Chaque année, des milliers de Français font le choix de s’installer à l’étranger, attirés par de nouvelles opportunités professionnelles, un cadre de vie plus serein ou une volonté de renouveler leur rapport au quotidien. Pourtant, ce grand saut comporte son lot de défis : administration complexe, isolement, adaptation culturelle, et surtout, la question centrale de l’impôt. Où paie-t-on ses impôts lorsqu’on quitte la France ? La réponse n’est pas aussi simple qu’il y paraît, et les conséquences fiscales peuvent s’avérer lourdes en cas de mauvaise anticipation. À travers les expériences croisées de plusieurs expatriés, ce guide décrypte les règles du jeu fiscal à l’international, les pièges à éviter, et les démarches concrètes à accomplir pour quitter la France en toute légalité et sérénité.
Où paie-t-on l’impôt sur le revenu en cas d’expatriation ?
La règle fondamentale du droit fiscal français repose sur le principe de la résidence fiscale. Ce n’est pas le lieu de naissance ou la nationalité qui détermine où l’on est imposé, mais bien le pays dans lequel on est considéré comme résident. En France, une personne est fiscalement domiciliée si elle y a son foyer ou son lieu de travail principal. Dès lors qu’un Français quitte le territoire pour s’installer durablement à l’étranger, la question se pose : reste-t-il imposable en France ou devient-il redevable dans son nouveau pays de résidence ?
Le cas de Camille Lefèvre, ingénieure informatique partie s’installer à Barcelone en 2021, illustre bien cette transition. « J’ai cru que quitter la France signifiait ne plus rien devoir au fisc français », raconte-t-elle. « Mais mon comptable m’a expliqué que je resterais imposable en France sur mes revenus mondiaux jusqu’à ce que je prouve ma nouvelle résidence fiscale à l’étranger. » En effet, la France impose les résidents sur l’ensemble de leurs revenus, y compris ceux générés hors de ses frontières. L’important est donc de bien établir le moment de la perte de la résidence fiscale française.
Quand perd-on la résidence fiscale en France ?
La perte de la résidence fiscale n’est pas automatique dès le départ du territoire. Elle suppose que trois critères soient réunis : quitter le territoire français, transférer son foyer familial à l’étranger, et exercer une activité professionnelle hors de France. Ce n’est que lorsque ces conditions sont remplies que l’on peut considérer que l’on n’est plus fiscalement domicilié en France.
Le cas de Thomas Berthier, enseignant expatrié à Montréal, montre combien la date exacte de ce changement est cruciale. « J’ai quitté Paris en août, mais j’ai continué à louer mon appartement pendant six mois pour y laisser mes affaires. Mon logement était vide, mais toujours enregistré à mon nom. » Cette situation a conduit l’administration française à contester sa perte de résidence fiscale. « J’ai dû fournir des preuves : un contrat de location au Québec, une inscription à la sécurité sociale canadienne, des factures d’électricité à mon nom là-bas. » Ce n’est qu’après plusieurs mois de démarches que son statut a été reconnu.
Quelles sont les démarches à accomplir auprès du fisc français ?
Avant de quitter la France, il est essentiel de déclarer son départ au centre des finances publiques dont on dépend. Cette déclaration, bien que non obligatoire, permet d’entamer la procédure de radiation du rôle des imposés. Elle s’accompagne souvent de l’envoi du formulaire 2062, dédié aux personnes quittant le territoire. Ce document permet de signaler son changement de situation et de faciliter le traitement de la dernière déclaration française.
Élodie Moreau, partie s’installer à Lisbonne après une carrière dans la communication, souligne l’importance de ce geste. « J’ai envoyé le formulaire deux mois avant mon départ, avec une copie de mon contrat de travail au Portugal et de mon bail local. Cela m’a permis d’avoir un interlocuteur attitré au fisc. » Elle a ainsi pu régler sa dernière déclaration d’impôt sur les revenus de l’année précédente, tout en clarifiant son nouveau statut.
Est-on imposé en France sur ses revenus passés après l’expatriation ?
Oui, et c’est un point souvent méconnu. Même après avoir quitté la France, les expatriés restent redevables de l’impôt sur le revenu pour les revenus perçus pendant l’année de leur départ. Par exemple, si l’on quitte la France en juin, tous les revenus perçus entre janvier et juin seront déclarés en France. De même, la plus-value réalisée sur la vente d’un bien immobilier en France reste imposable en France, même après l’expatriation.
Le cas de Raphaël Cohen, ancien propriétaire d’un appartement à Lyon, en est une illustration. « J’ai vendu mon bien six mois après mon installation à Berlin. Je pensais être hors du coup, mais non : la plus-value a été calculée et imposée en France. » Il a dû déclarer la transaction via un formulaire spécifique (2048-IMM) et régler les droits correspondants, y compris les prélèvements sociaux.
Comment éviter la double imposition ?
La France a signé des conventions fiscales avec plus de 90 pays pour éviter que les contribuables ne soient imposés deux fois sur les mêmes revenus. Ces accords prévoient des règles de priorité : par exemple, les salaires sont généralement imposés dans le pays de travail, tandis que les revenus fonciers le sont dans le pays où se situe le bien.
Clara Dubois, expatriée à Singapour dans le secteur bancaire, explique comment cette convention a joué en sa faveur. « Mon salaire est imposé à Singapour, mais j’ai aussi des revenus locatifs en France. Grâce à la convention franco-singapourienne, je paie l’impôt en France sur ces loyers, mais Singapour me reconnaît un crédit d’impôt pour les taxes déjà payées. » Cela évite une double ponction, mais suppose une déclaration rigoureuse dans les deux pays.
Que se passe-t-il pour les impatriés ou les retours en France ?
