Dans un petit coin de Bretagne, une initiative inédite allie solidarité, éducation routière et inclusion. Ce mercredi 24 septembre 2025, à Loudéac, une matinée ordinaire s’est transformée en moment historique pour neuf adultes en situation de handicap. Accueillis par une auto-école, accompagnés par leurs éducateurs et encadrés par des gendarmes, ils ont vécu une immersion complète dans les règles de sécurité routière – non pas comme conducteurs, mais comme piétons. Ce projet, fruit d’une collaboration entre la brigade de gendarmerie de Loudéac, l’auto-école Célio et le foyer de vie Bel-Orient, marque un tournant dans l’autonomisation des personnes en situation de handicap. Il ne s’agissait pas seulement d’un cours théorique, mais d’un apprentissage concret, humain, et profondément ancré dans le quotidien.
Quelle est l’origine de cette initiative inédite ?
L’idée est née d’une observation simple mais puissante : beaucoup d’adultes accueillis au foyer de vie Bel-Orient à Hémonstoir souhaitent gagner en autonomie, notamment pour se déplacer seuls en ville. Or, cette liberté comporte des risques, surtout dans un environnement routier parfois complexe. Kristell Le Texier, éducatrice passionnée, a longtemps réfléchi à la manière de leur transmettre les bons réflexes sans les surprotéger. On ne veut pas qu’ils restent enfermés par peur de l’extérieur, explique-t-elle. Mais on ne peut pas non plus les lancer dans la rue sans préparation. C’est en discutant avec Manon Mautray, sa collègue, qu’elles ont imaginé un partenariat avec l’auto-école Célio. L’établissement, réputé pour son engagement local, a répondu présent, tout comme la gendarmerie de Loudéac, sensible à la prévention routière.
Adjudante Maryline Quinquis, impliquée dans de nombreuses actions de sensibilisation, a tout de suite vu le potentiel de ce projet. La sécurité routière ne concerne pas que les automobilistes, insiste-t-elle. Les piétons, surtout lorsqu’ils ont des besoins spécifiques, doivent être accompagnés pour comprendre les codes de la circulation, les passages protégés, les intersections dangereuses. Cette synergie entre institution, éducation et accompagnement social a donné naissance à une journée entière dédiée à la mobilité sécurisée.
Comment s’est déroulée la journée de sensibilisation ?
La matinée a commencé dans les locaux de l’auto-école Célio, au 35 rue de Cadélac. Catherine Bouchard, la secrétaire, avait préparé un accueil chaleureux. Séverine Rémy, monitrice de conduite expérimentée, a animé la partie théorique. À l’aide de supports visuels, de vidéos et de jeux de rôle, elle a expliqué les règles du code de la route du point de vue du piéton : traverser au feu vert, utiliser les passages cloutés, respecter les distances de sécurité avec les véhicules, identifier les zones à risque. On a insisté sur les comportements à risque, comme traverser entre deux voitures ou écouter de la musique avec des écouteurs , précise-t-elle.
Les participants, attentifs et curieux, posaient des questions précises. Jean-Marc, 38 ans, atteint d’un handicap moteur et d’un trouble du spectre autistique, a notamment demandé pourquoi certains feux piétons sont plus longs que d’autres. C’est une excellente question, a répondu Séverine. Dans les villes, les feux sont adaptés pour que tout le monde puisse traverser en sécurité, même si on marche lentement. Ce type d’échange a permis de renforcer la compréhension et de dédramatiser les règles.
L’après-midi a été consacré à la mise en pratique. Encadrés par les éducateurs, les gendarmes et les moniteurs, les neuf participants ont arpenté les rues de Loudéac, empruntant les trajets qu’ils pourraient un jour faire seuls – vers la boulangerie, la poste ou le supermarché. On a simulé des situations réelles : traversée d’une rue à deux voies, passage piéton sans feu, croisement avec un cycliste , décrit Maryline Quinquis. Certains ont hésité, d’autres ont pris confiance. Léa, 31 ans, qui vit avec un handicap visuel partiel, a réussi à traverser seule une avenue passante, guidée par les sons et les repères tactiles. Je me suis sentie forte, a-t-elle confié. Je savais ce que je devais faire.
Pourquoi un permis piéton et quel est son impact ?
À l’issue de la journée, chaque participant a reçu un permis piéton , un document symbolique mais puissant, remis lors d’une petite cérémonie. Ce certificat, personnalisé avec photo et nom, atteste qu’ils ont assimilé les bases de la sécurité routière. Ce n’est pas une blague, précise Kristell Le Texier. Ce permis, c’est une reconnaissance. C’est dire à ces personnes : vous êtes capables, vous avez appris, vous pouvez y aller.
Pour les bénéficiaires, ce geste a une résonance profonde. Thierry, 42 ans, qui vit avec une trisomie 21, a montré son permis à sa mère au téléphone, visiblement fier. Je peux aller acheter mon pain tout seul maintenant , a-t-il affirmé. Ce petit bout de papier représente bien plus qu’un souvenir : c’est une clé vers l’autonomie. Et pour les éducateurs, c’est un outil pédagogique qu’ils pourront réutiliser dans les semaines à venir, en évaluant la progression de chacun.
