En ce début d’automne 2025, l’atmosphère politique autour du système de santé en Bretagne est tendue. L’annulation inattendue d’une rencontre entre la nouvelle directrice de l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne, Véronique Solère, et les élus du territoire de Guingamp a provoqué une onde de mécontentement dans les rangs locaux. Ce rendez-vous, initialement prévu pour le jeudi 9 octobre, devait permettre d’aborder les enjeux critiques liés à l’hôpital public de Guingamp, un établissement au cœur des préoccupations sanitaires et sociales de la région. Mais l’absence de la directrice, sans véritable explication officielle, a ravivé les tensions entre les représentants territoriaux et l’administration centrale, relançant un débat plus large sur la gouvernance hospitalière et la place des élus dans les décisions qui impactent directement leurs concitoyens.
Quelle est l’origine du malaise entre l’ARS et les élus de Guingamp ?
Le malaise remonte à la décision initiale de Véronique Solère de ne rencontrer que Pierre Salliou, maire de Pabu et président du conseil de surveillance de l’hôpital de Guingamp. Ce choix, perçu comme restrictif, a aussitôt suscité des réactions. Vincent Le Meaux, président de Guingamp-Paimpol Agglomération, a publiquement exprimé son intention de s’inviter à cette réunion, estimant que les enjeux sanitaires du territoire concernent l’ensemble des élus, et non un seul représentant. L’hôpital est un service public vital pour près de 60 000 habitants, souligne-t-il. Il est inacceptable que des décisions qui nous concernent tous soient discutées en vase clos.
Pourtant, alors que les discussions semblaient s’engager vers un compromis, l’ARS a annoncé l’annulation pure et simple du rendez-vous, sans proposer de date de report. Cette décision, tombée comme un couperet, a été interprétée comme un affront par plusieurs élus locaux. On nous dit : “Venez, mais pas trop nombreux”. Et quand on réagit, on nous ferme la porte au nez , déplore Élodie Kerlec, conseillère municipale à Paimpol et membre de la commission santé de l’agglomération. Ce n’est pas de la concertation, c’est de l’humiliation institutionnelle.
Pourquoi l’hôpital de Guingamp est-il un sujet si sensible ?
L’établissement hospitalier de Guingamp, bien qu’historiquement ancré dans le tissu local, traverse depuis plusieurs années une crise structurelle. Comme de nombreux hôpitaux de proximité en zones rurales, il peine à recruter du personnel médical, notamment des spécialistes. En 2024, l’unité de gériatrie a dû réduire son activité faute de médecins. En 2025, c’est l’équipe d’imagerie médicale qui fonctionne en sous-effectif, entraînant des délais de diagnostic rallongés.
Je me suis fait opérer du genou en urgence l’année dernière, témoigne Marc Le Goff, 67 ans, ancien professeur de technologie à Guingamp. J’ai attendu trois semaines pour une IRM. À Rennes, j’aurais été pris en charge en trois jours. Mais je ne pouvais pas me déplacer, j’étais cloué au lit. Ce type de témoignage est de plus en plus fréquent, et alimente un sentiment d’abandon chez les habitants.
Les élus, conscients de cette détresse, souhaitaient justement aborder lors de la réunion avec l’ARS des solutions concrètes : renforcement des moyens humains, clarification des orientations stratégiques, ou encore maintien des services existants. Nous ne demandons pas des promesses en l’air, insiste Pierre Salliou. Nous demandons un dialogue franc, basé sur des données et des engagements.
Quel rôle joue le conseil de surveillance dans cette crise ?
Le conseil de surveillance, dont Pierre Salliou assure la présidence, a pour mission de veiller à la bonne gestion de l’établissement hospitalier et de représenter les intérêts des usagers. Toutefois, son pouvoir d’influence reste limité face aux décisions prises par l’ARS ou le ministère de la Santé. Nous sommes consultés, mais rarement écoutés, reconnaît Salliou. On nous transmet des rapports, on nous informe a posteriori, mais les grandes orientations sont souvent déjà figées.
Cette marginalisation ressentie par les membres du conseil explique en partie leur volonté de mobiliser l’ensemble des élus du territoire. L’hôpital de Guingamp n’est pas une affaire de notables, c’est une affaire de territoire , martèle Aurore Tillier, directrice adjointe d’un établissement médico-social dans la région. Elle participe régulièrement aux réunions du conseil de surveillance en tant que représentante des associations de patients. Quand on parle de fermer une unité ou de transférer des activités, ce sont des vies qui sont impactées. Et pourtant, on nous parle en termes de “réduction de coûts” ou de “rationalisation”.
Quelles sont les responsabilités de l’ARS dans la gestion des hôpitaux locaux ?
L’Agence régionale de santé a un rôle central dans la planification, le financement et le contrôle des politiques de santé en région. Elle décide, entre autres, de l’attribution des crédits, du maintien ou de la fermeture de services, et du recrutement de personnel. Toutefois, son action est souvent perçue comme technocratique, déconnectée des réalités locales.
Véronique Solère, arrivée à la tête de l’ARS Bretagne en septembre 2025, incarne cette posture. Ancienne haut-fonctionnaire du ministère de la Santé, elle a mené plusieurs réformes dans d’autres régions, notamment autour de la mutualisation des ressources hospitalières. Mais son style, décrit comme rigoureux et distant , ne plaît pas toujours aux élus de terrain. Elle parle de “synergies” et de “réseaux de soins”, mais quand on lui demande si l’unité de pédiatrie de Guingamp sera maintenue, elle répond par des statistiques , ironise Vincent Le Meaux.
