J’ai deux anniversaires depuis ma greffe du rein : son appel pour devenir donneur

Le 27 septembre 2025, les allées du parc des Promenades à Alençon, d’ordinaire empreintes de calme et de verdure, ont vibré au rythme d’un événement à la fois sportif et profondément humain. La Dotis’Run, une course de 5 km dédiée à la sensibilisation au don d’organes et de tissus, a réuni près de 450 participants, tous unis par un objectif commun : briser le silence autour d’un sujet encore tabou dans de nombreuses familles. Organisée par le Centre hospitalier intercommunal d’Alençon-Mamers (Chicam), cette initiative s’inscrit dans une démarche plus large de sensibilisation, mêlant émotion, éducation et solidarité. À travers des témoignages poignants, des animations festives et une mobilisation citoyenne, l’événement a donné une nouvelle visibilité à une cause vitale, rappelant que chaque geste compte, chaque parole peut sauver.

Qu’est-ce que la Dotis’Run et quel est son objectif ?

La Dotis’Run n’est pas une simple course à pied. C’est une manifestation symbolique, pensée pour allier effort physique et engagement collectif. Dotis, contraction de don d’organes et de tissus , donne son nom à cette épreuve qui se veut à la fois un hommage aux donneurs et un appel à la prise de conscience. Le choix du parc des Promenades, récemment réaménagé avec des allées portant désormais des noms de femmes illustres, n’est pas anodin : il incarne une volonté de renouveler les repères, de valoriser des figures trop souvent oubliées, tout comme le don d’organes valorise des actes anonymes mais essentiels.

L’objectif principal de la Dotis’Run est de sensibiliser le grand public à l’importance du don, non pas à travers des campagnes institutionnelles distantes, mais via une expérience immersive et humaine. En marchant ou en courant aux côtés de greffés, de familles de donneurs ou de soignants, les participants entrent en contact direct avec des histoires réelles. C’est une manière de transformer une donnée médicale en récit vivant, de faire passer le message non par la peur ou la culpabilité, mais par l’empathie.

Pourquoi parler du don d’organes reste-t-il un défi sociétal ?

Malgré les progrès médicaux, le don d’organes souffre encore d’un déficit de communication dans les foyers français. Selon une étude récente citée par les organisateurs, près de 10 % des personnes atteintes d’insuffisance rénale ignorent leur maladie jusqu’à un stade avancé. Ce chiffre, alarmant, illustre une double réalité : le silence autour des maladies chroniques et l’absence de dialogue sur les choix de fin de vie.

Beaucoup de gens pensent que le don d’organes, c’est quelque chose qui arrive aux autres , confie Élise Garnier, coordinatrice médicale au Chicam. Ils ne se projettent pas dans cette situation, ni comme receveur, ni comme donneur. Et pourtant, chaque année, des centaines de personnes attendent une greffe en France.

C’est ce déni collectif que la Dotis’Run cherche à combattre. En organisant des ateliers d’information, des stands de dépistage et des échanges avec des professionnels, l’événement crée un espace où les questions peuvent enfin être posées. On ne veut pas faire de prosélytisme, précise Élise Garnier. On veut simplement permettre aux gens d’être mieux informés, pour qu’ils puissent ensuite en parler chez eux, autour d’un dîner, avec leurs enfants.

Comment les témoignages transforment-ils la perception du don ?

Au cœur de la Dotis’Run, les témoignages occupent une place centrale. Parmi eux, celui de Christophe Duval, ancien infirmier à l’hôpital d’Alençon, greffé d’un rein il y a dix-huit ans. J’étais en pleine carrière, raconte-t-il. Je soignais des patients en insuffisance rénale, et un jour, c’est moi qui me suis retrouvé sur un lit d’hémodialyse.

Christophe, aujourd’hui la soixantaine, porte un t-shirt floqué du slogan Je cours pour elle , en hommage à sa donneuse, une jeune femme de 24 ans décédée dans un accident de la route. On ne sait jamais rien d’eux, ni leur nom, ni leur visage. Mais on vit avec un morceau d’eux. C’est une dette invisible, mais immense.

Sa participation à la course n’est pas un exploit sportif, mais un acte symbolique. Courir, c’est prouver que je suis vivant. Que je profite. Que je n’oublie pas.

À ses côtés, Mathilde Renard, 32 ans, mère de deux enfants, témoigne à son tour. Diabétique depuis l’adolescence, elle a reçu une greffe de pancréas et de rein en 2021. Pendant des années, j’ai vécu avec la peur de l’urgence, de l’hospitalisation, de la mort. Aujourd’hui, je peux emmener mes enfants à l’école, faire du vélo, cuisiner sans compter les unités. C’est une liberté retrouvée.

Leur parole, simple et directe, touche les participants. Entendre ces histoires, ça change tout , confie Julien, 41 ans, venu courir pour la première fois. Avant, je pensais que le don d’organes, c’était une affaire de papiers. Maintenant, je comprends que c’est une affaire de cœur.

Quel rôle joue le Centre hospitalier dans cette mobilisation ?

Le Centre hospitalier intercommunal d’Alençon-Mamers (Chicam) est bien plus qu’un simple organisateur logistique. Il incarne une nouvelle approche de la santé publique, où la prévention, la pédagogie et la solidarité sont indissociables. Depuis l’arrivée de sa nouvelle direction en 2024, le Chicam a fait du don d’organes une priorité, non seulement médicale mais aussi culturelle.

