En 2025, une initiative humaine et bienveillante s’apprête à prendre racine dans le cœur de la Bretagne. À Carhaix, en Finistère, l’association Les Alcooliques Libres lance un nouveau programme d’accompagnement destiné à briser l’isolement des personnes confrontées à des addictions, quelles qu’elles soient. Ce dispositif, basé sur l’écoute, le partage et la solidarité, s’inscrit dans une démarche de proximité, accessible sur rendez-vous, et ouvert non seulement aux personnes en difficulté, mais aussi à leurs proches. Alors que des groupes existent déjà à Morlaix, Landivisiau, Dinan et Lesneven, l’extension à Carhaix marque une étape importante dans la lutte contre les addictions dans les zones rurales, où l’accès aux soins et aux soutiens psychosociaux reste souvent limité.
Qu’est-ce que Les Alcooliques Libres, et pourquoi ce nom peut-il prêter à confusion ?
Le nom Les Alcooliques Libres renvoie à une tradition internationale d’entraide entre personnes en difficulté avec l’alcool, inspirée du modèle des Alcooliques Anonymes. Pourtant, l’association en France a évolué pour devenir un espace d’écoute et de soutien bien plus large. À Carhaix, comme ailleurs, elle accueillera des individus luttant contre toutes formes d’addictions : alcool, drogues, jeux, écrans, troubles alimentaires, ou encore comportements compulsifs. Le terme alcooliques dans le nom ne doit donc pas être interprété comme une limitation, mais comme une référence historique à ses origines.
Camille Lemoine, bénévole depuis dix ans au sein du groupe de Morlaix, explique : Quand je suis arrivée, je pensais que ce n’était que pour les gens qui boivent. Mais très vite, j’ai compris que c’était un lieu pour tous ceux qui se sentent prisonniers de quelque chose. Moi, c’était le jeu. Je perdais tout : mon argent, ma famille, mon sommeil. Ici, personne ne juge. On parle, on écoute, on respire. Ce témoignage illustre bien la transformation du regard porté sur ces groupes : ils ne sont plus des cercles de réhabilitation médicalisée, mais des espaces de parole libre et bienveillante.
Comment fonctionnent ces temps d’échange à Carhaix ?
À partir de la mi-octobre 2025, des rendez-vous réguliers seront proposés à Carhaix, sur la base du volontariat et sur rendez-vous. Ce choix d’un format individuel ou en petit groupe, plutôt que des réunions ouvertes à tous, vise à rassurer les personnes en situation de vulnérabilité. Beaucoup ont peur de se montrer, de parler devant dix inconnus , précise Élodie Kervella, coordinatrice du réseau en Bretagne. Ici, on privilégie un accueil discret, confidentiel, sans pression. L’objectif n’est pas de faire un discours, mais de se sentir entendu.
Les séances durent en moyenne une heure. Elles peuvent être ponctuelles ou s’inscrire dans un suivi régulier, selon les besoins. Animées par des bénévoles formés, souvent eux-mêmes en parcours de sortie d’addiction, ces rencontres reposent sur l’empathie et l’expérience vécue. Ce n’est pas de la thérapie, mais de l’entraide , insiste Élodie. Personne ne donne de conseils. On partage ce qu’on a traversé, et parfois, cela suffit à faire basculer quelqu’un.
Pourquoi Carhaix est-elle un terrain pertinent pour cette initiative ?
Carhaix, ville de près de 6 000 habitants au centre du Pays de Corlay, incarne à la fois une forte identité culturelle et des défis sociaux spécifiques. Située loin des grands centres urbains, elle souffre d’un manque d’infrastructures de santé mentale et de prévention. Les addictions, souvent silencieuses, y prospèrent dans l’ombre. Ici, on a une culture du silence, du “on s’en débrouille tout seul” , observe Gwenaël Le Dantec, infirmier libéral dans la région. Beaucoup de gens ne consultent que quand c’est trop tard.
Le choix de Carhaix n’est donc pas anodin. Il s’inscrit dans une stratégie de décentralisation des soins psychosociaux, en réponse à une demande réelle mais peu exprimée. Les groupes déjà existants à Morlaix, Landivisiau, Dinan et Lesneven ont montré que des structures locales, humaines et accessibles, pouvaient faire une différence significative. À Morlaix, par exemple, le groupe a vu passer plus de 120 personnes en deux ans, dont près de 40 % venaient pour des addictions non alcooliques.
Qui peut participer à ces rencontres ?
L’association ouvre ses portes à deux types de publics : les personnes directement concernées par une addiction, et leurs proches – conjoints, enfants, parents, amis. On oublie trop souvent que l’addiction touche tout le cercle , souligne Camille Lemoine. Ma sœur a dû venir plusieurs fois. Elle ne comprenait pas pourquoi je ne pouvais pas “arrêter comme ça”. En parlant ici, elle a compris que ce n’était pas une question de volonté.
Les proches sont souvent en souffrance silencieuse : anxiété, fatigue émotionnelle, sentiment d’impuissance. Les Alcooliques Libres proposent donc des temps d’écoute spécifiques, où ils peuvent exprimer leur détresse, poser des questions, et apprendre à poser des limites. On ne soigne pas que la personne addictive, on soigne le système autour , résume Élodie Kervella.
Quel est le rôle des bénévoles dans ces groupes ?
Les bénévoles sont le cœur battant de l’association. Tous ont un vécu personnel avec l’addiction, ce qui leur confère une légitimité unique. Leur formation, assurée par le réseau national, couvre les bases de l’écoute active, de la confidentialité, et de l’accompagnement non-jugeant. Mais c’est surtout leur humanité qui fait la différence.
