En plein cœur du Finistère, à quelques kilomètres de Brest, un projet de santé mentale inédit prend forme sur une parcelle de 21 hectares boisés. Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest lance la reconstruction intégrale de son hôpital psychiatrique, une opération d’envergure budgétaire et humaine qui bouleverse les codes traditionnels de l’architecture hospitalière. Financé à hauteur de 72 millions d’euros, ce nouvel établissement n’est pas simplement une rénovation : c’est une réinvention. Conçu de A à Z , comme le souligne Florence Favrel-Feuillade, directrice générale du CHU, ce lieu repose sur une philosophie radicale : penser le soin d’abord, puis adapter les espaces à cette finalité, et non l’inverse. Ce changement de paradigme s’inscrit dans une volonté plus large de déstigmatiser la psychiatrie, de réinventer le cadre de vie des patients et de repenser le quotidien des soignants.
Comment repenser un hôpital psychiatrique pour le rendre humain ?
La psychiatrie, longtemps cloisonnée dans des bâtiments austères, enfermés derrière des murs, souffre d’une image d’institution froide, parfois punitive. Le nouveau projet de Bohars entend rompre avec cette tradition. Le choix d’un site entièrement arboré n’est pas anodin : il incarne une volonté de reconnecter les patients à la nature, à la lumière, à des rythmes de vie plus naturels. L’établissement sera conçu en rez-de-chaussée, avec de larges baies vitrées, des patios intérieurs et des circulations fluides. L’idée ? Éliminer les couloirs sombres, les escaliers en colimaçon oppressants, les pièces sans fenêtres. On a voulu qu’un patient puisse se lever le matin, ouvrir sa fenêtre et voir un arbre, un ciel, un oiseau. C’est une forme de liberté, même symbolique , confie Élodie Le Goff, architecte du projet, qui a travaillé en étroite collaboration avec des psychiatres, des infirmiers et des patients.
Les espaces communs sont pensés comme des lieux de vie, pas seulement de soin. Une cuisine collective, un jardin thérapeutique, une salle de musique, un atelier d’art plastique : chaque bâtiment intègre des zones où l’expression, l’autonomie et la socialisation peuvent s’épanouir. Dans les anciens hôpitaux, on séparait tout : soins, loisirs, vie privée. Ici, on brouille les frontières. Un patient peut aller chercher un café, croiser un soignant, discuter avec un autre résident, comme dans un quartier ordinaire , explique le docteur Julien Rosières, psychiatre au CHU depuis quinze ans. Il a participé aux réunions de conception et insiste sur l’importance de décrisper l’atmosphère . Selon lui, un cadre apaisant ne soigne pas à lui seul, mais il permet aux thérapies de mieux fonctionner.
Pourquoi reconstruire entièrement plutôt que rénover ?
En France, la plupart des hôpitaux psychiatriques subissent des rénovations partielles, étalées sur des décennies. Les contraintes budgétaires, les normes de sécurité, la continuité des soins : autant de freins à une transformation globale. Mais à Brest, les décideurs ont choisi une autre voie. On a eu la chance d’avoir un site neuf, suffisamment grand, et un financement clair , explique Florence Favrel-Feuillade. Cela nous a permis de tout repenser, sans compromis.
Le site de Bohars, ancienne zone militaire, a été acquis par le CHU après plusieurs années de négociations. Désaffecté, il offrait un terrain vierge, loin des contraintes urbanistiques du centre-ville. Cette opportunité a été saisie comme une chance historique. On ne reconstruit pas un hôpital psychiatrique tous les jours , sourit Élodie Le Goff. C’était le moment de faire les choses bien.
Le choix de reconstruire entièrement permet aussi d’intégrer des normes modernes : accessibilité, isolation thermique, sécurité incendie, mais aussi connectivité numérique. Chaque chambre sera équipée d’un système de communication permettant aux patients de sonner un soignant sans passer par un interphone centralisé. On veut éviter les situations de stress, où un patient doit crier dans un micro pour être entendu , précise le docteur Rosières. Ici, chaque appel est discret, personnalisé.