Quels sont les bénéfices concrets pour les personnes en situation de handicap ?
Le gain principal est la confiance en soi. Beaucoup de nos résidents ont été surprotégés toute leur vie, analyse Manon Mautray. On leur dit souvent “non” par sécurité. Là, on leur dit “oui, vous pouvez”, avec les bons outils. Cette dynamique change la donne. Elle permet de sortir du cercle de la dépendance pour entrer dans celui de la responsabilité.
En outre, cette journée a permis de repérer les difficultés spécifiques de chacun. Jean-Marc, par exemple, a du mal à interpréter les sons de la circulation en milieu urbain. L’équipe éducative va donc travailler avec lui sur des ateliers auditifs. Léa, elle, a besoin de repères visuels renforcés. Des solutions concrètes sont déjà envisagées : signalétique adaptée, balises sonores, ou accompagnement progressif.
Le projet a aussi eu un effet de groupe. Les participants se sont encouragés, ont partagé leurs stratégies. C’était comme une classe, mais avec de la bienveillance, observe Catherine Bouchard. Ils se sont soutenus. Ce renforcement social est essentiel pour des personnes souvent isolées ou stigmatisées.
Quel avenir pour cette action de sensibilisation ?
Tous les acteurs du projet sont unanimes : il faut recommencer. On a vu l’impact, on ne peut pas s’arrêter là , affirme Kristell Le Texier. L’idée est d’organiser des sessions régulières, peut-être une fois par trimestre, en variant les thématiques : sécurité à vélo, comportement dans les transports en commun, ou même sensibilisation aux conducteurs via des témoignages.
La gendarmerie envisage d’intégrer cette action à ses dispositifs de prévention routière. Pourquoi ne pas étendre cela à d’autres foyers, ou aux écoles ? suggère Maryline Quinquis. L’auto-école Célio, quant à elle, réfléchit à une formation spécifique pour ses moniteurs, afin qu’ils soient mieux préparés à accueillir des publics en situation de handicap.
Un autre axe d’évolution serait de créer un parcours sécurisé, type ville miniature , où les usagers pourraient s’entraîner en milieu protégé. Ce serait idéal pour les débutants, ou pour ceux qui ont besoin de répétition , ajoute Séverine Rémy.
Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience pour la société ?
Cette initiative montre que l’inclusion ne se décrète pas : elle se construit pas à pas, avec des gestes concrets. Elle interpelle aussi sur la nécessité d’adapter nos espaces publics. À Loudéac, on a vu que certains passages piétons sont trop courts, ou mal visibles, souligne Manon Mautray. Ce n’est pas seulement un problème d’éducation, c’est aussi un problème d’aménagement.
Le projet illustre aussi la force de la collaboration entre acteurs locaux. Gendarmerie, auto-école, foyer de vie : trois mondes différents, unis par une même volonté. On a trop souvent l’impression que les institutions ne communiquent pas, regrette Kristell Le Texier. Là, on a prouvé que c’était possible.
Enfin, cette journée rappelle que la sécurité routière est un droit pour tous, y compris pour ceux qui ne conduisent pas. Être piéton, ce n’est pas secondaire, insiste Maryline Quinquis. C’est un mode de déplacement à part entière. Et il faut l’enseigner comme tel.
A retenir
Quel est l’objectif du permis piéton ?
Le permis piéton vise à sensibiliser les adultes en situation de handicap aux règles de sécurité routière en tant que piétons. Il leur permet d’acquérir les connaissances et les réflexes nécessaires pour se déplacer en toute autonomie et sécurité, dans un cadre urbain ou rural.
Qui a organisé cette session ?
L’initiative a été portée par Kristell Le Texier et Manon Mautray, éducatrices au foyer de vie Bel-Orient. Elle a été mise en œuvre en collaboration avec l’auto-école Célio (représentée par Catherine Bouchard et Séverine Rémy) et la brigade de gendarmerie de Loudéac, notamment l’adjudante Maryline Quinquis.
Quelles compétences ont été travaillées ?
Les participants ont appris à identifier les passages piétons, à traverser en sécurité, à anticiper les comportements des véhicules, à utiliser les feux tricolores, et à repérer les zones à risque. La formation a combiné théorie et mise en situation réelle dans les rues de Loudéac.
Est-ce une action ponctuelle ou pérenne ?
Bien que ce soit la première session de ce type dans la région, tous les partenaires envisagent de la renouveler régulièrement. Des extensions du projet sont également à l’étude, notamment vers d’autres publics ou d’autres modes de déplacement.
Quel impact psychologique cette journée a-t-elle eu sur les participants ?
La journée a renforcé la confiance en soi des bénéficiaires. Le permis piéton est perçu comme une reconnaissance de leurs capacités. Beaucoup expriment désormais le désir de faire des courses ou des trajets seuls, signe d’une réelle avancée vers l’autonomie.