Face au vieillissement accéléré de la population, aux besoins croissants des personnes en situation de handicap et à l’évolution des attentes sociétales en matière de bien-être, un secteur autrefois sous-estimé gagne aujourd’hui en visibilité et en importance : celui des métiers du soin et de l’accompagnement. Ces professionnels, souvent en première ligne, portent une mission à la fois humaine et technique, exigeante mais profondément valorisante. Ils accompagnent les enfants en difficulté, soutiennent les personnes âgées dans leur perte d’autonomie, aident les malades à vivre leur quotidien avec dignité. Et derrière ces gestes simples mais essentiels, se cache un écosystème professionnel en pleine mutation, en quête de reconnaissance et de recrutement massif.
Quelle est l’ampleur du besoin en professionnels du soin et de l’accompagnement ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. À l’échelle nationale, plus de 118 000 postes sont actuellement vacants sur la plateforme Prendresoin.fr, lancée en novembre 2024 par Pôle emploi et le ministère des Solidarités. Cette initiative, conçue comme un hub dédié exclusivement aux métiers du care, reflète une réalité urgente : le système de santé et d’accompagnement social peine à recruter assez de personnel qualifié. La demande explose, tandis que l’offre de candidats reste insuffisante. Ce déséquilibre s’explique par plusieurs facteurs : des conditions de travail parfois difficiles, une reconnaissance salariale et sociale insuffisante, et un manque de visibilité autour de ces métiers pourtant fondamentaux.
Le besoin n’est pas concentré dans une seule région ou un seul type d’établissement. Il touche les maisons de retraite, les centres médico-sociaux, les crèches, les hôpitaux, les foyers pour personnes en situation de handicap, et même les services à domicile. À Lyon, par exemple, Élodie Berthier, coordinatrice au sein d’un Ehpad privé, constate une pression croissante : Nous avons dû refuser trois nouvelles admissions la semaine dernière faute de personnel. Ce n’est pas faute de vouloir aider, mais nous ne pouvons pas assurer la qualité des soins si nos effectifs sont insuffisants.
Quels sont les métiers concernés par ces besoins de recrutement ?
Les soignants : au cœur de l’action
Les infirmiers et infirmières restent les piliers du système. Leur rôle, à la fois médical et relationnel, est crucial. Mais ils ne sont pas seuls. Les aides-soignants, souvent méconnus du grand public, représentent une part énorme des effectifs. Ce sont eux qui assurent l’hygiène, la mobilisation des patients, les repas, et qui créent des liens humains parfois plus forts que ceux des médecins. Quand je vois le sourire de madame Lefebvre quand j’entre dans sa chambre, je sais que je fais un métier qui compte , témoigne Thomas Rivière, aide-soignant à Bordeaux depuis huit ans.
Les infirmiers libéraux, quant à eux, interviennent à domicile, souvent dans des zones rurales mal desservies. Leur autonomie est grande, mais leur charge mentale aussi. Je fais parfois 120 kilomètres par jour, entre deux visites. Mais je choisis mes horaires, j’ai une relation de confiance avec mes patients. C’est exigeant, mais gratifiant , explique Camille Dubreuil, installée dans l’Ariège.
Les accompagnants : une dimension souvent mésestimée
Moins médiatisés que les soignants, les accompagnants éducatifs et sociaux (AES) jouent pourtant un rôle central. Ils interviennent auprès des enfants en situation de handicap, des personnes âgées isolées, ou des adultes en difficulté psychosociale. Leur mission ? Favoriser l’autonomie, l’inclusion, la dignité. Ce n’est pas du “garder”, c’est du “prendre soin” , insiste Leïla Benmoussa, AES dans un établissement pour enfants autistes à Marseille. Je travaille sur des protocoles d’apprentissage, j’accompagne les parents, je collabore avec les psychologues. C’est un métier technique, pas juste un job de proximité.
