Quand les couleurs prennent vie sur un mur blanc, elles ne dessinent pas seulement des formes ou des motifs : elles racontent des émotions, portent des espoirs, apaisent des silences. C’est cette conviction que porte Marie Hardy, artiste peintre originaire de Caen, depuis qu’elle a posé ses pinceaux sur les murs du centre de lutte contre le cancer François-Baclesse. Le 19 septembre, elle achevait une œuvre monumentale dans le salon des familles, un espace souvent traversé par l’angoisse, la fatigue et l’incertitude. Cette fresque, longue de plusieurs mètres, n’est pas qu’un simple ajout décoratif : elle incarne une tentative audacieuse de soigner par l’art, de transformer un lieu médical en espace de réconfort, de respiration et de beauté.
Pourquoi un artiste peint dans un hôpital ?
À première vue, un hôpital et un atelier d’artiste semblent appartenir à deux mondes éloignés. Pourtant, de plus en plus d’établissements médicaux intègrent l’art dans leur architecture et leur quotidien. Le but ? Humaniser les lieux, réduire le stress des patients et de leurs proches, et offrir des points d’ancrage sensoriels dans des environnements souvent aseptisés. Marie Hardy, dont le travail est marqué par une palette vibrante et des formes organiques qui évoquent la nature et le mouvement, a été choisie pour cette mission particulière. Je ne peins pas pour décorer, je peins pour toucher , confie-t-elle lors d’un entretien dans son atelier, un espace lumineux niché dans les ruelles du Vieux Caen.
Le salon des familles, où se trouve désormais sa fresque, est un lieu stratégique. Situé au cinquième étage du centre François-Baclesse, il accueille quotidiennement des proches de patients en cours de traitement, souvent confrontés à des attentes interminables, des décisions lourdes, ou des moments de solitude. Ce n’est pas un simple salon d’attente, c’est un refuge , précise Élodie Ravel, psychologue spécialisée en oncologie, qui travaille au sein du centre. Beaucoup de familles y passent des heures, parfois des journées entières. Un environnement apaisant peut faire une différence considérable sur leur état émotionnel.
Comment l’art peut-il influencer le bien-être des patients ?
Les études en psychologie environnementale et en art-thérapie convergent vers une conclusion étonnante : l’exposition à des œuvres d’art, même passivement, peut réduire le stress, diminuer la perception de la douleur, et améliorer l’humeur. Une recherche menée en 2020 par l’Institut de santé mentale de Lyon a montré que les patients hospitalisés dans des chambres dotées d’œuvres originales présentaient une baisse de 22 % de leur niveau d’anxiété par rapport à ceux dans des espaces neutres.
À François-Baclesse, cette dimension humaine est prise au sérieux. Le projet de fresque s’inscrit dans une politique plus large d’embellissement des espaces de soin, soutenue par la direction et par des donateurs privés. L’un d’eux, un couple ayant perdu un parent au cancer, a offert 200 000 euros au centre, dont une partie a été allouée à des initiatives artistiques. On ne guérit pas seulement avec des médicaments , explique Thomas Lefort, directeur du centre. L’environnement dans lequel les patients vivent leur maladie fait partie intégrante du parcours de soin.
Quel est le message de la fresque de Marie Hardy ?
L’œuvre de Marie Hardy n’est pas figurative. Elle ne représente ni visages, ni scènes narratives. Elle joue sur les contrastes de lumière, les courbes fluides, les teintes douces – des bleus profonds mêlés à des verts océan, des touches d’or et de rose pâle qui semblent flotter comme des souffles. Je voulais créer une impression de mouvement, de respiration , décrit-elle. Comme si la peinture elle-même respirait avec les personnes présentes.
Elle s’est inspirée de la nature : les vagues de la mer, les feuilles agitées par le vent, les nuages en dérive. J’ai pensé à la côte normande, à la lumière du matin sur l’eau, à la force tranquille des éléments , poursuit-elle. Ce n’est pas une évasion, c’est une ancrage dans quelque chose de plus grand que soi.
Les visiteurs réagissent différemment. Certains restent longtemps devant l’œuvre, silencieux. D’autres prennent des photos, non pas pour poster sur les réseaux, mais pour emporter un souvenir de ce moment de calme. J’y suis venue avec ma mère, qui suit une chimiothérapie , témoigne Léa Béranger, 28 ans. On s’est assises là, juste à regarder les couleurs. Elle a dit : “C’est comme si on pouvait respirer à nouveau.” Ce n’est pas grand-chose, mais c’est énorme.
Quel impact sur les soignants ?
Les bénéfices de l’art ne se limitent pas aux patients. Les soignants, souvent exposés à des situations émotionnellement intenses, trouvent eux aussi dans ces œuvres un espace de respiration. Quand je passe devant cette fresque, j’ai l’impression de faire une pause , confie Antoine Delmas, infirmier en oncologie depuis douze ans. Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est régénérant.
