Alors que l’intelligence artificielle s’impose de plus en plus dans tous les secteurs de la société, ses impacts soulèvent à la fois des espoirs et des inquiétudes. Pour mieux comprendre ses enjeux et ses applications concrètes, les premières Assises nationales de l’IA en Normandie se tiennent ce jeudi 9 octobre 2025 à l’université de Caen-Normandie. Organisées par le groupe Ouest-France en partenariat avec la Région Normandie, ces assises réunissent chercheurs, décideurs politiques, professionnels du numérique et citoyens curieux, autour d’un dialogue structuré sur les défis et les opportunités que représente cette technologie en pleine mutation. À travers quatre grands axes thématiques – sciences, environnement, santé et société –, les participants explorent des pistes concrètes pour encadrer, développer et humaniser l’intelligence artificielle.
Quelle place pour l’IA dans la recherche scientifique ?
La matinée des Assises débute par une table ronde consacrée au rôle de l’IA dans les sciences fondamentales. Le professeur Élias Ramez, physicien et directeur du laboratoire de modélisation numérique à l’université de Caen, expose comment les algorithmes d’apprentissage profond transforment la manière de traiter les données expérimentales. « Il y a dix ans, analyser un jeu de données de plusieurs téraoctets prenait des semaines. Aujourd’hui, grâce à des modèles d’IA entraînés sur des simulations, nous obtenons des résultats fiables en quelques heures », explique-t-il. Ce gain de temps ne se fait pas au détriment de la rigueur : selon lui, l’IA doit être vue comme un « collaborateur scientifique », capable d’identifier des motifs invisibles à l’œil humain, mais toujours soumis à la validation des chercheurs.
Un exemple marquant est présenté par Camille Lenoir, doctorante en astrophysique, qui utilise l’IA pour détecter des exoplanètes dans les données du télescope James Webb. « Les signaux sont souvent noyés dans le bruit. Un algorithme peut scanner des milliers de courbes de luminosité et repérer des anomalies potentielles. Ensuite, c’est à nous, chercheurs, de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse », précise-t-elle. Ce partenariat homme-machine illustre une tendance forte : l’IA comme outil d’augmentation des capacités humaines, plutôt que comme substitut.
L’IA au service de la transition écologique ?
Le deuxième axe des débats porte sur l’environnement. Face à l’urgence climatique, l’intelligence artificielle peut-elle devenir un levier d’action ? C’est ce que défend Lucien Vasseur, ingénieur en écologie numérique, qui travaille avec les collectivités normandes pour modéliser les impacts du changement climatique sur les zones côtières. « Grâce à des modèles prédictifs, nous simulons l’érosion des falaises, les inondations ou encore les migrations des espèces. Ces outils permettent aux élus de prendre des décisions éclairées en matière d’aménagement du territoire », affirme-t-il.
Un projet pilote mené dans la baie de la Seine est mis en lumière : un système d’IA analyse en temps réel les données météorologiques, hydrologiques et satellitaires pour anticiper les épisodes de pollution marine. « Ce n’est pas juste de la prédiction, c’est de la prévention », insiste Vasseur. Toutefois, il met en garde contre un usage aveugle des technologies : « L’IA consomme énormément d’énergie. Il faut penser à sa propre empreinte carbone. »
La discussion s’oriente alors vers les dilemmes éthiques. Solène Béranger, coordinatrice d’un collectif citoyen pour la sobriété numérique, interpelle les participants : « Nous ne pouvons pas résoudre une crise écologique avec des outils qui en aggravent une autre. L’IA doit être sobre, locale, et conçue pour durer. » Un appel à la responsabilité partagée entre développeurs, décideurs et utilisateurs.
Comment l’IA révolutionne-t-elle le secteur de la santé ?
La troisième thématique, sans doute la plus sensible, aborde les applications médicales de l’IA. Dans un amphithéâtre comble, la docteure Aïcha Mansour, pneumologue au CHU de Caen, présente un outil d’analyse automatisée des scanners pulmonaires. « Depuis un an, nous utilisons un algorithme qui détecte les lésions précoces du cancer du poumon avec une précision supérieure à celle de certains radiologues », révèle-t-elle. Ce système, développé en collaboration avec une start-up basée à Rouen, a permis de diagnostiquer une vingtaine de cas avant qu’ils ne deviennent critiques.
Les témoignages de patients sont également entendus. C’est le cas de Thomas, 58 ans, diagnostiqué grâce à cet outil après un scanner de routine. « Je n’avais aucun symptôme. Sans cette IA, on ne l’aurait découvert que des mois plus tard, quand la tumeur aurait été inopérable », raconte-t-il, ému. Pourtant, la docteure Mansour nuance l’enthousiasme : « L’algorithme est un assistant. Le diagnostic final, la communication avec le patient, la décision thérapeutique, restent humains. »
Un autre projet est présenté : un chatbot médical expérimenté dans plusieurs cabinets de ville en Normandie. Conçu pour trier les demandes des patients et orienter les cas urgents, il soulage les médecins généralistes, confrontés à une surcharge administrative. « Il ne remplace pas le médecin, mais il nous aide à mieux organiser notre temps », souligne Émilien Dubreuil, généraliste à Évreux. Toutefois, la confidentialité des données reste une préoccupation majeure. « Chaque échange est crypté, et les données ne quittent pas le système régional de santé », précise-t-il.
