Ce salarié est le plus exploité par son patron selon une étude 2025

La loyauté, longtemps considérée comme une vertu cardinale en entreprise, fait aujourd’hui l’objet d’un regard nouveau, parfois inquiétant. Dans un monde professionnel où la performance prime, les comportements bien intentionnés peuvent être détournés, voire exploités. Une étude publiée dans le Journal of Experimental Social Psychology, menée auprès de 1 400 managers aux États-Unis, révèle un paradoxe troublant : les employés les plus fidèles, les plus impliqués, sont aussi ceux qui subissent le plus de tâches ingrates, souvent invisibles et non rémunérées. Ce constat, appuyé par des données françaises sur la reconnaissance au travail et les exigences émotionnelles, invite à repenser notre rapport à l’engagement professionnel. À quel prix servons-nous notre entreprise ? Et quand la loyauté cesse-t-elle d’être une force pour devenir une faille exploitable ?

Les fidèles sont-ils les premiers sacrifiés ?

Pourquoi les managers privilégient-ils les employés loyaux pour les tâches ingrates ?

Les résultats de l’étude sont clairs : face à une charge de travail imprévue, chronophage ou déconnectée du poste initial, les managers ont tendance à se tourner systématiquement vers les employés perçus comme loyaux. Ceux-là mêmes qui arrivent tôt, restent tard, et répondent toujours « oui » à une demande supplémentaire. Pourquoi ce choix ? Parce qu’il est rationnel du point de vue du manager : un salarié dévoué est considéré comme fiable, disponible, et peu enclin à refuser. Il devient, par défaut, la solution la plus simple.

Élodie Rivet, consultante en management et psychologue du travail, observe ce phénomène au quotidien. « Il y a une forme de logique perverse dans les équipes. Le manager sait qu’il peut compter sur certains collaborateurs, alors il en abuse. Et plus il les sollicite, plus il les perçoit comme disponibles. C’est un cercle vicieux qui commence par une bonne intention et finit par une exploitation silencieuse. »

Prenez l’exemple de Clément Lefort, ingénieur qualité dans une usine en région lyonnaise. Depuis cinq ans, il est régulièrement sollicité pour former de nouveaux arrivants, rédiger des rapports hors de son périmètre, ou gérer des audits non prévus. « Au début, j’étais fier qu’on me fasse confiance. Puis, j’ai réalisé que ces missions s’accumulaient, sans que mon salaire ou mon temps de travail en tienne compte. » Aujourd’hui, Clément se sent piégé : s’il refuse, il risque d’être perçu comme moins engagé ; s’il accepte, il s’épuise.

Comment la loyauté devient une arme contre soi-même

Le syndrome du « bon petit soldat » : une réputation qui coûte cher

Le problème ne réside pas dans l’acte de rendre service, mais dans la manière dont il est perçu et intégré dans la dynamique de l’équipe. Plus un employé accepte de missions supplémentaires, plus il est catalogué comme « celui sur qui on peut compter ». Ce label, bien que valorisant en apparence, devient une prison invisible. Il enferme le salarié dans un rôle d’exécutant, au détriment de son développement professionnel et de son bien-être.

« On appelle ça la “surcharge morale” », explique Élodie Rivet. « Le salarié loyal se sent moralement obligé de répondre présent, même quand il est épuisé. Il pense que son silence et son travail suffiront à être reconnu un jour. Mais ce n’est pas toujours le cas. »

Ce phénomène est d’autant plus marqué en France, où la culture du travail valorise souvent le sacrifice silencieux. Selon l’enquête Conditions de travail de la Dares (2023), 38 % des salariés déclarent être exposés à des exigences émotionnelles intenses, et près d’un tiers se sent peu ou pas reconnu. Ces chiffres reflètent une réalité : l’engagement ne se traduit pas nécessairement en reconnaissance.

Quand la loyauté nuit à la carrière

Ironie du sort : les salariés les plus loyaux ne sont pas toujours ceux qui évoluent le plus vite. En acceptant des tâches ingrates, ils s’éloignent souvent de leurs objectifs professionnels. Ils deviennent indispensables, mais invisibles. Leur expertise est diluée dans des missions transversales, et leur temps, consommé par des activités non valorisées.

Camille Thibault, chef de projet dans une entreprise de logistique, a vécu cette situation. « J’ai passé deux ans à organiser les événements internes, à gérer les plannings des vacances, à remplacer des collègues absents. Tout cela parce que j’étais “disponible”. Résultat ? Lorsqu’une promotion s’est ouverte, mon manager m’a dit : “Tu es trop utile là où tu es.” » Camille a fini par quitter l’entreprise. « J’ai compris que ma loyauté avait été utilisée comme un frein à mon évolution. »

Comment sortir du piège de la loyauté exploitée ?

Apprendre à dire non : une compétence managériale à part entière

La première étape pour sortir de ce cercle vicieux est de reprendre le contrôle de son temps. Dire non n’est pas une trahison, mais un acte de respect envers soi-même. Pourtant, beaucoup de salariés hésitent, par peur de décevoir ou de nuire à leur image.