Marie Hardy a d’ailleurs tenu à impliquer le personnel soignant dans le processus. Avant de commencer, elle a mené plusieurs entretiens avec médecins, aides-soignants et psychologues pour comprendre leurs besoins, leurs ressentis face aux lieux de soin. Je ne voulais pas imposer une vision, mais proposer une œuvre qui résonne avec ceux qui vivent ici chaque jour , explique-t-elle. L’art, dans un hôpital, doit être un miroir, pas une distraction.
Un projet qui pourrait inspirer d’autres établissements ?
Le succès de cette fresque n’est pas passé inaperçu. Plusieurs centres hospitaliers de Normandie ont déjà contacté Marie Hardy pour envisager des collaborations similaires. Le CHU de Rouen étudie même la possibilité d’intégrer un programme artistique permanent, avec des résidences d’artistes et des ateliers ouverts aux patients.
Ce n’est pas une mode, c’est une nécessité , affirme Claire Vasseur, coordinatrice des projets culturels en milieu hospitalier au sein de la région Normandie. On parle de santé mentale, de prise en charge globale, mais on oublie souvent que l’environnement est un levier puissant. L’art, c’est du soin invisible.
Le centre François-Baclesse envisage d’ailleurs d’élargir le projet : une série de petites œuvres pourrait être installée dans les chambres des patients, et des ateliers de peinture proposés aux personnes en traitement. L’idée n’est pas de devenir artiste, mais de retrouver une forme de liberté, de contrôle sur quelque chose , précise Élodie Ravel. Quand on est malade, on perd souvent le sentiment d’agir sur sa vie. Créer, même un simple trait de crayon, c’est reprendre une part d’autonomie.
Comment l’artiste vit-elle cette expérience ?
Pour Marie Hardy, ce projet a été une transformation personnelle. Elle n’avait jamais travaillé dans un hôpital auparavant. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas comprendre la souffrance , avoue-t-elle. Mais en rencontrant les patients, en voyant leurs regards posés sur mes esquisses, j’ai compris que l’art n’a pas besoin de tout dire. Parfois, il suffit d’être là.
Elle raconte une scène marquante : un homme âgé, en fauteuil roulant, est resté vingt minutes devant un détail de la fresque – une fine ligne dorée traversant un fond bleu. Il ne parlait pas, mais il souriait. Plus tard, sa fille m’a dit qu’il n’avait pas souri depuis des semaines. Ce genre de moment, c’est ce qui donne un sens à tout le reste.
A retenir
Quel est l’objectif de la fresque de Marie Hardy à François-Baclesse ?
L’objectif est de transformer un espace médical en lieu de réconfort, en utilisant l’art comme levier d’apaisement émotionnel pour les patients, leurs familles et les soignants. La fresque vise à humaniser l’environnement hospitalier et à offrir un moment de respiration dans un contexte difficile.
Est-ce que l’art a un effet mesurable sur la santé ?
Oui, plusieurs études montrent que l’exposition à des œuvres d’art peut réduire l’anxiété, diminuer la perception de la douleur et améliorer l’humeur des patients hospitalisés. L’art-thérapie est d’ailleurs de plus en plus intégrée dans les parcours de soin, notamment en oncologie.
Qui est Marie Hardy ?
Marie Hardy est une artiste peintre originaire de Caen, connue pour son style abstrait et organique, fortement inspiré par la nature. Elle a réalisé une fresque monumentale dans le salon des familles du centre de lutte contre le cancer François-Baclesse, dans le cadre d’un projet visant à enrichir l’environnement des soins par l’art.
Le projet pourrait-il s’étendre à d’autres hôpitaux ?
Oui, plusieurs établissements en Normandie ont déjà manifesté leur intérêt pour des initiatives similaires. Le succès de l’œuvre de Marie Hardy ouvre la voie à des programmes artistiques plus larges, incluant des résidences d’artistes et des ateliers créatifs pour les patients.
Les soignants bénéficient-ils aussi de ces œuvres ?
Absolument. Les professionnels de santé, régulièrement exposés au stress et à la souffrance, trouvent dans ces espaces artistiques des moments de pause et de régénération. L’art devient ainsi un outil de prévention du burn-out et de soutien au bien-être au travail.
À François-Baclesse, la peinture de Marie Hardy ne guérit pas le cancer. Mais elle offre quelque chose de précieux : un souffle, un regard, un espace où l’âme peut reprendre ses droits. Dans un monde où la médecine avance à coups de protocoles et de technologies, il est rassurant de savoir que la couleur, le geste, l’émotion, ont encore leur place. Et que parfois, un simple trait de pinceau peut dire ce que les mots n’arrivent pas à exprimer.