Le 15, numéro d’appel d’urgence médical, est bien plus qu’un simple chiffre composé en cas de détresse. C’est une ligne de vie, un fil tendu entre la peur et l’apaisement, entre l’inconnu et la réponse. Mais derrière cette voix calme et rassurante qui répond à l’autre bout du fil, il y a des femmes et des hommes en première ligne, souvent méconnus : les assistants de régulation médicale. À Nantes, au sein du Samu 44, leur cri d’alarme a pris la forme d’une grève, le 30 septembre, révélant un système sous tension, saturé par des années de sous-effectifs et d’attentes non entendues.que la population de Loire-Atlantique ne peut plus accéder directement aux urgences la nuit, mais doit impérativement composer le 15 pour être orientée, la pression sur les équipes de régulation n’a cessé de croître. Leur rôle, crucial, consiste à trier les appels, évaluer la gravité des situations, et décider de l’orientation des patients : ambulance, médecin de garde, centre de soins, ou parfois simplement des conseils au téléphone. Une mission délicate, qui exige à la fois expertise médicale, sang-froid et empathie. Mais face à l’afflux croissant d’appels, ces professionnels se sentent de plus en plus démunis.
Pourquoi les assistants du 15 sont-ils passés à l’action ?
La grève déclenchée le 30 septembre au Samu 44 n’est pas un coup de colère isolé. Elle résulte d’un long processus de dégradation des conditions de travail. Le préavis, déposé par la CGT, a été le signal d’alerte ultime. Les revendications sont claires : des moyens humains et matériels supplémentaires, une reconnaissance de leur rôle central dans le parcours de soins, et surtout, la possibilité de continuer à exercer leur métier dans des conditions décentes.
Élodie Ravel, assistante de régulation depuis douze ans, raconte : Il y a des jours où on décroche le combiné toutes les 30 secondes. On n’a même pas le temps de respirer entre deux appels. On gère des situations critiques, des personnes en détresse, des enfants qui font de la fièvre, des personnes âgées isolées… Et derrière, on sait qu’on ne pourra pas répondre à tout le monde dans les délais idéaux. C’est usant, moralement et physiquement.
Elle insiste sur le paradoxe : On nous dit que le 15 est le pilier de la réponse médicale urgente, mais on nous laisse travailler avec des effectifs de 2005.
Quelles sont les conséquences de la saturation du 15 ?
La pression sur les assistants de régulation ne se mesure pas seulement en nombre d’appels, mais en risques encourus. Lorsqu’un opérateur est débordé, le risque d’erreur augmente. Un mauvais triage, un délai d’attente trop long, une orientation inadaptée – autant de scénarios possibles dans un système au bord de la rupture.
Le cas de Thomas Léguen, un retraité de 72 ans, illustre cette tension. Un soir de février, il ressent une douleur thoracique. Il compose le 15. J’ai attendu 7 minutes avant qu’on me réponde, raconte-t-il. J’étais essoufflé, j’avais peur. Quand la voix est enfin arrivée, elle était calme, mais j’ai senti qu’elle était pressée. Il a été orienté vers un médecin de garde, mais son infarctus n’a été diagnostiqué qu’au lendemain matin à l’hôpital. Je ne blâme pas l’opérateur, précise-t-il. Je pense qu’il a fait ce qu’il pouvait. Mais est-ce que la situation aurait été différente s’il avait eu plus de temps ?
Les professionnels du Samu 44 redoutent que ce type de scénario ne devienne la norme. On ne veut pas arriver à un point de non-retour, confie Marc Tissier, médecin régulateur. On sait que chaque appel peut être vital. Mais on ne peut pas garantir une prise en charge optimale si on continue à être sous-effectif.
Quelles mesures la direction du CHU a-t-elle annoncées ?
Face à la mobilisation, la direction du CHU de Nantes a réagi. Vendredi 3 octobre, elle a annoncé un ensemble de mesures destinées à soutenir l’activité de régulation médicale et garantir la qualité de prise en charge des patients . Ces annonces, saluées par certains comme un pas dans la bonne direction, sont jugées insuffisantes par d’autres.
Les décisions déjà mises en œuvre incluent le recrutement de deux assistants de régulation médicale (ARM). L’un a intégré l’équipe le 29 septembre, l’autre le fera en décembre. Ces recrutements, bien que bienvenus, interviennent après des mois de pénurie. On ne parle pas de surcroît, mais de combler des manques criants , souligne Élodie Ravel.
Quels nouveaux postes sont en cours de création ?
À court terme, deux ARM supplémentaires seront recrutés pour renforcer les équipes de nuit, une période particulièrement critique. En parallèle, cinq équivalents temps plein d’opérateurs de soins non programmés seront embauchés. Ces nouveaux postes ont un rôle précis : prendre le relais des ARM pour les appels moins urgents, comme l’orientation vers un médecin traitant ou la mise en place d’un rendez-vous à domicile.