Comment impliquer les patients dans la conception ?
Un hôpital psychiatrique, c’est d’abord un lieu de vulnérabilité. Pour que le nouveau bâtiment réponde aux besoins réels, les concepteurs ont fait appel à des patients, anciens ou actuels, pour participer aux ateliers de réflexion. Parmi eux, Clément Béziers, 42 ans, hospitalisé plusieurs fois pour dépression sévère. Quand on m’a invité à une réunion, je n’y croyais pas trop. Je pensais qu’on allait juste nous écouter poliment. Mais non. On nous a posé des questions précises : “Comment vous sentez-vous dans une chambre ?”, “Qu’est-ce qui vous rassure ?”, “Qu’est-ce qui vous angoisse ?”
Clément a insisté sur l’importance de la fenêtre. Quand tu es enfermé, même pour te soigner, tu as besoin de voir l’extérieur. Pas un mur, pas un grillage. Un arbre, un ciel, un nuage. C’est vital. Son témoignage a influencé le choix des chambres : toutes auront une fenêtre donnant sur l’extérieur, jamais sur une cour intérieure fermée. D’autres patients ont souligné la nécessité de lieux de retrait, des espaces calmes où se retirer sans être observé. On ne veut pas d’un hôpital trop ouvert, trop bruyant. Il faut des coins d’intimité , explique Camille Vasseur, ancienne patiente suivie pour trouble bipolaire, aujourd’hui formatrice en santé mentale.
Cette implication n’est pas qu’un geste symbolique. Elle s’inscrit dans une tendance plus large : celle de la coconstruction des soins. Les patients ne sont pas que des bénéficiaires. Ils sont des experts de leur propre expérience , affirme le docteur Rosières. Leur regard, c’est une donnée médicale à part entière.
Quels impacts pour les soignants ?
Le bien-être des patients n’est qu’un volet du projet. L’autre, tout aussi crucial, concerne les professionnels. On oublie trop souvent que les soignants en psychiatrie vivent dans des conditions difficiles : surcharge, isolement, manque de reconnaissance , regrette Sophie Tanguy, infirmière coordinatrice depuis vingt ans. Ce nouvel hôpital, c’est aussi une chance pour nous.
Les espaces de travail ont été repensés pour améliorer les conditions : bureaux lumineux, salles de pause spacieuses, locaux de réunion équipés, mais aussi une meilleure circulation entre les services. Avant, on passait des heures à courir d’un bâtiment à l’autre, parfois sous la pluie. Là, tout est relié, à l’abri , raconte-t-elle. Des cabines d’entretien privées permettront aussi aux soignants de faire des pauses individuelles, un luxe dans un métier où le risque d’épuisement est élevé.
Le projet intègre également des dispositifs de prévention des violences. Des zones tampons, des systèmes d’alerte silencieux, des circuits d’évacuation sécurisés : autant de mesures pour protéger les équipes. Ce n’est pas un hôpital plus sécuritaire au sens carcéral, mais plus sûr pour ceux qui y travaillent , nuance Élodie Le Goff. On veut éviter les situations de crise, pas les réprimer.
Quelle place pour la nature et les activités thérapeutiques ?
Le site de 21 hectares n’est pas qu’un espace constructible : c’est un outil thérapeutique. Le projet prévoit un vaste jardin médicalisé, conçu avec des paysagistes spécialisés. Des sentiers de promenade, des zones de culture potagère, un verger, des abris pour animaux : tout est pensé pour favoriser l’engagement sensoriel et moteur. La nature, c’est un médicament silencieux , estime le docteur Rosières. Elle régule les rythmes, diminue l’anxiété, favorise la concentration.
