En ce début d’année 2025, le Centre hospitalier intercommunal d’Alençon-Mamers (Chicam) est au bord du gouffre. Alors que les services de santé publique sont censés répondre aux besoins croissants d’une population vieillissante et de plus en plus fragile, l’établissement, qui dessert une zone rurale déjà en tension médicale, se retrouve pris dans une spirale financière inquiétante. Le déficit, estimé à onze millions d’euros, place le Chicam parmi les hôpitaux les plus fragilisés de Normandie, selon l’Agence régionale de santé (ARS). Face à cette crise, la direction a lancé un plan de retour à l’équilibre, dont les contours inquiètent fortement les personnels, les syndicats et les usagers. Les mesures envisagées – suppressions d’emplois, réduction des lits, fermetures de services – ne sont pas seulement des ajustements budgétaires : elles menacent l’avenir même de l’accès aux soins dans cette région périphérique. À travers des témoignages de terrain, une analyse des causes profondes et un regard sur les solutions possibles, cet article explore les enjeux d’un hôpital en sursis.
Quel est l’état des finances du Chicam en 2025 ?
Le bilan financier du Centre hospitalier intercommunal d’Alençon-Mamers fait froid dans le dos. Un déficit cumulé de onze millions d’euros, révélé début 2025, place l’établissement sous la surveillance rapprochée de l’Agence régionale de santé. Ce chiffre n’est pas seulement une donnée comptable : il reflète une dégradation structurelle. Selon les documents internes consultés, les recettes n’ont cessé de diminuer alors que les coûts de fonctionnement, notamment salariaux et énergétiques, ont grimpé en flèche. Le directeur général, dans une réunion tendue avec les représentants du personnel, a reconnu une dérive dans la gestion des années précédentes, marquée par des recrutements non maîtrisés et des investissements mal calibrés. Mais cette reconnaissance ne suffit pas à apaiser les tensions. Pour Élodie Vasseur, infirmière en réanimation depuis douze ans, ce déficit, c’est le résultat d’une politique de sous-financement chronique, pas d’une mauvaise gestion locale. On nous fait payer les conséquences d’un système qui abandonne les hôpitaux de province .
Pourquoi un tel déficit s’est-il accumulé ?
Les causes du désastre financier sont multiples. D’abord, le modèle de financement hospitalier, basé sur la tarification à l’activité (T2A), pénalise les établissements comme Alençon-Mamers, qui accueillent une population souvent âgée, poly-pathologique, et nécessitant des prises en charge longues et coûteuses. Or, ces soins ne sont pas suffisamment valorisés dans les grilles de remboursement. Ensuite, la désertification médicale frappe de plein fouet la région. Malgré les efforts de recrutement, plusieurs postes restent vacants, notamment en gériatrie et en médecine générale. Cela entraîne une surcharge de travail pour les équipes en place, mais aussi une baisse de l’activité facturable. Enfin, les coûts structurels ont explosé : énergie, maintenance des bâtiments anciens, logiciels de gestion – rien n’a été épargné par l’inflation. Le directeur admet que des erreurs ont été commises , notamment dans la sous-traitance de certains services, mais insiste sur le fait que l’hôpital a été laissé seul face à des défis nationaux .
Le plan de retour à l’équilibre, en cours de discussion, prévoit des mesures drastiques. Une cinquantaine de postes pourrait être supprimée, notamment par non-remplacement de départs en retraite. Des services entiers, comme l’unité de soins de suite ou une partie de la maternité, risquent de voir leur activité réduite. Pour les agents, c’est un coup dur. On se bat tous les jours pour maintenir la qualité des soins, et on nous dit maintenant qu’on va nous couper les bras , s’indigne Julien Marceau, technicien de laboratoire. Les syndicats, notamment la CGT, dénoncent une situation insoutenable . L’une des élues syndicales, Sophie Lenoir, n’hésite pas à lancer : Si on était une entreprise privée, on vivrait un plan social. Ici, c’est pire : on assiste à une mise à mort lente, sans accompagnement, sans solidarité . Les patients, eux, redoutent de devoir parcourir des dizaines de kilomètres pour accéder à des soins simples. Jeanne, 78 ans, habitante de Mamers, raconte : Avant, je venais ici pour mes bilans sanguins. Maintenant, ils me disent que le laboratoire va fermer deux jours par semaine. À mon âge, prendre la voiture, c’est risqué .
Les élus locaux sont-ils mobilisés ?
Face à la crise, les élus locaux sont divisés. Certains, comme le maire d’Alençon, appellent à un sursaut collectif et demandent une intervention rapide de l’État. D’autres, plus critiques, reprochent à la direction une gestion opaque et inefficace. Le président du conseil départemental de l’Orne, quant à lui, souligne que les hôpitaux de territoire sont le poumon de nos campagnes et qu’il ne laissera pas un établissement aussi stratégique être sacrifié sur l’autel des comptes . Cependant, les leviers d’action des collectivités sont limités. L’hôpital est un établissement public de santé, financé principalement par l’Assurance maladie et supervisé par l’ARS. Les subventions locales ne peuvent combler un déficit de cette ampleur. Une délégation d’élus locaux et de représentants syndicaux a toutefois été reçue par le ministère de la Santé en septembre 2025. Le ministre, interrogé sur la situation, a déclaré qu’ Alençon, c’est la preuve qu’il y a des solutions , sans toutefois préciser lesquelles.