À ce jour, l’ARS n’a pas communiqué d’explication officielle sur l’annulation du rendez-vous. Une source proche de l’agence évoque un réajustement de l’agenda de la directrice , sans plus de précision. Cette absence de transparence alimente les soupçons. Soit elle ne veut pas nous entendre, soit elle a peur de ce qu’on pourrait dire , avance Élodie Kerlec.
Quelles conséquences politiques cette annulation pourrait-elle avoir ?
L’incident risque de cristalliser un mouvement de mobilisation plus large. Plusieurs élus envisagent de saisir le préfet de région ou de déposer une motion au conseil départemental des Côtes-d’Armor. D’autres évoquent la possibilité d’organiser une grande consultation citoyenne sur l’avenir de l’hôpital.
Ce n’est pas seulement une question d’hôpital, c’est une question de démocratie , affirme Clément Rozec, maire de Plouha et membre du groupe des maires ruraux de Bretagne. Si les élus locaux, élus par le peuple, ne peuvent pas discuter des services publics essentiels, alors à quoi sert l’échelon local ?
Le risque, pour l’ARS, est de perdre en légitimité. En ignorant les attentes des élus et des citoyens, elle renforce l’idée d’une administration opaque, coupée du terrain. Or, dans un contexte de défiance croissante envers les institutions, ce type de comportement peut avoir des conséquences durables. On ne demande pas à être mis en avant, on demande à être respectés , insiste Pierre Salliou.
Quelles alternatives existent pour relancer le dialogue ?
Plusieurs pistes sont envisagées. D’abord, une relance formelle du rendez-vous, cette fois avec une délégation élargie d’élus et de représentants de la société civile. Ensuite, la mise en place d’un comité de suivi permanent sur la santé de proximité, associant l’ARS, les élus, les professionnels de santé et les usagers.
Des exemples existent ailleurs en France. Dans le Finistère, une concertation similaire a permis de sauver l’hôpital de Morlaix grâce à un plan pluriannuel de recrutement et de modernisation. Là-bas, l’ARS a accepté de travailler avec les élus, pas contre eux , rappelle Aurore Tillier. Résultat : les services se sont stabilisés, et même améliorés.
Les élus de Guingamp espèrent qu’un tel modèle puisse être appliqué chez eux. Nous ne sommes pas des adversaires, nous sommes des partenaires , affirme Vincent Le Meaux. Mais pour ça, il faut que l’ARS cesse de nous traiter comme des importuns.
Quel avenir pour les hôpitaux de proximité en Bretagne ?
La situation de Guingamp n’est pas isolée. De nombreux hôpitaux ruraux en Bretagne sont sous pression : Saint-Brieuc, Loudéac, Carhaix ou encore Pontivy font face à des difficultés similaires. Le vieillissement de la population, la pénurie de médecins, et les logiques de centralisation des soins vers les centres urbains mettent en péril l’accès aux soins dans les zones moins denses.
Si on ne fait rien, dans dix ans, les habitants de Guingamp devront aller à Rennes ou Saint-Malo pour un simple scanner , alerte Marc Le Goff, dont la convalescence a marqué un tournant dans son engagement citoyen. C’est inacceptable. La santé ne doit pas être une question de géographie.
Les élus appellent donc à une refonte du modèle de santé de proximité, avec des moyens adaptés, des incitations au recrutement, et une vraie prise en compte des spécificités territoriales. La Bretagne n’est pas l’Île-de-France, martèle Clément Rozec. Ici, les distances sont grandes, les routes parfois mauvaises, et les gens âgés nombreux. Il faut des solutions bretonnes, pas des recettes parisiennes.
Conclusion
L’annulation de la rencontre entre Véronique Solère et les élus de Guingamp est bien plus qu’un incident de calendrier. Elle symbolise un malaise profond dans la gouvernance de la santé publique en milieu rural. Alors que les hôpitaux de proximité sont en première ligne face aux défis démographiques et sanitaires, ils souffrent d’un manque de considération politique. Les élus locaux, légitimement inquiets pour leurs concitoyens, réclament un dialogue égalitaire, transparent et constructif. La balle est désormais dans le camp de l’ARS. Sera-t-elle capable de tendre la main ? Ou continuera-t-elle à imposer ses décisions depuis son siège rennais, sans écouter les voix du terrain ? Le futur de la santé en Bretagne dépend peut-être de cette réponse.
A retenir
Pourquoi la rencontre entre Véronique Solère et les élus a-t-elle été annulée ?
L’annulation a été officiellement motivée par un réajustement de l’agenda de la directrice de l’ARS Bretagne, sans autre précision. Cette décision intervient après que plusieurs élus, dont Vincent Le Meaux, ont voulu participer à une réunion initialement prévue uniquement avec Pierre Salliou. L’absence d’explication claire a été perçue comme une rupture de dialogue.
Quels sont les enjeux pour l’hôpital de Guingamp ?
L’établissement fait face à une pénurie de personnel, des délais de prise en charge allongés, et un risque de réduction de services. Les élus craignent une dégradation continue de l’accès aux soins pour les habitants du territoire, notamment les personnes âgées et celles sans moyen de transport.
Quel rôle joue le conseil de surveillance de l’hôpital ?
Il veille à la bonne gestion de l’hôpital et représente les intérêts des usagers, mais son influence est limitée face aux décisions de l’ARS. Ses membres estiment être régulièrement mis devant le fait accompli.
Quelles suites politiques sont envisagées ?
Les élus envisagent de saisir les autorités préfectorales, de déposer des motions au niveau départemental, ou d’organiser une consultation citoyenne. Ils réclament un comité de suivi permanent associant toutes les parties prenantes.
Quel est le message des habitants ?
Les citoyens, comme Marc Le Goff, expriment un sentiment d’abandon. Ils insistent sur le fait que la santé ne doit pas dépendre de la localisation géographique et demandent que les hôpitaux de proximité soient stabilisés, voire renforcés.