Des activités comme l’hortithérapie, l’art-thérapie ou l’atelier cuisine seront intégrées au parcours de soins. On sait que créer, cultiver, cuisiner, c’est soignant. C’est aussi un moyen de retrouver du sens , ajoute Camille Vasseur. Un atelier de poterie, animé par un artiste professionnel, permettra aux patients de manipuler la matière, de se reconnecter à leur corps. Quand tu pétris de l’argile, tu ne penses plus à tes idées noires. Tu es dans le geste, dans le présent , raconte Clément Béziers, qui a participé à un atelier similaire lors d’un précédent séjour.
Le projet prévoit aussi un espace dédié à la musique. Une salle insonorisée, équipée d’instruments, où des musicothérapeutes interviendront. La musique traverse les barrières du langage. Elle touche là où les mots échouent , confie Sophie Tanguy, émue à l’idée de voir ses patients chanter, jouer, peut-être même composer.
Quel financement, quel calendrier ?
Le coût total du projet s’élève à 72 millions d’euros, financés par l’État, l’Agence régionale de santé (ARS) et le CHU. Un montant conséquent, mais justifié par l’ampleur de la transformation. Ce n’est pas une dépense, c’est un investissement sur le long terme , insiste Florence Favrel-Feuillade. Moins de patients en crise, moins de réhospitalisations, moins de souffrance au travail : les bénéfices seront multiples.
Le chantier devrait débuter en 2025, avec une livraison prévue pour 2028. En attendant, les équipes préparent la transition : formation aux nouveaux outils, adaptation des protocoles, accompagnement des patients. On ne change pas seulement de bâtiment. On change de culture , résume le docteur Rosières.
Quel avenir pour la psychiatrie en France ?
Le projet de Brest pourrait devenir un modèle. Il montre qu’on peut faire autrement , affirme Élodie Le Goff. Qu’on peut construire des lieux de soin qui soignent vraiment, sans enfermer, sans stigmatiser. D’autres régions suivent ce chantier de près. Des délégations de Lyon, de Lille ou de Bordeaux sont déjà venues visiter le site et rencontrer les équipes.
À l’heure où la santé mentale devient une priorité nationale, ce type d’initiative offre une vision concrète de ce que pourrait être une psychiatrie rénovée : humaine, inclusive, intégrée à son environnement. On ne guérit pas la souffrance psychique avec des murs et des caméras. On la soigne avec de la dignité, de la lumière, du lien , conclut Camille Vasseur. Ce nouvel hôpital, c’est peut-être le début d’un changement profond.
A retenir
Quel est l’objectif principal du nouveau projet hospitalier de Bohars ?
L’objectif est de repenser entièrement l’hôpital psychiatrique en plaçant le soin et le bien-être des patients et des soignants au cœur du projet, avec un cadre de vie apaisant, intégré à la nature et conçu pour favoriser la guérison et la dignité.
Pourquoi avoir choisi de reconstruire entièrement l’établissement ?
La reconstruction totale permet de tout repenser sans contraintes héritées d’anciens bâtiments. Elle offre la possibilité d’adapter l’architecture aux besoins réels des patients et des équipes soignantes, sans compromis.
Comment les patients ont-ils été impliqués dans le projet ?
Des ateliers participatifs ont réuni des patients, anciens ou actuels, pour recueillir leurs retours sur les lieux de soin. Leurs témoignages ont influencé des choix concrets, comme l’orientation des chambres ou la création d’espaces calmes.
Quel rôle joue la nature dans ce nouveau modèle de soin ?
La nature est considérée comme un levier thérapeutique majeur. Le site arboré, les jardins, les sentiers et les activités en plein air sont intégrés au parcours de soins pour apaiser, réguler et reconnecter.
Quand l’hôpital sera-t-il opérationnel ?
Le chantier devrait débuter en 2025, avec une livraison prévue pour 2028. Entre-temps, les équipes se préparent à la transition organisationnelle et culturelle.