En ce début d’automne 2025, un vent de colère souffle sur Pouancé, petite commune rurale nichée au cœur de l’Ombrée d’Anjou, dans le Maine-et-Loire. L’annonce progressive de la fermeture de dix-sept lits en unité de soins longue durée (USLD) au Domaine du lac, effective d’ici janvier 2026, a réveillé une angoisse latente : celle de la désertification médicale. Ce n’est pas une simple décision administrative, mais un nouveau coup porté à un territoire déjà fragilisé par des années de restrictions successives. Les soignants, les familles, les résidents s’interrogent : où va la médecine de proximité ? Et surtout, qui décide du sort des plus vulnérables ?
Pourquoi la fermeture de l’USLD de Pouancé soulève-t-elle autant d’inquiétude ?
La fermeture des dix-sept lits de l’USLD n’est pas un événement isolé. Elle s’inscrit dans une série de réductions qui, depuis plusieurs années, grignotent l’offre de soins sur le site pouancéen. En 2022, les services de soins médicaux et de réadaptation (SMR) avaient déjà été fermés. Puis, ce furent les soins infirmiers à domicile (Ssiad) et le centre de soins qui ont progressivement disparu. Aujourd’hui, avec l’USLD, c’est un pilier de la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie qui s’effondre.
Le syndicat CFDT du site de Pouancé dénonce une décision lourde de conséquences , prise sans concertation réelle ni anticipation suffisante. Selon eux, cette mesure, motivée officiellement par un manque de médecins, revient à abandonner une population vulnérable au nom de contraintes logistiques. On ferme des lits, mais on ne ferme pas la dépendance , ironise Lucie Tournier, infirmière coordinatrice depuis douze ans au Domaine du lac. Les personnes âgées ne disparaissent pas parce qu’on n’a plus assez de personnel. Elles sont là, elles ont besoin de soins, et on les déplace comme des meubles.
L’émotion est palpable dans les couloirs du centre. Pour beaucoup, ces lits ne sont pas des cases administratives, mais des lieux de vie, de dignité, de continuité. Mon père, Henri, a été admis ici il y a deux ans après un AVC. Il ne pouvait plus parler, mais il reconnaissait ma voix, mes mains , raconte Camille Rousseau, dont le père est l’un des résidents concernés. Pouancé, c’était à vingt minutes de chez moi. Maintenant, on me dit qu’il pourrait être transféré à Châteaubriant, à près de soixante kilomètres. Comment vais-je faire, avec mon travail, mes enfants ?
Quelles sont les raisons invoquées par la direction ?
La direction du centre hospitalier de Châteaubriant, dont dépend le site de Pouancé, justifie cette fermeture par une pénurie chronique de médecins. Nous ne pouvons pas assurer une prise en charge médicale de qualité sans un effectif suffisant , affirme le docteur Élias Marchand, directeur médical du groupement hospitalier. Le recrutement est extrêmement difficile, malgré nos efforts d’attractivité.
Initialement, la fermeture devait intervenir au 1er octobre 2025, mais après des échanges tendus avec les équipes soignantes et les syndicats, la direction a accepté un report jusqu’en janvier 2026. Ce délai, bien que salué, est perçu comme une simple respiration avant l’inéluctable. On nous parle de report, mais on ne nous parle pas de solution , souligne Marc Bénard, représentant CFDT. Le problème n’est pas la date, c’est le principe. On ferme un service vital, et on ne propose rien en retour.
La direction indique que trois résidents seront transférés vers l’USLD de Châteaubriant, et que des solutions sont à l’étude pour les quatorze autres, notamment via des Ehpad partenaires. Mais cette perspective inquiète autant qu’elle rassure. Les Ehpad ne sont pas des USLD , insiste Lucie Tournier. Ils n’ont pas la même capacité à prodiguer des soins intensifs. On risque de voir des patients déplacés vers des structures moins adaptées, sous prétexte de faire des économies ou de pallier un manque d’effectifs.
Quel impact sur l’accès aux soins dans une zone rurale ?
Pouancé, comme de nombreuses communes rurales, souffre d’un isolement croissant en matière de santé. L’absence d’un hôpital de proximité contraint les familles à des trajets longs et coûteux. Pour les personnes âgées, ces déplacements peuvent être source de stress, voire de détérioration de leur état de santé. La proximité, ce n’est pas un luxe, c’est un droit , affirme le docteur Inès Laroche, généraliste installée à Segré-en-Anjou Bleu. Quand un patient est transféré à soixante kilomètres, ce n’est pas seulement une question de distance. C’est la rupture d’un lien de confiance, d’un suivi personnalisé.
Le territoire de l’Ombrée d’Anjou compte près de 20 000 habitants, dont une part croissante de seniors. Or, la fermeture de l’USLD s’ajoute à une offre de soins déjà réduite : pas de maternité, pas de service d’urgence, et désormais, une capacité de soins longue durée amputée. On est en train de transformer des territoires entiers en zones blanches médicales , alerte Marc Bénard. Et quand on parle de “recherche de solutions”, on parle souvent de transferts, pas de création de services.
Pour Camille Rousseau, la question est simple : Si on ne peut plus soigner les personnes âgées ici, où iront-elles demain ? Et quand ce sera mon tour, qui s’occupera de moi ?
Quelle mobilisation est en cours contre cette décision ?