Les professionnels de la petite enfance
Les éducateurs de jeunes enfants (EJE) et les auxiliaires de puériculture sont aussi en tension. La demande en crèches collectives et familiales ne cesse d’augmenter, notamment avec les politiques publiques d’encouragement à la parentalité et à l’activité professionnelle des femmes. À Nantes, Julien Mercier, directeur d’une crèche associative, déplore : On a des listes d’attente de six mois. On pourrait accueillir plus d’enfants, mais on n’a pas assez de personnel.
Pourquoi ces métiers recrutent-ils autant ?
Le vieillissement de la population, un facteur clé
La France compte aujourd’hui plus de 15 millions de personnes âgées de 60 ans et plus. D’ici 2040, ce chiffre devrait dépasser les 20 millions. Avec l’allongement de l’espérance de vie, la dépendance augmente. Or, la prise en charge de la dépendance exige du personnel qualifié, disponible, formé. Chaque année, on constate une augmentation de 4 % des demandes d’accompagnement à domicile , note Sophie Tardieu, responsable d’un service d’aide à la personne dans les Hauts-de-Seine.
La société change. On ne tolère plus qu’une personne âgée soit oubliée en institution, qu’un enfant en situation de handicap soit exclu de l’école, ou qu’un malade chronique vive sans soutien. Les familles, elles-mêmes souvent monoparentales ou à double activité, ne peuvent plus assurer seules les soins. Elles font appel à des professionnels. Ce changement de regard sur la vulnérabilité humaine crée une demande nouvelle, soutenue, et durable.
Des départs en retraite massifs
Paradoxalement, le recrutement massif est aussi dû à une crise de succession. De nombreux professionnels du soin, formés dans les années 1990 et 2000, arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite. Or, les jeunes diplômés ne remplacent pas les départs à hauteur suffisante. On perd chaque année 12 % de notre personnel par départ à la retraite, mais on n’embauche que 7 % de nouveaux , alerte Élodie Berthier.
Quelles sont les difficultés rencontrées par ces professionnels ?
Des conditions de travail souvent pénibles
Malgré la noblesse du métier, les réalités du terrain peuvent être rudes. Les horaires décalés, les week-ends de travail, les gardes de nuit, les émotions fortes liées à la souffrance ou à la mort, tout cela pèse sur le moral. J’ai vu trois décès cette semaine. On ne nous forme pas assez à la gestion du deuil professionnel , confie Thomas Rivière. De nombreux professionnels souffrent de burn-out, de troubles musculo-squelettiques, ou d’épuisement émotionnel.
Un manque de reconnaissance
Longtemps perçus comme des bras plutôt que des cerveaux , les professionnels du care luttent encore contre une image dévalorisante. On me dit souvent : “Tu es aide-soignante ? C’est bien, tu aimes aider les gens.” Mais personne ne me demande si j’ai passé un diplôme, si je fais de la surveillance clinique, si je gère des protocoles , s’insurge Leïla Benmoussa. La reconnaissance salariale suit souvent ce biais : les rémunérations, bien que réglementées, restent modestes par rapport à la responsabilité assumée.
Un besoin de formation continue
Les métiers du soin évoluent vite. Les pathologies changent, les outils techniques se modernisent, les attentes des usagers aussi. Pourtant, la formation continue reste inégalement accessible. On a besoin de montées en compétences, mais souvent, on n’a pas le temps, ni les moyens , regrette Camille Dubreuil.
Quelles solutions sont mises en place ?
La plateforme Prendresoin.fr, un levier d’attractivité
Lancée en novembre 2024, cette plateforme nationale vise à centraliser les offres d’emploi dans le secteur du soin et de l’accompagnement. Elle permet aux candidats de trouver des postes proches de chez eux, avec des filtres par métier, niveau de diplôme, ou type d’établissement. Mais surtout, elle cherche à valoriser ces métiers. Des témoignages, des vidéos, des parcours types sont mis en avant pour montrer la diversité des carrières possibles.