Élodie Rivet conseille une approche progressive : « Commencez par négocier. Par exemple, si on vous demande de remplir un rapport urgent, dites : “Je peux le faire, mais cela repoussera la livraison de mon propre projet. Souhaitez-vous que je priorise cette tâche ?” Cela force le manager à prendre une décision consciente, et non à vous imposer une charge supplémentaire par défaut. »

Clément Lefort a adopté cette stratégie. « J’ai appris à poser des questions. Maintenant, quand on me demande une mission supplémentaire, je demande : “Cela rentre-t-il dans mon périmètre ? Y a-t-il une contrepartie ?” C’est simple, mais cela change tout. »

Demander une reconnaissance formelle : transformer la loyauté en levier

La loyauté ne doit pas être une monnaie d’échange silencieuse. Toute mission supplémentaire, surtout si elle sort du cadre du poste, doit être accompagnée d’une reconnaissance claire : une prime, une formation, un temps de récupération, ou une mention dans l’entretien annuel.

« Il faut documenter son travail », insiste Élodie Rivet. « Gardez une trace de toutes les tâches effectuées en dehors de votre fiche de poste. Cela vous donne des arguments concrets lors des discussions salariales ou de carrière. »

Camille Thibault a mis en place un carnet de bord numérique. « J’y note chaque mission hors périmètre, avec la date, la durée estimée, et l’impact. Lors de mon entretien, j’ai pu montrer que j’avais passé l’équivalent de trois mois à faire du travail non rémunéré. Cela a changé la donne. »

Protéger sa santé mentale : un impératif, pas un luxe

Le prix de la loyauté mal récompensée peut être élevé. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la dépression touche 280 millions de personnes dans le monde et est la première cause d’incapacité. En entreprise, les exigences émotionnelles, la surcharge de travail et le manque de reconnaissance sont des facteurs de risque majeurs.

« La loyauté ne doit jamais se payer au prix de sa santé », affirme Élodie Rivet. « Si vous vous sentez épuisé, si vous dormez mal, si vous n’avez plus de plaisir à travailler, c’est un signal d’alerte. »

Clément Lefort a dû consulter un psychologue après une période de burn-out. « J’ai mis du temps à comprendre que mon engagement n’était pas une vertu, mais une forme de soumission. Aujourd’hui, je fixe mes limites. Et je me sens plus respecté. »

La loyauté a-t-elle encore sa place en entreprise ?

Une loyauté équilibrée, pas sacrificielle

Il ne s’agit pas de rejeter la loyauté, mais de la repenser. Une loyauté saine n’est pas aveugle : elle s’accompagne de réciprocité, de reconnaissance, et de respect. Elle ne doit pas être unilatérale, au service exclusif de l’employeur.

« Les entreprises ont besoin de collaborateurs engagés, mais elles doivent aussi apprendre à les valoriser », souligne Élodie Rivet. « Sinon, elles risquent de brûler leurs meilleurs talents. »

Camille Thibault, aujourd’hui cadre dans une autre entreprise, a changé sa posture. « Je suis toujours engagée, mais je refuse de faire du travail invisible. Je négocie mes missions, je demande des retours, et je protège mon temps. Et étrangement, on me respecte davantage. »

Un changement culturel à opérer

Le problème dépasse l’individu. Il est structurel. Tant que les managers seront évalués sur leurs résultats immédiats, sans être tenus responsables des conditions dans lesquelles ils les obtiennent, les salariés loyaux resteront des ressources exploitables.

Des entreprises commencent à bouger. Certaines intègrent des indicateurs de bien-être dans les objectifs managériaux. D’autres mettent en place des audits de charge de travail ou des comités de reconnaissance. Mais ces initiatives restent minoritaires.

« Le vrai défi, c’est de faire évoluer la culture du travail », conclut Élodie Rivet. « Il faut cesser de valoriser le silence et le sacrifice, et récompenser la transparence, la négociation, et l’équilibre. »

A retenir

La loyauté est-elle toujours une qualité en entreprise ?

Oui, mais à condition qu’elle soit réciproque. Une loyauté unilatérale, non reconnue, devient une forme d’exploitation. Elle doit s’accompagner de contreparties claires et de respect mutuel.

Pourquoi les managers confient-ils les tâches ingrates aux plus dévoués ?

Parce qu’ils perçoivent ces employés comme fiables, disponibles et peu enclins à refuser. Cette logique, bien que pratique à court terme, crée un déséquilibre durable et fragilise la santé des collaborateurs.

Comment éviter d’être surchargé à cause de sa loyauté ?

En apprenant à poser des limites, en négociant les missions supplémentaires, en demandant une reconnaissance formelle, et en documentant son travail. Il est essentiel de transformer la loyauté en levier de carrière, pas en fardeau invisible.

La loyauté peut-elle mener au burn-out ?

Oui, lorsque le salarié accepte en permanence des charges supplémentaires sans soutien ni reconnaissance. Le sentiment d’obligation morale, couplé à l’absence de limites, augmente fortement le risque d’épuisement professionnel.

Que faire si on se sent exploité malgré sa loyauté ?

Commencer par en parler, que ce soit à son manager, à une ressource humaine, ou à un tiers extérieur comme un psychologue. Documenter les missions hors périmètre, demander une revalorisation ou une évolution, et envisager un changement d’environnement si la situation ne s’améliore pas.