Le syndicat CFDT a appelé à une mobilisation le jeudi 9 octobre 2025, à 9 h 30, sur le site du Domaine de la Prévalaye. Le but ? Dénoncer cette nouvelle fermeture et exiger des engagements concrets , selon leur communiqué. Les soignants, les familles, les élus locaux sont invités à se rassembler pour faire entendre leur voix.
Nous ne sommes pas contre les réformes, mais contre les décisions prises dans le dos des usagers et des professionnels , explique Marc Bénard. Nous demandons la réouverture de l’USLD, la réouverture des services SMR fermés en 2022, et une vraie stratégie d’attractivité médicale.
Le mouvement espère interpeller les autorités régionales et nationales. Déjà, quelques élus locaux ont fait part de leur inquiétude. Cette fermeture est un coup dur pour notre territoire , déclare Élodie Ferrand, conseillère départementale. Nous devons trouver des solutions durables, pas simplement déplacer les problèmes.
La mobilisation s’inscrit dans un contexte plus large de lutte contre la désertification médicale en France. Des territoires entiers, surtout ruraux, subissent des fermetures de services, souvent au nom de la rationalisation des coûts. Mais à quel prix humain ?
Quelles alternatives existent pour préserver les soins de proximité ?
Les professionnels de santé et les syndicats appellent à une réflexion profonde sur l’attractivité des zones rurales. Il faut arrêter de penser que les médecins ne veulent pas venir ici , affirme le docteur Inès Laroche. Beaucoup sont prêts à s’installer, à condition qu’on leur offre des conditions de travail décentes, des logements, des écoles pour leurs enfants, et une vraie reconnaissance.
Des expériences menées ailleurs en France montrent qu’il est possible de revitaliser l’offre de soins. En Haute-Loire, par exemple, des maisons de santé pluriprofessionnelles ont permis de regrouper généralistes, infirmiers, kinésithérapeutes, et même des spécialistes en téléconsultation. Des aides au logement, des bourses d’études en contrepartie d’engagements d’exercice, ou encore des postes mutualisés entre plusieurs communes ont également fait leurs preuves.
On a besoin d’un plan territorial de santé , plaide Marc Bénard. Pas de décisions top-down prises à Nantes ou à Paris, mais des solutions construites avec les territoires, les soignants, les patients.
Pour Lucie Tournier, la clé est dans la valorisation du travail des soignants. On nous demande de faire plus avec moins, sans jamais nous écouter. Et quand on ferme un service, on dit que c’est à cause du manque de médecins, mais on ne dit pas que c’est aussi à cause du manque de considération.
Quel avenir pour les résidents concernés par la fermeture ?
La question du devenir des résidents est au cœur des inquiétudes. Si trois d’entre eux doivent être transférés à Châteaubriant, les quatorze autres devront trouver une place dans des Ehpad. Mais ces établissements ne proposent pas toujours le même niveau de soins. Un Ehpad, c’est pour l’hébergement, pas pour la rééducation ou la surveillance médicale constante , précise Lucie Tournier. On risque de voir des patients perdre en qualité de soins, simplement parce qu’on n’a pas les moyens ou la volonté de maintenir un service adapté ici.
Camille Rousseau redoute le pire. Mon père est fragile. Un changement d’environnement, de personnel, de routine, ça peut être traumatisant. On parle de lui comme d’un dossier, mais c’est un homme, avec une vie, des souvenirs, une dignité.
Le syndicat CFDT insiste sur le respect dû aux résidents et aux personnels. Ces réorganisations incessantes brisent les liens humains, la continuité des soins, et la confiance. On ne peut pas continuer à traiter les soins longue durée comme un poste d’économie.
Conclusion
La fermeture des lits de l’USLD de Pouancé n’est pas qu’un simple ajustement budgétaire. C’est un symptôme d’un mal plus profond : la désertification médicale des territoires ruraux, alimentée par des décisions centralisées, peu concertées, et souvent déconnectées des réalités du terrain. Derrière chaque lit fermé, il y a une personne, une famille, un soignant qui se sent abandonné. L’appel à la mobilisation du 9 octobre est bien plus qu’une protestation : c’est un cri pour que la santé de proximité ne devienne pas un privilège du monde urbain. La réponse ne peut pas être uniquement des transferts ou des Ehpad de substitution. Elle doit être politique, humaine, et durable.
A retenir
Quel est le nombre de lits fermés à l’USLD de Pouancé ?
Dix-sept lits en unité de soins longue durée (USLD) vont être fermés progressivement d’ici janvier 2026, s’ajoutant aux 19 lits déjà mis en sommeil dans d’autres services du site.
Quelles sont les raisons avancées pour cette fermeture ?
La direction du centre hospitalier de Châteaubriant évoque un manque chronique de médecins, rendant impossible la garantie d’une prise en charge médicale de qualité à Pouancé.
Quelles alternatives sont proposées pour les résidents ?
Trois résidents seront transférés vers l’USLD de Châteaubriant, tandis que des solutions sont à l’étude pour les quatorze autres, notamment via des places en Ehpad.
Quelle est la position du syndicat CFDT ?
Le syndicat dénonce une décision prise sans concertation, exige la réouverture de l’USLD et des services SMR, et appelle à une mobilisation pour défendre les soins de proximité et le respect des personnels et des résidents.
Quel est l’impact sur l’offre de soins dans le territoire ?
L’annonce fragilise davantage un territoire déjà touché par la désertification médicale, avec une offre de soins de plus en plus réduite pour une population vieillissante, et un risque accru d’isolement pour les patients et leurs familles.