Avant, je pensais que les métiers du care, c’était juste pour les femmes, ou pour ceux qui n’avaient pas fait d’études , raconte Malik Zerrouki, 28 ans, ancien employé de supermarché, aujourd’hui en formation d’auxiliaire de vie. En voyant la plateforme, j’ai compris qu’il y avait des débouchés, des évolutions, des vrais métiers.
Des politiques de rétention du personnel
Les employeurs, publics comme privés, commencent à investir dans la qualité de vie au travail. Certains Ehpad proposent des accompagnements psychologiques, des espaces de décompression, des primes d’astreinte. Des établissements expérimentent le télétravail pour les cadres administratifs, ou des horaires aménagés. À Strasbourg, un centre de rééducation a mis en place un système de mentorat entre jeunes recrues et anciens : Cela permet de mieux intégrer, de se sentir soutenu , explique la responsable des ressources humaines, Amina Khouas.
Des passerelles de carrière valorisées
Le ministère des Solidarités travaille à mieux articuler les parcours professionnels. Un AES peut devenir éducateur spécialisé, un aide-soignant peut accéder à des postes d’infirmier via des passerelles accélérées. Des bourses de formation sont proposées, ainsi que des aides à la mobilité géographique pour les jeunes diplômés souhaitant s’installer en zones sous-dotées.
Comment attirer de nouveaux talents vers ces métiers ?
Il faut changer le récit. Ces métiers ne doivent plus être présentés comme des derniers recours , mais comme des choix ambitieux, porteurs de sens. Les écoles, les lycées professionnels, les médias doivent s’emparer de cette mission. On a besoin d’image, de visibilité, de fierté collective , insiste Julien Mercier.
Le témoignage de Malik Zerrouki est éloquent : Je gagne moins qu’avant, mais je me lève le matin avec une motivation que je n’avais jamais eue. Aujourd’hui, je sais que je fais la différence.
Conclusion
Les métiers du soin et de l’accompagnement ne sont plus des métiers de repli, mais des piliers de la société de demain. Face à des enjeux démographiques, sociaux et humains sans précédent, ils appellent à une révolution culturelle : celle de la reconnaissance du care comme une valeur fondamentale. Avec 118 000 postes à pourvoir, la France a non seulement un besoin urgent de main-d’œuvre, mais surtout une opportunité : celle de redonner du sens au travail, de valoriser l’humain, et de construire une société plus solidaire.
A retenir
Quel est le nombre de postes vacants dans le secteur du soin et de l’accompagnement ?
Plus de 118 000 emplois sont actuellement à pourvoir sur la plateforme nationale Prendresoin.fr, lancée en novembre 2024 pour répondre à la pénurie croissante dans ce secteur.
Quels types de professionnels sont concernés par ces recrutements ?
Les métiers concernés incluent les infirmiers, aides-soignants, accompagnants éducatifs et sociaux, éducateurs de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, et professionnels de l’aide à domicile, dans des structures variées comme les Ehpad, crèches, hôpitaux ou foyers spécialisés.
Pourquoi y a-t-il autant de postes à pourvoir ?
Les raisons principales sont le vieillissement de la population, l’augmentation des besoins en accompagnement, les départs massifs à la retraite des professionnels actuels, et une attractivité insuffisante de ces métiers en raison de conditions de travail parfois difficiles.
Quelles initiatives sont mises en place pour attirer de nouveaux talents ?
La plateforme Prendresoin.fr centralise les offres et valorise les métiers du care. Des politiques de rétention, des formations accélérées, des passerelles de carrière et des aides financières sont également déployées pour améliorer l’attractivité et la qualité de vie au travail.
Est-ce que ces métiers offrent des perspectives d’évolution ?
Oui, de nombreux parcours permettent d’évoluer : un aide-soignant peut devenir infirmier, un AES peut accéder à des postes d’éducateur spécialisé, et des formations continues ou des montées en compétence sont possibles tout au long de la carrière.