Existe-t-il des alternatives au plan d’austérité ?
Plusieurs pistes sont discutées. D’abord, une revalorisation du financement public, en tenant compte de la spécificité des hôpitaux ruraux. Des experts en gestion hospitalière proposent un nouveau modèle de financement, basé sur la charge de population et la complexité des prises en charge, plutôt que sur l’activité pure. Ensuite, des mutualisations avec d’autres établissements de la région pourraient permettre des économies d’échelle, notamment en logistique, en informatique ou en gestion des ressources humaines. Enfin, des partenariats avec les universités ou les centres de recherche pourraient attirer des financements complémentaires. Mais ces solutions nécessitent du temps, de la coordination, et surtout une volonté politique forte. On ne peut pas continuer à bricoler , affirme le professeur Antoine Régnier, économiste de la santé. Il faut repenser le modèle des hôpitaux de proximité. Sinon, on en sacrifiera un par an dans les années à venir .
Quel avenir pour les hôpitaux de proximité en France ?
Le cas du Chicam n’est malheureusement pas isolé. Des dizaines d’hôpitaux ruraux traversent des crises similaires, de l’Ariège à la Meuse. La question du maintien d’un service public de santé de qualité sur tout le territoire se pose avec acuité. Les populations redoutent une deux-speed medicine : des centres urbains ultra-équipés, et des zones rurales livrées à elles-mêmes. Le risque, selon les sociologues, est une fracture territoriale qui aggrave les inégalités de santé. Quand on ferme un service, ce n’est pas seulement un lit qui disparaît, c’est une relation de confiance avec les habitants , explique la docteure Clara Ménard, coordinatrice de soins en milieu rural. Pour elle, chaque fermeture fragilise le tissu social. Les gens ne viennent plus, ils se soignent moins, ils meurent plus tôt .
Comment les personnels tentent-ils de résister ?
Malgré l’épuisement, les agents du Chicam s’organisent. Des grèves ponctuelles ont été menées, des pétitions circulent, des collectifs de soutien se créent dans les villages alentour. Un collectif d’infirmières a même lancé une campagne de témoignages sur les réseaux sociaux, intitulée Nos mains ne lâcheront pas . L’une d’entre elles, Camille Faure, raconte : J’ai vu des patients pleurer parce qu’ils apprenaient que leur service allait fermer. Ce n’est pas du travail, c’est une vocation. Et on ne nous demande pas notre avis . Les médecins, eux, s’unissent pour défendre la continuité des soins. Le Dr Olivier Tessier, chef de service en gériatrie, alerte : Si on ferme, les personnes âgées seront transférées à 60 km. Dans des conditions de transport souvent inhumaines. On parle de dignité, ici, pas seulement de budget .
Quelle est la réponse de l’Agence régionale de santé ?
L’ARS Normandie reconnaît la gravité de la situation mais insiste sur l’obligation de redressement financier . L’agence a mis en place un suivi renforcé du Chicam, avec des audits trimestriels et des recommandations strictes. Elle soutient que des aides ponctuelles peuvent être débloquées, mais uniquement en contrepartie de réformes structurelles. Pour certains, cela ressemble à une chape de plomb. Ils nous demandent de maigrir, mais sans nous dire où trouver de la nourriture , ironise Marc Dubreuil, agent administratif. L’ARS affirme toutefois étudier des solutions alternatives, comme la transformation de certains services en pôles de santé primaires intégrés, où médecins libéraux, infirmiers et hôpitaux collaboreraient plus étroitement. Une expérimentation est en cours à Mamers, mais son impact reste à prouver.
Quelles leçons tirer de cette crise ?
La situation du Chicam est un miroir des tensions qui traversent le système hospitalier français. Elle montre les limites d’un modèle centré sur la performance comptable, au détriment de la qualité des soins et de la proximité. Elle révèle aussi l’urgence de repenser la gouvernance des établissements de santé, en associant davantage les personnels, les usagers et les élus locaux. Enfin, elle interpelle sur le rôle de l’État : peut-on accepter que des hôpitaux, censés garantir l’égalité d’accès aux soins, soient menacés de disparition faute de moyens ? La réponse à cette question déterminera l’avenir de la santé publique en France.
A retenir
Quel est le montant du déficit du Chicam en 2025 ?
Le déficit du Centre hospitalier intercommunal d’Alençon-Mamers s’élève à onze millions d’euros, l’un des plus importants de Normandie selon l’Agence régionale de santé.
Des suppressions d’emplois sont-elles prévues ?
Oui, environ cinquante postes pourraient être supprimés, principalement par non-remplacement de départs en retraite, dans le cadre du plan de retour à l’équilibre.
Les services médicaux sont-ils menacés ?
Plusieurs services sont en sursis, notamment l’unité de soins de suite et une partie de la maternité, dont l’activité pourrait être réduite ou transférée.
Les élus soutiennent-ils les personnels ?
Les élus locaux sont partagés, mais une majorité appelle à une mobilisation pour sauver l’hôpital, en demandant une intervention urgente de l’État.
Existe-t-il des alternatives aux fermetures ?
Oui, des pistes comme la mutualisation des services, un nouveau modèle de financement ou des pôles de santé intégrés sont envisagées, mais elles nécessitent un engagement politique fort.