C’est une avancée , reconnaît Marc Tissier. Ces opérateurs vont nous permettre de nous concentrer sur les cas graves. Mais il faut être clair : ce ne sont pas des médecins, ni des infirmiers. Ils ne remplacent pas un ARM, ils l’accompagnent.
Un poste de superviseur pour améliorer la coordination
Une autre mesure, plus structurelle, est prévue pour janvier 2026 : la création d’un poste de superviseur. Cette personne aura pour mission d’optimiser la fluidité des circuits d’appels, de suivre la charge de travail en temps réel, et d’intervenir en cas de saturation. C’est un poste qui aurait dû exister depuis longtemps , estime Élodie Ravel. Avoir une personne dédiée à la coordination, ce n’est pas du luxe, c’est une nécessité.
La grève a-t-elle porté ses fruits ?
Les annonces du CHU montrent que la mobilisation a été entendue. Mais les syndicats restent prudents. On ne peut pas dire que le problème est réglé , affirme Aurélien Bouchet, délégué CGT au Samu 44. Ces mesures sont positives, mais elles interviennent après des années de demandes ignorées. On veut des garanties sur la pérennité des recrutements, sur les conditions de travail, sur la reconnaissance du métier.
La direction du CHU affirme travailler à une amélioration continue du service. Elle reconnaît que le contexte a changé depuis l’obligation d’appeler le 15 avant d’accéder aux urgences la nuit. Cette réforme a augmenté la charge de travail, concède un responsable du CHU, qui souhaite rester anonyme. Nous devons adapter nos moyens à cette nouvelle réalité.
Quel avenir pour le 15 en France ?
Le cas nantais n’est pas isolé. Partout en France, les centres 15 sont sous pression. Les réformes de l’accès aux urgences, combinées à une pénurie de professionnels de santé, ont transformé ces services en points de tension majeurs du système hospitalier.
À Lyon, des assistants de régulation ont lancé des alertes similaires. À Marseille, des médecins régulateurs ont menacé de démissionner. Le 15, longtemps perçu comme une machine bien huilée, montre ses limites. On nous demande de faire plus avec moins, résume Élodie Ravel. Mais la santé, ce n’est pas une machine. C’est de l’humain. Et l’humain a des limites.
Quelles leçons tirer de la grève du Samu 44 ?
La grève du 30 septembre n’était pas seulement une revendication salariale. C’était un cri de détresse d’un métier invisible, mais essentiel. Elle a mis en lumière les failles d’un système qui repose sur des épaules trop étroites.
Elle a aussi montré que le dialogue, même tardif, peut aboutir à des solutions. Les recrutements, les nouveaux postes, la création d’un superviseur – autant de mesures qui, si elles sont correctement mises en œuvre, pourraient alléger la pression.
Mais au-delà des annonces, c’est la reconnaissance du métier qui est en jeu. On ne veut pas être des héros silencieux, conclut Marc Tissier. On veut simplement pouvoir faire notre travail correctement, sans risquer l’épuisement, sans mettre en danger les patients.
A retenir
Qui sont les assistants de régulation du 15 ?
Les assistants de régulation médicale (ARM) sont des professionnels de santé, souvent des infirmiers ou des techniciens, formés pour évaluer les appels d’urgence, trier les cas selon leur gravité, et orienter les patients vers la bonne prise en charge. Ils travaillent en étroite collaboration avec les médecins régulateurs.
Pourquoi ont-ils fait grève au Samu 44 ?
Ils ont déclenché une grève le 30 septembre 2023 pour réclamer des moyens supplémentaires face à une saturation croissante du service. Le préavis de grève, déposé par la CGT, dénonçait des conditions de travail dégradées et une sous-effectif chronique.
Quelles mesures le CHU de Nantes a-t-il prises en réponse ?
Le CHU a annoncé plusieurs mesures : le recrutement de deux ARM supplémentaires la nuit, l’embauche de cinq équivalents temps plein d’opérateurs de soins non programmés, et la création d’un poste de superviseur en janvier 2026. Deux ARM ont déjà été recrutés, l’un intégré en septembre, l’autre prévu en décembre.
Quel est le rôle des opérateurs de soins non programmés ?
Ces nouveaux professionnels viennent en appui des ARM et des médecins régulateurs. Ils prennent en charge les appels moins urgents, comme l’orientation vers un médecin ou la prise de rendez-vous, afin de libérer les régulateurs pour les cas critiques.
Le 15 est-il en crise partout en France ?
Le Samu 44 n’est pas un cas isolé. De nombreux centres 15 en France font face à des tensions similaires : afflux d’appels, sous-effectifs, pression accrue depuis les réformes d’accès aux urgences. Des alertes ont été lancées dans plusieurs villes, montrant que le système de régulation médicale est à la limite de ses capacités.