Obésité : ce que les décideurs ne veulent pas que vous sachiez

En France, l’obésité touche près de 17 % de la population adulte, un chiffre qui ne cesse d’augmenter depuis les années 1990. Pourtant, malgré cette progression inquiétante, le pays tarde à reconnaître l’obésité comme une maladie chronique. Contrairement à d’autres nations européennes, la France ne l’a pas encore classée comme affection de longue durée, ce qui freine l’accès à des soins complets pour des milliers de personnes. Une série de podcasts réalisée par des étudiants en journalisme de l’IUT de Lannion, intitulée Parler d’obésité, plonge au cœur de cette controverse. À travers cinq épisodes, elle décrypte les relations entre chercheurs, décideurs politiques et journalistes, tout en donnant la parole à ceux que l’on entend trop rarement : les personnes vivant avec l’obésité. Ce récit, à la croisée de l’économie, de la science et de la politique, révèle combien la gestion de cette épidémie silencieuse est marquée par des enjeux bien au-delà de la santé publique.

Quelle définition de l’obésité en France ?

Le terme obésité renvoie à un excès de masse grasse pouvant nuire à la santé. Mesurée par l’indice de masse corporelle (IMC), elle est définie à partir de 30 kg/m². Mais cette définition, purement quantitative, occulte souvent les dimensions psychologiques, sociales et économiques de la condition. En France, l’obésité est abordée principalement sous l’angle du comportement individuel : alimentation, sédentarité, manque de volonté. Cette vision réductrice, soulignent les chercheurs, empêche de comprendre les déterminants structurels — tels que l’accès inégal à une alimentation saine ou les conditions de vie précaires.

Camille Leblanc, chercheuse en sociologie à l’université de Rennes, observe depuis une décennie les politiques de santé publique. On parle d’obésité comme d’un échec personnel, alors que les données montrent que les classes populaires sont deux fois plus touchées que les classes supérieures. Comment peut-on ignorer le rôle des environnements urbains, des cantines scolaires, ou du marketing agressif des produits ultra-transformés ? interroge-t-elle. Selon elle, la stigmatisation des personnes en surpoids est un obstacle majeur à une prise en charge efficace.

Pourquoi l’obésité n’est-elle pas reconnue comme une ALD ?

En France, les affections de longue durée (ALD) bénéficient d’un remboursement à 100 % des soins liés à la maladie. Le diabète, l’asthme ou encore l’insuffisance cardiaque en font partie. Pourtant, l’obésité, malgré ses complications souvent sévères — hypertension, troubles articulaires, dépression — reste en dehors de cette liste. Une situation que dénonce Élodie Ferron, 42 ans, atteinte d’obésité morbide depuis l’adolescence. J’ai subi trois opérations du genou, je suis suivie pour un syndrome d’apnées du sommeil, et pourtant, mes consultations de nutrition ou de psychologie ne sont que partiellement remboursées. On me dit que c’est ma faute, mais personne ne m’a jamais demandé ce que j’avais vécu.

Le refus de classer l’obésité comme ALD repose sur plusieurs arguments. D’abord, une crainte des coûts pour la Sécurité sociale. Ensuite, une hésitation médicale : certaines personnes en surpoids sont métaboliquement saines, tandis que d’autres, de poids normal , présentent des risques cardiovasculaires élevés. Enfin, une réticence culturelle à considérer un état jugé modifiable comme une maladie. Mais cette position est de plus en plus contestée. L’obésité est une maladie chronique, multifactorielle, avec des composantes génétiques, environnementales et psychologiques , affirme le Pr Laurent Vidal, endocrinologue à l’hôpital de Nantes. Refuser cette reconnaissance, c’est refuser la réalité scientifique.

Quelles politiques ont été mises en place depuis les années 1990 ?