Quel encadrement éthique pour l’IA dans la société ?
La dernière session du jour s’attache à la gouvernance de l’intelligence artificielle. Le débat est animé par Clara Tissier, juriste spécialisée en droit numérique, qui rappelle que « l’IA n’est pas neutre : elle reproduit les biais présents dans les données d’entraînement ». Elle cite un exemple frappant : un logiciel d’analyse de CV utilisé par une entreprise normande a été retiré après avoir discriminé systématiquement les candidates femmes pour des postes techniques. « L’algorithme avait appris à associer l’ingénierie à des profils masculins, car les données historiques le montraient ainsi », analyse-t-elle.
Face à ces risques, plusieurs intervenants plaident pour un cadre réglementaire fort. Adrien Lemaire, conseiller régional, annonce que la Normandie va lancer un observatoire régional de l’IA, chargé de surveiller les déploiements dans le secteur public. « Nous voulons que chaque projet utilisant l’IA fasse l’objet d’une évaluation d’impact éthique, comme on le fait pour l’environnement », explique-t-il. Une proposition saluée par les représentants de la CNIL présents dans la salle.
Le débat s’ouvre aussi sur la fracture numérique. « L’IA se développe vite, mais pas pour tout le monde », souligne Yasmine Kebir, enseignante en lycée professionnel à Cherbourg. « Mes élèves n’ont pas tous accès à un ordinateur à la maison, encore moins à des outils d’IA. Si on ne fait rien, l’écart va se creuser. » Elle plaide pour des dispositifs de formation et d’accès élargis, notamment dans les zones rurales et les quartiers prioritaires.
Quelles perspectives après ces Assises ?
À l’issue de cette journée intense, les organisateurs tirent un bilan positif. « Ce n’était pas une simple conférence, mais un laboratoire d’idées », affirme Mathieu Delorme, rédacteur en chef à Ouest-France et initiateur du projet. « L’objectif était de sortir du discours anxiogène sur l’IA pour construire un dialogue constructif. »
Plusieurs annonces concrètes sont faites : la création d’un réseau de recherche interdisciplinaire sur l’IA en Normandie, le lancement d’un appel à projets pour des start-ups responsables, et la mise en place de débats citoyens dans chaque département de la région. « L’IA ne doit pas être décidée uniquement dans les silos technologiques. Elle doit être pensée avec les citoyens », insiste Delorme.
Le président de l’université de Caen-Normandie, le professeur Olivier Renard, voit dans ces Assises le début d’un nouveau cycle : « Nous voulons faire de Caen un pôle d’excellence éthique en intelligence artificielle, à l’échelle nationale. »
A retenir
Quel est l’objectif des Assises nationales de l’IA en Normandie ?
Les Assises nationales de l’IA, organisées par Ouest-France et la Région Normandie, visent à créer un espace de dialogue éclairé sur les enjeux de l’intelligence artificielle. Elles rassemblent experts, élus, professionnels et citoyens pour explorer les applications de l’IA dans les domaines des sciences, de l’environnement, de la santé et de la société, tout en interrogeant ses limites éthiques et ses impacts concrets.
Quelles thématiques ont été abordées lors de l’événement ?
Quatre grands axes ont structuré les débats : le rôle de l’IA dans la recherche scientifique, ses applications pour la protection de l’environnement, ses usages dans le secteur de la santé, et les questions d’éthique, de régulation et d’équité sociale. Chaque thématique a fait l’objet de conférences, ateliers et témoignages croisés.
Qui sont les acteurs impliqués dans cet événement ?
Les Assises réunissent des chercheurs comme Élias Ramez ou Aïcha Mansour, des professionnels du numérique et de la santé, des élus régionaux comme Adrien Lemaire, des citoyens et des représentants d’organisations comme la CNIL. Le groupe Ouest-France et la Région Normandie en sont les co-organisateurs, avec le soutien de l’université de Caen-Normandie.
Quelles initiatives concrètes ont été annoncées à l’issue des Assises ?
Plusieurs mesures ont été dévoilées : la création d’un observatoire régional de l’IA pour évaluer les impacts éthiques des projets, le lancement d’un réseau de recherche interdisciplinaire, un appel à projets pour des start-ups innovantes et responsables, ainsi que la programmation de débats citoyens dans l’ensemble des départements normands.
L’IA peut-elle être à la fois puissante et éthique ?
Oui, selon les intervenants, à condition de poser des garde-fous. L’IA doit être conçue de manière transparente, avec des données représentatives, et soumise à des évaluations d’impact. Elle ne doit pas remplacer l’humain, mais l’accompagner. La régulation, la formation et la participation citoyenne sont jugées essentielles pour éviter les dérives et garantir une intelligence artificielle au service de tous.