Yannick Rozenn, ancien alcoolique devenu accompagnant à Dinan, raconte : J’ai failli mourir à 42 ans. J’ai tout perdu : mon travail, ma maison, ma femme. C’est en venant ici que j’ai recommencé à exister. Aujourd’hui, je ne sauve personne, je suis juste là. Mais parfois, être là, c’est tout ce dont on a besoin. Ces témoignages montrent que l’accompagnement par les pairs n’est pas un simple complément aux soins, mais une modalité de prise en charge essentielle, particulièrement efficace dans les addictions.
Comment ces groupes s’inscrivent-ils dans un parcours de soins plus large ?
Les Alcooliques Libres ne se substituent pas aux dispositifs médicaux ou psychiatriques. Ils s’inscrivent plutôt comme un appui complémentaire. Les bénévoles sont formés à repérer les signes de détresse sévère et à orienter vers les services adéquats : centres de soins, addictologues, psychiatres, ou centres médico-psychologiques.
On n’est pas des médecins, on ne prescrit rien , insiste Élodie Kervella. Mais on peut aider à franchir le pas. Beaucoup viennent ici parce qu’ils n’osent pas aller voir un psy. Et puis, petit à petit, ils se sentent prêts. Dans certains cas, les bénévoles accompagnent même les personnes à leur premier rendez-vous, pour les soutenir moralement. Ce lien entre l’entraide et les soins formels est crucial, surtout en milieu rural, où les parcours de soins sont souvent fragmentés.
Quels sont les bénéfices concrets de ces échanges ?
Les retours des participants sont unanimes : ces moments d’échange changent la vie. Non pas par des miracles, mais par une transformation progressive de la relation à soi et aux autres. Avant, je me sentais honteux, coupable, seul , confie Sophie Arzel, habitante de Landivisiau, venue pour une addiction aux médicaments. Ici, j’ai entendu des histoires comme la mienne. Et pour la première fois, j’ai eu l’impression de ne pas être une erreur.
Les bénéfices observés incluent une meilleure estime de soi, une diminution du sentiment de honte, une prise de conscience des mécanismes de l’addiction, et un regain d’espoir. Pour certains, cela débouche sur une réduction ou un arrêt de la consommation. Pour d’autres, c’est simplement le début d’un travail sur soi. Mais dans tous les cas, c’est un pas vers la libération.
Quel avenir pour ces groupes en Bretagne ?
L’ouverture à Carhaix pourrait être le début d’un renforcement du réseau breton. Les Alcooliques Libres envisagent d’étendre leur action à d’autres villes rurales, comme Guingamp ou Pontivy, où les besoins sont également importants. Une coordination régionale, basée à Rennes, facilite la mutualisation des ressources, la formation des bénévoles, et le suivi des groupes.
Le défi principal reste la visibilité. Il faut que les gens sachent qu’on existe, qu’on est là, sans jugement , dit Élodie. Mais il faut aussi que les professionnels de santé nous connaissent, pour qu’ils puissent nous recommander. Des partenariats avec des centres sociaux, des associations de santé mentale, ou des municipalités sont en cours de discussion.
Comment contacter les Alcooliques Libres à Carhaix ?
À partir de mi-octobre 2025, un numéro de téléphone et une adresse email dédiés seront mis en place pour permettre aux personnes intéressées de prendre rendez-vous. L’anonymat est garanti. Les locaux, situés en centre-ville, ont été choisis pour leur accessibilité et leur discrétion. On veut que ce soit facile d’y venir, et facile d’en parler , précise Élodie Kervella.
Quelles addictions sont concernées ?
Toutes les formes d’addictions peuvent être accueillies : alcool, drogues, jeux d’argent, écrans, achats compulsifs, troubles du comportement alimentaire, etc. L’important n’est pas le type de dépendance, mais la souffrance qu’elle génère.
Les séances sont-elles gratuites ?
Oui, les temps d’échange sont entièrement gratuits. L’association fonctionne sur des dons libres et des subventions locales. Aucune pression n’est exercée pour donner de l’argent.
Faut-il être en sevrage pour participer ?
Non. Les personnes qui souhaitent arrêter, réduire, ou simplement comprendre leur comportement sont les bienvenues. L’accompagnement s’adapte à chaque parcours.
A retenir
Est-ce que les Alcooliques Libres proposent des thérapies ?
Non, il ne s’agit pas de thérapie, mais d’entraide entre personnes qui comprennent ce que vit l’autre. L’approche est fondée sur l’écoute, le partage d’expériences, et le soutien mutuel, sans diagnostic ni traitement.
Peut-on venir accompagné ?
Oui, les proches sont activement encouragés à participer, que ce soit ensemble ou séparément. Des temps d’échange spécifiques peuvent être organisés pour eux.
Y a-t-il un âge minimum ?
L’association accueille les adultes. Pour les mineurs, une orientation vers des structures spécialisées est proposée, parfois en collaboration avec les bénévoles.
Les échanges sont-ils confidentiels ?
Absolument. La confidentialité est une règle fondamentale. Ce qui est dit dans le groupe reste dans le groupe, garantissant un espace de sécurité psychologique.
Conclusion
L’arrivée des Alcooliques Libres à Carhaix en 2025 représente bien plus qu’un simple ajout à l’offre de soins. C’est une reconnaissance de la souffrance invisible, un acte de solidarité concrète, et une invitation à parler sans honte. Dans un contexte où les addictions touchent de plus en plus de foyers, souvent en silence, ces lieux d’écoute offrent une lueur d’espoir. Par la parole, par la présence, par l’expérience partagée, ils permettent de reconstruire, pas à pas, ce que l’addiction a détruit : la confiance, en soi et en l’autre.