La France a lancé plusieurs plans nationaux de lutte contre l’obésité, le premier en 2001. Le Programme national nutrition santé (PNNS), révisé à plusieurs reprises, vise à promouvoir une alimentation équilibrée et l’activité physique. Mais selon les analyses, ces campagnes ont eu un impact limité. On a mis en place des messages de prévention, mais on n’a pas touché aux causes profondes , explique Thomas Régnier, journaliste spécialisé dans les politiques de santé. Pendant que l’État lançait des spots sur le bien-manger, les industriels de l’agroalimentaire multipliaient les publicités pour les snacks sucrés, surtout auprès des enfants.

Le PNNS a été critiqué pour son approche culpabilisante. Les affiches montrant des fruits ou des silhouettes idéalisées ont souvent été perçues comme moralisatrices. On nous dit de manger 5 fruits et légumes par jour, mais dans certaines banlieues, il n’y a pas de magasins proposant des produits frais à un prix abordable , souligne Samir Bendjelloul, éducateur sportif dans un quartier populaire de Marseille. Les campagnes de communication ne servent à rien si elles ne s’accompagnent pas de mesures concrètes : subventions pour les légumes, encadrement de la publicité, aménagement des espaces publics.

En 2018, un nouveau plan obésité est annoncé, avec un accent mis sur la prise en charge des enfants. Des consultations spécialisées sont créées, des partenariats avec les collectivités territoriales sont développés. Mais là encore, les moyens restent insuffisants. On a besoin de centaines de centres spécialisés, on en a une cinquantaine , regrette le Pr Vidal. Et les délais d’attente pour une chirurgie bariatrique peuvent dépasser deux ans.

Quel rôle jouent les industriels de l’agroalimentaire ?

Les lobbys de l’agroalimentaire ont une influence importante sur les politiques publiques. Des réunions informelles entre représentants d’entreprises et hauts fonctionnaires sont régulièrement organisées, notamment au sein de comités d’experts. On parle de santé publique, mais les décisions sont souvent prises en concertation avec des acteurs dont l’intérêt premier est le profit , alerte Camille Leblanc. Le système Nutri-Score, par exemple, a été critiqué par certains fabricants de produits laitiers ou de charcuterie, dont les produits obtiennent souvent des notes médiocres. Certains ont même menacé de le boycotter.

En 2023, une enquête révèle que plusieurs membres d’un groupe de travail sur l’obésité étaient en lien avec des firmes produisant des boissons sucrées. Ces conflits d’intérêts, bien que déclarés, soulèvent des questions éthiques. Quand on demande à une entreprise de participer à la solution alors qu’elle fait partie du problème, on ne peut pas s’attendre à des mesures radicales , commente Thomas Régnier. Des pays comme le Mexique ou le Royaume-Uni ont instauré une taxe sur les boissons sucrées, entraînant une baisse significative de leur consommation. En France, cette mesure reste bloquée par des arguments économiques et de concurrence fiscale avec les pays voisins.

Quelles sont les conséquences sociales de l’obésité ?

La stigmatisation des personnes en surpoids est omniprésente. Dans les transports, les vêtements, les cabinets médicaux, l’espace n’est pas conçu pour elles. Je me souviens d’une consultation où le médecin n’avait pas de blouse assez grande, et m’a dit : ‘‘Vous devriez penser à maigrir’’, alors que je venais pour une infection urinaire , raconte Élodie Ferron. Ce genre d’expérience, c’est ce qui pousse beaucoup de gens à éviter les soins.

Le milieu professionnel n’est pas en reste. Une étude de 2022 montre que les personnes en obésité ont 30 % moins de chances d’être recrutées à poste et compétences égales. On me dit que je n’ai pas l’image de l’entreprise , témoigne Malik Tazi, commercial dans une enseigne de prêt-à-porter. Mais je suis performant, j’ai les meilleurs chiffres de l’équipe. Pourquoi mon apparence devrait-elle compter plus que mon travail ?