Le retour en France peut également avoir des conséquences fiscales importantes. Dès lors qu’une personne réinstalle son foyer familial en France ou y reprend une activité professionnelle, elle retrouve sa résidence fiscale. À partir de ce moment, elle est de nouveau imposée sur l’ensemble de ses revenus mondiaux.
Julien Marchal, retourné à Bordeaux après cinq ans au Canada, témoigne : « J’ai cru que mes revenus canadiens seraient exonérés pendant un an. Erreur. Dès mon retour, j’ai dû déclarer mes revenus perçus à l’étranger, même ceux antérieurs à mon retour. » Il a bénéficié d’un crédit d’impôt pour les taxes déjà payées au Canada, mais la déclaration a été complexe, nécessitant l’aide d’un expert-comptable spécialisé.
Quid des impôts locaux, comme la taxe d’habitation ou la redevance audiovisuelle ?
La taxe d’habitation, même si elle est en voie de suppression pour les résidences principales, concerne encore certains foyers. Elle est due par le résident au 1er janvier de l’année d’imposition. Ainsi, si l’on quitte la France en mars, on reste redevable de la taxe d’habitation pour cette année-là. En revanche, si l’on n’habite plus en France au 1er janvier, on n’est pas imposé.
Quant à la redevance audiovisuelle, elle a été supprimée en 2022. Toutefois, les personnes qui avaient des dettes antérieures peuvent encore être poursuivies. « J’ai reçu une facture pour une redevance non payée en 2020, alors que je vivais déjà à Bruxelles », raconte Sophie Nguyen. « J’ai dû régler cette dette pour éviter des pénalités. »
Les enfants et la déclaration conjointe : comment ça fonctionne ?
En cas d’expatriation partielle – par exemple, un parent part à l’étranger avec les enfants, tandis que l’autre reste en France – la situation se complexifie. La déclaration de revenus peut rester commune, mais les conditions doivent être respectées. Si les enfants quittent la France, ils ne peuvent plus être rattachés au foyer fiscal français. Le parent resté en France doit alors modifier sa déclaration.
Le cas de Manon et Karim, séparés géographiquement après l’expatriation de Manon aux États-Unis avec leurs deux enfants, illustre ce dilemme. « J’ai dû faire deux déclarations : une pour moi, aux États-Unis, avec mes revenus, et Karim a fait la sienne en France, sans les enfants. » Cette situation a impacté leur quotient familial et leurs droits aux prestations sociales.
Quels documents conserver après l’expatriation ?
L’administration fiscale peut contrôler les déclarations jusqu’à trois ans après la date limite de dépôt. En cas de soupçon de fraude, ce délai peut être porté à dix ans. Il est donc crucial de conserver tous les justificatifs liés à son expatriation : contrats de travail à l’étranger, baux, inscriptions scolaires des enfants, attestations de résidence fiscale locale, et copies des déclarations fiscales étrangères.
« J’ai gardé tous mes documents pendant cinq ans », confie Camille Lefèvre. « Un contrôle fiscal a eu lieu deux ans après mon départ. Heureusement, j’avais tout. »
Peut-on déduire les frais d’expatriation ?
En général, les frais liés au déménagement à l’étranger ne sont pas déductibles des revenus imposables en France. Toutefois, si le départ est lié à une mutation professionnelle, certaines primes versées par l’employeur peuvent être exonérées d’impôt dans certaines limites. Ces dispositions sont encadrées par la convention collective ou le contrat de travail.
Thomas Berthier, muté par son université, a bénéficié d’un forfait mobilité. « Cette somme n’était pas imposable en France, mais je devais prouver que ces frais étaient réels : billets d’avion, frais de transport de meubles, etc. »
Quelle est la place du conseil fiscal dans l’expatriation ?
Face à la complexité des règles, de nombreux expatriés font appel à des experts. Un conseiller fiscal international peut aider à anticiper les obligations, optimiser la fiscalité, et éviter les erreurs coûteuses. Ce service, bien que parfois onéreux, s’avère souvent rentable à long terme.
« J’ai dépensé 1 200 euros pour un audit fiscal avant mon départ », raconte Élodie Moreau. « Mais cela m’a permis d’économiser plus de 4 000 euros en évitant des pénalités et en profitant d’optimisations légales. »
A retenir
À quelle date devient-on non-imposable en France ?
On cesse d’être imposable en France dès lors que l’on perd sa résidence fiscale, c’est-à-dire quand on quitte le territoire, que l’on transfère son foyer familial à l’étranger et que l’on exerce une activité professionnelle hors de France. Ce changement doit être justifié par des documents officiels.
Faut-il déclarer ses revenus étrangers en France après l’expatriation ?
Non, une fois la résidence fiscale perdue, les revenus perçus à l’étranger ne doivent plus être déclarés en France. En revanche, les revenus de source française (loyers, pensions, etc.) restent imposables en France, sauf disposition contraire de la convention fiscale.
Peut-on être contrôlé par le fisc français après son départ ?
Oui. L’administration fiscale peut exercer un contrôle jusqu’à trois ans après la déclaration, voire dix ans en cas de soupçon de fraude. Il est donc essentiel de conserver ses justificatifs et de s’assurer que sa radiation du rôle des imposés a bien été enregistrée.
Que faire en cas de double imposition ?
Il faut se référer à la convention fiscale entre la France et le pays de résidence. En général, un crédit d’impôt est accordé pour les taxes déjà payées à l’étranger. Une déclaration correcte dans les deux pays permet d’éviter les doubles impositions.
Comment prouver sa nouvelle résidence fiscale ?
Il faut fournir des preuves tangibles : contrat de travail à l’étranger, bail immobilier, inscription à la sécurité sociale locale, déclarations fiscales étrangères, et éventuellement une attestation de résidence délivrée par les autorités locales.