Nous avons un devoir d’accompagnement , affirme le docteur Léa Moreau, coordinatrice du programme de greffe. Il ne s’agit pas seulement de prélever ou de transplanter, mais de créer un climat de confiance autour de ces pratiques.

Pour cela, le Chicam a mis en place des formations pour les soignants, des réunions d’information pour les familles, et surtout, des événements comme la Dotis’Run, qui sortent l’hôpital de ses murs. On veut que les gens associent l’hôpital à la vie, pas seulement à la maladie , sourit la docteure Moreau.

Le choix d’Alençon, ville moyenne sans grande visibilité nationale, est également stratégique. Ce n’est pas à Paris ou à Lyon que les mentalités changent le plus vite , observe Christophe Duval. C’est ici, dans les territoires, que les liens sont forts, que les gens se connaissent, s’écoutent. Une course comme celle-ci, c’est un grain de sable qui peut faire basculer des familles entières.

Quels impacts concrets peut avoir une telle mobilisation ?

Les effets de la Dotis’Run ne se mesurent pas seulement au nombre de participants. Ils se lisent dans les regards émus, les discussions engagées, les inscriptions spontanées sur le registre national des refus. Depuis deux ans que nous organisons cet événement, nous constatons une augmentation significative des déclarations de volonté , confirme Élise Garnier.

En 2025, plus de 1 200 personnes ont consulté le site du registre national durant le week-end de la course, un pic inhabituel pour une ville de 26 000 habitants. De plus, plusieurs centres de dialyse de la région ont signalé une hausse des questions posées par les patients sur les greffes.

Mais l’impact le plus fort reste humain. J’ai parlé du don avec mes parents pour la première fois dimanche matin, au petit-déjeuner , raconte Camille, 28 ans, participante à la course. On n’avait jamais abordé le sujet. Maintenant, on sait ce que chacun souhaite. C’est une conversation qu’on aurait dû avoir il y a longtemps.

C’est là tout l’enjeu : transformer un silence pesant en dialogue, une indifférence passive en décision éclairée. Comme le rappelle Christophe Duval : Le don d’organes, ce n’est pas un acte héroïque. C’est un acte humain. Et chaque humain a son mot à dire.

Comment encourager davantage de personnes à s’exprimer sur leurs volontés ?

La clé, selon les organisateurs, réside dans la normalisation du sujet. Il faut que parler du don d’organes devienne aussi naturel que parler de son assurance ou de son testament , estime la docteure Moreau. Pour cela, des campagnes d’information sont menées dans les écoles, les entreprises, les maisons de retraite.

Des outils simples sont proposés : des fiches explicatives, des vidéos de témoins, des formulaires de déclaration de volonté. On ne demande pas aux gens de prendre une décision dans l’urgence , précise Élise Garnier. On leur demande juste d’y penser, d’en parler, et de le dire à leurs proches.

Car c’est là que tout se joue : dans l’intimité des foyers. Même si vous êtes inscrit sur le registre, vos proches seront consultés en cas de décès , rappelle Christophe Duval. Alors, il faut leur dire. Ce n’est pas morbide. C’est responsable.

A retenir

Le don d’organes, est-ce vraiment utile aujourd’hui ?

Oui, plus que jamais. En France, près de 20 000 personnes vivent avec une greffe, mais plus de 4 000 attendent encore un organe. Chaque donneur peut sauver jusqu’à six vies. Le don de tissus (cornées, peau, os) permet également de restaurer la qualité de vie de dizaines d’autres patients.

Faut-il être en bonne santé pour être donneur ?

Non. Toute personne peut, en principe, devenir donneuse, quel que soit son âge ou son état de santé. C’est l’équipe médicale qui évalue, au cas par cas, la possibilité de prélèvement. Même avec certaines maladies, des organes ou tissus peuvent être utilisés.

Comment déclarer sa volonté de donner ses organes ?

Il existe plusieurs moyens : s’inscrire sur le registre national des refus (www.dondorganes.gouv.fr), en parler clairement à ses proches, ou rédiger une directive anticipée. Le plus important est que votre entourage connaisse votre choix.

Peut-on changer d’avis après avoir déclaré sa volonté ?

Oui, à tout moment. La déclaration de volonté n’est pas un engagement irrévocable. Vous pouvez la modifier ou la retirer en mettant à jour votre dossier sur le site du registre ou en informant votre famille.

Les religions sont-elles favorables au don d’organes ?

La majorité des grandes religions (catholicisme, protestantisme, judaïsme, islam) admettent le don d’organes comme un acte de solidarité et de charité. Des guides religieux sont disponibles auprès des associations de greffés ou des coordinations hospitalières.

Conclusion

La Dotis’Run d’Alençon est bien plus qu’une course. C’est un mouvement, une prise de parole collective, un hommage silencieux et vibrant à ceux qui, par un geste ultime, ont permis à d’autres de vivre. À travers les pas des coureurs, les voix des témoins, les sourires des greffés, c’est toute une communauté qui dit oui à la solidarité, non au silence. Et si chaque année, un peu plus de personnes osent parler, décider, transmettre, alors la course aura atteint son but : sauver, non pas seulement des vies, mais aussi des conversations.