La souffrance psychologique est souvent sous-estimée. L’obésité n’est pas une fatalité, mais elle n’est pas non plus une simple question de volonté , insiste le Dr Amina Belkacem, psychologue spécialisée dans les troubles alimentaires. Derrière chaque personne en surpoids, il peut y avoir des traumatismes, des troubles du comportement alimentaire, ou des traitements médicamenteux qui favorisent la prise de poids. Il faut arrêter de juger, et commencer à écouter.

Quels espoirs pour 2026 ?

En 2024, le gouvernement annonce vouloir faire de la lutte contre l’obésité une priorité nationale d’ici 2026. Un engagement symbolique, mais dont les contours restent flous. Il faut plus qu’un slogan , prévient Camille Leblanc. Il faut des lois contraignantes sur la publicité, des subventions pour les produits sains, une reconnaissance médicale de l’obésité, et surtout, une campagne de sensibilisation qui ne culpabilise pas les gens.

Les étudiants à l’origine du podcast espèrent que leur travail contribuera à changer le regard. On a voulu sortir des clichés, des chiffres froids, pour donner une voix à ceux qui en ont été privés , explique Léa Kerdraon, l’une des réalisatrices. Parler d’obésité, ce n’est pas parler d’un problème de poids. C’est parler de dignité, d’accès aux soins, de justice sociale.

Conclusion

L’obésité en France est bien plus qu’une question de santé individuelle. C’est un enjeu de société, traversé par des enjeux économiques, politiques et éthiques. Pendant des décennies, les pouvoirs publics ont oscillé entre inaction, communication moralisatrice et compromis avec les lobbys. Mais le mouvement semble s’inverser. Avec la pression croissante des scientifiques, des associations et des citoyens, la reconnaissance de l’obésité comme maladie chronique pourrait enfin devenir une réalité. Le défi, désormais, est de transformer les annonces politiques en mesures concrètes, efficaces et inclusives.

FAQ

Qu’est-ce que le PNNS ?

Le Programme national nutrition santé est une politique publique lancée en 2001 pour améliorer l’alimentation des Français et réduire les maladies chroniques liées à l’alimentation. Il repose sur des recommandations alimentaires, des campagnes de communication et des partenariats avec les acteurs de l’agroalimentaire.

Qu’est-ce que la chirurgie bariatrique ?

Il s’agit d’une intervention chirurgicale destinée à réduire la capacité de l’estomac ou à modifier l’absorption des nutriments. Elle est proposée en cas d’obésité sévère, notamment lorsque d’autres traitements ont échoué. Elle peut entraîner une perte de poids importante et améliorer des complications comme le diabète de type 2.

Pourquoi l’obésité est-elle considérée comme une maladie chronique ?

Parce qu’elle évolue sur le long terme, qu’elle comporte des risques de complications multiples (cardiovasculaires, respiratoires, psychologiques), et qu’elle nécessite une prise en charge médicale continue. De nombreuses sociétés savantes, dont l’Organisation mondiale de la santé, reconnaissent l’obésité comme une maladie à part entière.

Qu’est-ce que le Nutri-Score ?

Il s’agit d’un système d’étiquetage nutritionnel mis en place en France pour aider les consommateurs à choisir des aliments plus sains. Il attribue une note de A (meilleure) à E (moins bonne) selon la qualité nutritionnelle du produit. Ce système est progressivement adopté dans plusieurs pays européens.

A retenir

Quel est le principal frein à la reconnaissance de l’obésité comme ALD en France ?

Le principal frein est une combinaison de craintes budgétaires, de réticences médicales liées à la diversité des profils, et d’une culture politique qui tend à responsabiliser l’individu plutôt qu’à agir sur les déterminants sociaux et environnementaux.

Quel rôle les citoyens peuvent-ils jouer dans l’évolution des politiques contre l’obésité ?

Les citoyens, notamment les personnes concernées, peuvent s’organiser en associations, participer aux consultations publiques, alerter les médias et les élus, et exiger une prise en charge digne et équitable. Leur parole est essentielle pour humaniser le débat et pousser à des réformes durables.