécifiques (entre 80 et 150 Hz), sont conçus pour stimuler l’oreille interne sans gêner l’auditeur. « On parle de son de fond, presque subliminal, précise un ingénieur acoustique du groupe, sous couvert d’anonymat. Ce n’est pas de la musique, c’est un signal biologique. »
Peut-on simuler l’imperfection pour retrouver le confort ?
L’ironie est palpable : pour rendre une voiture plus supportable, on doit y ajouter du bruit, des vibrations, des éléments que l’innovation avait justement pour but d’éliminer. « C’est un retour aux fondamentaux de l’ergonomie humaine », résume Thomas Lenoir. « On ne conçoit pas une machine pour elle-même, mais pour ceux qui l’utilisent. »
Certains prototypes intègrent même des systèmes de ventilation intelligente, qui modulent le flux d’air en fonction de la vitesse, pour créer une sensation de mouvement. D’autres expérimentent des éclairages dynamiques qui suivent le rythme du trajet, offrant des repères visuels en plus des repères auditifs et tactiles.
Quelles solutions pour les passagers sensibles ?
En attendant que ces innovations soient disponibles en série, des solutions simples et accessibles peuvent aider à atténuer les symptômes.
Où s’asseoir pour éviter les nausées ?
La position dans le véhicule joue un rôle crucial. Les places à l’avant, surtout à côté du conducteur, sont nettement préférables. « Le passager avant voit la route, anticipe les virages, ressent les mouvements », explique le Dr Rivel. « Il est en phase avec le trajet, pas en décalage. »
Phil Bellamy a d’ailleurs adopté cette stratégie : « Désormais, une des filles est à l’avant. Même si elles se disputent pour savoir qui passe devant, c’est plus efficace que les comprimés. »
Regarder la route, pas l’écran
Le conseil est simple, mais souvent ignoré : ne pas utiliser son téléphone ou sa tablette pendant le trajet. « Lire ou regarder une vidéo déconnecte complètement le regard du mouvement du véhicule », souligne Agnès Rivel. « C’est le meilleur moyen de provoquer une crise de nausée. »
Les parents témoignent : « On a dû interdire les écrans en voiture, avoue Sophie Marceau, mère de trois enfants. Au début, ils râlaient. Maintenant, ils regardent par la fenêtre, discutent, jouent à des jeux de mots. Et personne ne vomit plus. »
Aérer et respirer
Un habitacle trop confiné, surtout en été, peut aggraver les symptômes. Une légère aération, même par temps frais, permet de renouveler l’air et de stimuler les sens. « L’odeur de l’extérieur, le vent sur le visage, ce sont des indices sensoriels », rappelle Thomas Lenoir.
Les solutions de secours : comprimés, bracelets, placebo ?
Les comprimés anti-nauséeux, comme le diméhylsulfate de triméthylsulfonium (plus connu sous le nom de dimenhydrinate), restent une option efficace, surtout pour les trajets un peu longs. Mais leur usage régulier inquiète certains médecins.
« On ne peut pas médicaliser un trajet de dix minutes », estime le Dr Rivel. C’est pourquoi des alternatives non médicamenteuses sont explorées. Les bracelets d’acupression, qui exercent une pression sur le point P6 du poignet, sont de plus en plus populaires. Leur efficacité scientifique reste discutée, mais le pouvoir du placebo est réel.
« J’ai acheté des bracelets pour mes filles, raconte Phil. Ils coûtent 15 euros, ils ont un petit logo de dauphin. Depuis qu’elles les portent, elles disent qu’elles ne se sentent plus mal. Est-ce le bracelet ou leur croyance ? Je ne sais pas. Mais ça marche. »
L’avenir de la mobilité doit-il être moins silencieux ?
Le défi posé par les voitures électriques n’est pas seulement technique. Il est humain. Il interroge notre rapport à la technologie : comment concevoir des innovations qui respectent nos fragilités biologiques ?
« On a longtemps pensé que le progrès, c’était l’effacement du bruit, des vibrations, des imperfections », analyse Camille Vasseur. « Mais on découvre que ces imperfections, justement, nous aidaient à exister dans l’espace. »
Le malaise en voiture électrique n’est pas un bug. C’est un signal. Celui que le corps humain n’est pas une machine, et que la technologie, aussi avancée soit-elle, doit apprendre à danser avec nos sens, pas les ignorer.
A retenir
Pourquoi les voitures électriques rendent certaines personnes malades ?
Le silence et l’absence de vibrations des voitures électriques perturbent le système vestibulaire. L’oreille interne perçoit le mouvement, mais les yeux et les autres sens, privés de stimuli sonores et tactiles, ne reçoivent pas les mêmes informations. Cette désynchronisation provoque des nausées, surtout chez les enfants et les passagers à l’arrière.
Les accélérations brusques des voitures électriques aggravent-elles le malaise ?
Oui. L’accélération instantanée, typique des moteurs électriques, surprend le corps sans avertissement sonore. Associée au freinage régénératif, qui ralentit sans freinage visible, elle crée une sensation d’irréalité qui accentue le mal des transports.
Les constructeurs proposent-ils des solutions ?
Oui. Certains testent des sièges vibrants, des sons artificiels calibrés pour stimuler l’oreille interne, ou des éclairages dynamiques. L’objectif est de recréer des repères sensoriels manquants, sans renoncer au confort et à l’efficacité des véhicules électriques.
Quels gestes simples peuvent aider à éviter les nausées ?
Privilégier la place avant, éviter les écrans, aérer l’habitacle et regarder au loin sur la route sont des mesures simples mais efficaces. En cas de besoin, les comprimés anti-nauséeux ou les bracelets d’acupression peuvent être utilisés, même si leur efficacité repose parfois autant sur le placebo que sur la science.
Le mal des transports en voiture électrique est-il voué à s’aggraver ?
Il pourrait s’intensifier avec l’essor des voitures autonomes, où tous les passagers seront passifs. Cela pousse l’industrie à repenser le design des véhicules, non seulement en termes de performance, mais aussi en termes d’expérience sensorielle humaine.